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tole, je leur conseille d'accepter la paix à quelque prix que ce puisse être. »

«Traître, s'écria le Sicambre écumant de rage, avant que peu d'années se soient écoulées, j'espère que ta nation changera de maître. Tu reconnoîtras, en cultivant la terre pour les Francs, quelle est la valeur des rois chevelus. »

-« Si je n'ai que la tienne à craindre, repartit ironiquement le Gaulois, je ne me donnerai pas la peine de recueillir l'œuf du serpent à la lune nouvelle, afin de me mettre à l'abri des malheurs que me prépare Teutatès. »

« A ces mots, Chlodéric furieux tendit à Camulogènes la pointe de sa framée, en lui disant d'une voix étouffée par la colère :

« Tu n'oserois seulement y porter la vue. »

-«Tu mens,» repartit le Gaulois tirant son épée et se précipitant sur le Franc.

« On se jeta entre les deux guerriers. Les prêtres firent cesser ce nouveau festin des centaures et des Lapithes. Le lendemain, jour où la lune avoit acquis toute sa splendeur, on décida dans le calme ce qu'on avoit discuté dans l'ivresse, alors que le cœur ne peut feindre, et qu'il est ouvert aux entreprises généreuses.

« On se détermina à faire des propositions de paix aux Romains; et comme Mérovée, fidèle à sa parole, avoit déjà obtenu ma liberté de son père, il fut résolu que j'irois à l'instant porter les paroles du conseil à Constance. Zacharie et Clothilde vinrent m'annoncer ma délivrance. Ils me conjurèrent

de me mettre en route sur le champ, pour éviter l'inconstance naturelle aux Barbares. Je fus obligé de céder à leurs inquiétudes. Zacharie m'accompagna jusqu'à la frontière des Gaules. Le bonheur de recouvrer ma liberté étoit balancé par le chagrin de me séparer de ce vieillard. En vain je le pressai de me suivre, en vain je m'attendris sur les maux dont il étoit accablé. Il cueillit en marchant une plante de lis sauvage, dont la cime commençoit à percer la neige, et il me dit:

« Cette fleur est le symbole du chef des Saliens et de sa tribu; elle croît naturellement plus belle parmi ces bois que dans un sol moins exposé aux glaces de l'hiver; elle efface la blancheur des frimas qui la couvrent, et qui ne font que la conserver dans leur sein, au lieu de la flétrir. J'espère que cette rude saison de ma vie, passée auprès de la famille de mon maître, me rendra un jour comme ce lis aux yeux de Dieu l'âme a besoin, pour se développer dans toute sa force, d'être ensevelie quelque temps sous les rigueurs de l'adversité. »

«En achevant ces mots, Zacharie s'arrêta, me montra le ciel, où nous devions nous retrouver un jour; et, sans me laisser le temps de me jeter à ses pieds, il me quitta après m'avoir donné sa dernière leçon. C'est ainsi que Jésus-Christ, dont il imite l'exemple, se plaisoit à instruire ses disciples en se promenant au bord du lac de Génésareth, et faisoit parler l'herbe des champs et les lis de la vallée. »

LES MARTYRS.

T. I.

13

SOMMAIRE.

Interruption du récit. Commencement de l'amour d'Eudore pour Cymodocée, et de Cymodocée pour Eudore. Satan veut profiter de cet amour pour troubler l'Église. L'enfer. Assemblée

des démons. Discours du démon de l'homicide. Discours du démon de la fausse sagesse. Discours du démon de la volupté. Discours de Satan. Les démons se répandent sur la terre.

Déjà le récit d'Eudore s'étoit prolongé jusqu'à la neuvième heure du jour. Le soleil dardoit ses rayons brûlants sur les montagnes de l'Arcadie, et les oiseaux muets étoient retirés dans les roseaux du Ladon. Lasthénès invita les étrangers à prendre un nouveau repas, et leur proposa de remettre au jour suivant la fin de l'histoire de son fils. On quitta l'île et les deux autels, et l'on regagna en silence le toit hospitalier.

