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lent de revoir notre terre natale, que nous étions près d'abandonner les aigles. Il n'y avoit qu'un Grec parmi nous qui blâmât ces sentiments, qui nous exhortât à remplir nos devoirs, et à nous soumettre à notre destinée. Nous le prenions pour un lâche : quelque temps après il combattit et mourut en héros, et nous apprîmes qu'il étoit chrétien.

« Les Francs avoient été surpris par Constance: ils évitèrent d'abord le combat; mais aussitôt qu'ils eurent rassemblé leurs guerriers, ils vinrent audacieusement au-devant de nous, et nous offrirent la bataille sur le rivage de la mer. On passa la nuit à se préparer de part et d'autre, et le lendemain, au lever du jour, les armées se trouvèrent en présence.

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«La légion de fer et la foudroyante occupoient le centre de l'armée de Constance.

«En avant de la première ligne paroissoient les vexillaires, distingués par une peau de lion qui leur couvroit la tête et les épaules. Ils tenoient levés les signes militaires des cohortes, l'aigle, le dragon, le loup, le minotaure. Ces signes étoient parfumés et ornés de branches de pin, au défaut de fleurs.

<< Les hastati, chargés de lances et de boucliers formoient la première ligne après les vexillaires.

« Les princes, armés de l'épée, occupoient le second rang, et les triarii venoient au troisième. Ceux-ci balançoient le pilum de la main gauche; leurs boucliers étoient suspendus à leurs piques plantées devant eux, et ils tenoient le genou droit en terre, en attendant le signal du combat.

« Des intervalles ménagés dans la ligne des légions étoient remplis par des machines de guerre.

« Á l'aile gauche de ces légions, la cavalerie des alliés déployoit son rideau mobile. Sur des coursiers tachetés comme des tigres, et prompts comme des aigles, se balançoient avec grâce les cavaliers de Numance, de Sagonte et des bords enchantés du Bétis. Un léger chapeau de plume ombrageoit leur front, un petit manteau de laine noire flottoit sur leurs épaules, une épée recourbée retentissoit à leur côté. La tête penchée sur le cou de leurs chevaux, les rênes entre les dents, deux courts javelots à la main, ils voloient à l'ennemi. Le jeune Viriate entraînoit après lui la fureur de ces cavaliers rapides. Des Germains d'une taille gigantesque étoient entremêlés çà et là, comme des tours, dans le brillant escadron. Ces Barbares avoient la tête enveloppée d'un bonnet; ils manioient d'une main une massue de chêne, et montoient à cru des étalons sauvages. Auprès d'eux, quelques cavaliers numides, n'ayant pour toute arme qu'un arc, pour tout vêtement qu'une chlamyde, frissonnoient sous un ciel rigoureux.

« A l'aile opposée de l'armée se tenoit immobile la troupe superbe des chevaliers romains: leur casque étoit d'argent, surmonté d'une louve de vermeil; leur cuirasse étinceloit d'or, et un large baudrier d'azur suspendoit à leur flanc une lourde épée ibérienne. Sous leurs selles ornées d'ivoire s'étendoit une housse de pourpre, et leurs mains, couvertes de gantelets, tenoient les rênes de soie

qui leur servoient à guider de hautes cavales plus noires que la nuit.

« Les archers crétois, les vélites romains et les différents corps des Gaulois étoient répandus sur le front de l'armée. L'instinct de la guerre est si naturel chez ces derniers, que souvent, dans la mêlée, les soldats deviennent des généraux, rallient leurs compagnons dispersés, ouvrent un avis salutaire, indiquent le poste qu'il faut prendre. Rien n'égale l'impétuosité de leurs attaques : tandis que le Germain délibère, ils ont franchi les torrents et les monts; vous les croyez au pied de la citadelle, et ils sont au haut du retranchement emporté. En vain les cavaliers les plus légers voudroient les dévancer à la charge, les Gaulois rient de leurs efforts, voltigent à la tête des chevaux, et semblent leur dire «Vous saisiriez plutôt les vents sur la << plaine, ou les oiseaux dans les airs. >>

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«Tous ces Barbares avoient la tête élevée, les couleurs vives, les yeux bleus, le regard farouche et menaçant; ils portoient de larges braies, et leur tunique étoit chamarrée de morceaux de pourpre; un ceinturon de cuir pressoit à leur côté leur fidèle épée. L'épée du Gaulois ne le quitte jamais : mariée, pour ainsi dire, à son maître, elle l'accompagne pendant la vie, elle le suit sur le bûcher funèbre, et descend avec lui au tombeau. Tel étoit le sort qu'avoient jadis les épouses dans les Gaules, tel est aussi celui qu'elles ont encore au rivage de l'Indus.

« Enfin, arrêtée comme un nuage menaçant sur le penchant d'une colline, une légion chrétienne,

surnommée la Pudique, formoit derrière l'armée le corps de réserve et la garde de César. Elle remplaçoit auprès de Constance la légion thébaine égorgée par Maximien. Victor1, illustre guerrier de Marseille, conduisoit au combat les milices de cette religion qui porte aussi noblement la casaque du vétéran que le cilice de l'anachorète.

<< Cependant l'œil étoit frappé d'un mouvement universel: on voyoit les signaux du porte-étendard qui plantoit le jalon des lignes, la course impétueuse du cavalier, les ondulations des soldats qui se niveloient sous le cep du centurion. On entendoit de toutes parts les grêles hennissements des coursiers, le cliquetis des chaînes, les sourds roulements des balistes et des catapultes, les pas réguliers de l'infanterie, la voix des chefs qui répétoient l'ordre, le bruit des piques qui s'élevoient et s'abaissoient au commandement des tribuns. Les Romains se formoient en bataille aux éclats de la trompette, de la corne et du lituus; et nous Crétois, fidèles à la Grèce au milieu de ces peuples barbares, nous prenions nos rangs au son de la lyre.

<< Mais tout l'appareil de l'armée romaine ne servoit qu'à rendre l'armée des ennemis plus formidable, par le contraste d'une sauvage simplicité.

« Parés de la dépouille des ours, des veaux marins, des urochs et des sangliers, les Francs se montroient de loin comme un troupeau de bêtes

'Le martyr.

féroces. Une tunique courte et serrée laissoit voir toute la hauteur de leur taille, et ne leur cachoit pas le genou. Les yeux de ces Barbares ont la couleur d'une mer orageuse; leur chevelure blonde, ramenée en avant sur leur poitrine, et teinte d'une liqueur rouge, est semblable à du sang et à du feu. La plupart ne laissent croître leur barbe qu'audessus de la bouche, afin de donner à leurs lèvres plus de ressemblance avec le mufle des dogues et des loups. Les uns chargent leur main droite d'une longue framée, et leur main gauche d'un bouclier qu'ils tournent comme une roue rapide; d'autres, au lieu de ce bouclier, tiennent une espèce de javelot, nommé angon, où s'enfoncent deux fers recourbés; mais tous ont à la ceinture la redoutable francisque, espèce de hache à deux tran-· chants, dont le manche est recouvert d'un dur acier; arme funeste que le Franc jette en poussant un cri de mort, et qui manque rarement de frapper le but qu'un œil intrépide a marqué.

« Ces Barbares, fidèles aux usages des anciens Germains, s'étoient formés en coin, leur ordre accoutumé de bataille. Le formidable triangle, où l'on ne distinguoit qu'une forêt de framées, des peaux de bêtes et des corps demi-nus, s'avançoit avec impétuosité, mais d'un mouvement égal, pour percer la ligne romaine. A la pointe de ce triangle étoient placés des braves qui conservoient une barbe longue et hérissée, et qui portoient au bras un anneau de fer. Ils avoient juré de ne quitter ces marques de servitude qu'après avoir sacrifié un

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