A peine quelques mots interrompus se firent entendre le reste de la journée. L'évêque de Lacédémone paroissoit profondément occupé de l'histoire du fils de Lasthénès. Il admiroit la peinture de l'état de l'Église et de ses progrès dans tout le monde. Il voyoit figurer au milieu de ce tableau les hommes que les fidèles avoient à craindre, et dont les caractères tracés par Eudore ne promettoient qu'un sombre avenir. Cyrille reçut même de Rome des nouvelles alarmantes, qu'il ne crut pas devoir communiquer à la vertueuse famille.

Eudore à son tour étoit loin d'être tranquille. Il portoit au pied de la croix des tribulations intérieures; il ignoroit encore qu'elles étoient une suite des desseins de Dieu. Il redoubloit de prières et d'austérités; mais au travers des pleurs de la pénitence, ses yeux apercevoient malgré lui les beaux cheveux, les mains d'albâtre, la taille élégante et les grâces ingénues de la fille d'Homère. Il voyoit sans cesse ses doux et timides regards attachés sur lui, ses traits charmants où se venoient peindre tous les sentiments qu'il exprimoit et même ceux qu'il n'exprimoit point encore. Quelle naïve pudeur embellissoit la vierge innocente, lorsqu'il racontoit les coupables plaisirs de Rome et de Baïes! Quelle pâleur mortelle couvroit ses joues, lorsqu'il décrivoit des combats, ou qu'il parloit de blessures et d'esclavage!

La prêtresse des Muses éprouvoit de son côté des sentiments confus et une émotion nouvelle. Son esprit et son cœur sortoient en même temps de leur double enfance. L'ignorance de son esprit s'évanouissoit devant la raison du christianisme; l'ignorance de son cœur cédoit à cette lumière qu'apportent toujours les passions. Chose extraordinaire, cette jeune fille ressentoit à la fois le trouble et les délices de la sagesse et de l'amour!

« Mon père, disoit-elle à Démodocus, quel divín étranger nous a conviés à ses banquets! Combien le fils de Lasthénès est grand par le cœur et par les armes! N'est-ce point un de ces premiers habitants du monde que Jupiter a transformés en

dieux favorables aux mortels? Jouet des cruelles

destinées, que de combats il a livrés! que de maux il a soufferts! O Muses chastes et puissantes! ô mes divinités tutélaires! où étiez-vous lorsque d'indignes chaînes pressoient de si nobles mains? Ne pouviez-vous faire tomber les liens de ce jeune héros au son de vos lyres? Mais, prêtre d'Homère, toi qui sais toutes choses et qui as la sage retenue des vieillards, dis: quelle est cette religion dont parle Eudore? Elle est belle, cette religion! elle approche le cœur de la justice, elle apaise les folles amours. Celui qui la suit est toujours prêt à secourir le malheur, comme un voisin généreux, sans se donner le temps de prendre sa ceinture. Allons dans les temples immoler des brebis à Cérès qui porte des lois, au Soleil qui voit l'avenir. La robe traînante, la coupe des libations à la main, faisons le tour des autels arrosés de sang, pétrissons les gâteaux sacrés, et tâchons de découvrir quel est le génie inconnu qui protége Eudore... Je sens qu'une divinité mystérieuse parle à mon cœur... Mais une vierge doit-elle pénétrer les secrets des jeunes hommes, et chercher à connoître leurs dieux ? La pudeur lèvera-t-elle son voile pour interroger les oracles? >>

En achevant ces mots, Cymodocée remplit son sein de larmes qui couloient de ses yeux.

Ainsi le ciel rapprochoit deux cœurs dont l'union devoit amener le triomphe de la croix. Satan alloit profiter de l'amour du couple prédestiné, pour faire naître de violents orages, et tout marchoit à

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