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les rend plus difficiles, leur ôte leur souplesse par suite de la roideur qu'ils opposent à leurs cavaliers, leur défense devenant alors plus dangereuse, et que le plus sûr moyen de les maîtriser est de leur inspirer la confiance.

On voit, dès les premiers pas de M. Pâquer, comment il se fit une sorte d'habitude de se rendre compte de tout, et comment il eut toute sa vie cette réserve réfléchie qui était un de ses caractères distinctifs.

De déduction en déduction et à mesure qu'il avança en âge, il se convainquit qu'on ne peut être écuyer, si l'on n'est pas à même de s'expliquer tous les mouvements du cheval, afin de n'avoir aucune incertitude dans la provocation de ces mouvements. Il se livra done avec persévérance à l'étude de l'anatomie, en la considérant comme le moyen de faire mouvoir le cheval sans risque pour sa solidité. Comme son père, fort intelligent, lui avait fait donner une bonne éducation, M. Pâquer s'initia promptement à toutes les counaissances hippiques. Par un double mérite, fort rare encore, il devint à la fois un excellent écuyer et un bon vétérinaire, à la suite des cours qu'il suivit à Alfort, et des leçons d'équitation qu'il reçut à Nantes de M. de Grammont, ex-écuyer, du régiment de Noailles.

C'en fut assez pour le faire appeler à la direction des écuries du roi de Westphalie, lors de la création de ce royaume napoléonien, en 1807. Il fut chargé des achats de chevaux, de les dresser et des soins à leur donner : la Westphalie lui doit une notable partie des améliorations de ses haras.

Mais Napoléon, qui faisait et defaisait des rois, comme

notre monarchie représentative fait et défait des préfets, s'ingérait dans leurs gouvernements comme dans son administration départementale, et, par suite d'un caprice impérial, M. Pâquer rentra en France.

Il prit à Nantes l'établissement de son père, où l'avait précédé son frère, comme lui élève d'Alfort, et exsous-officier au 12. hussards. M. Pâquer fut à la fois le professeur de l'École d'équitation, le vétérinaire et le marchand de chevaux du bel établissement du Cours Saint-André, acquis ensuite par M. Juvenel, son beaufrère, qui a donné au commerce des chevaux, à Nantes, une extension considérable, dont l'influence n'a pas peu contribué à l'amélioration de la race dans ce départe

ment.

Comme écuyer, M. Pâquer avait les qualités les plus désirables pour cette profession. Il possédait un sangfroid que rien ne pouvait lui faire perdre dans les positions les plus périlleuses. Ce n'était pas celte timidité, que devine trop facilement le cheval et qui le rend si promptement le maître du cavalier; c'était cette froideur réservée, patiente, réfléchie, prévoyante, qui, ne ren dant jamais le cheval victime de la mauvaise humeur ou de l'emportement du cavalier, et parfois de sa brutalité, étudie ses mouvements, les prévoit, les arrête, les calme pour les rendre moins dangereux, et saisit le moment de le dominer, en obtenant cette domination par la supériorité de l'intelligence beaucoup plus que par la rigueur, qui ne réussit que par intervalle, et qui, d'ailleurs, dresse un cheval pour l'écuyer vigoureux et non

pour le cavalier ordinaire. Un professeur d'équitation n'est pas un piqueur d'écurie.

Quand je parle de l'intelligence de l'écuyer, il est bien entendu que c'est l'intelligence de l'esprit éclairé par le savoir. Celle qui dompte un cheval par l'emploi raisonné de son mécanisme, cette intelligence supérieure qui a fait deviner au génie de Baucher la méthode immanquable de dompter tons les chevaux par la domination complète de leurs forces ex annulant toutes les résistances (1); cette méthode qui a fait dire récemment au comte de Lancosme Breves: « L'équitation est la représentation des lois qui régissent la puissance du cheval. »

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Un cheval dressé par M. Pâquer pouvait être monté par tout cavalier qui avait l'usage du manége. J'en excepte, toutefois, un seul animal, dont la réputation restera longtemps en honncur à Nantes: c'était une petite jument du nom de Paysanne, d'un aspect commun, et qui, avec d'immenses moyens devinés par M. Pâquer sous une charge de vendanges, dans une ferme de M. Esmein, fut dressée avec une telle finesse d'aides, que tout défaut d'accord dans celui qui la montait, la rendait impossible à conduire. Mais aussitôt que le cavalier mettait ses leviers en équilibre, elle répondait à tout, elle exécutait tout ce que

(1) M. Gachet, et ensuite MM. Foucault, professeurs d'équitation à Nantes, ont successivement appliqué la même méthode dans leurs leçons, à laquelle M. Eugène Foucault s'est initié sous les yeux mêmes et avec les conseils de M. Baucher.

les chevaux les plus renommés ont exécuté dans nos manéges, aux applaudissements du public.

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J'insiste sur ce sujet, futile en apparence, et dont l'excuse sera dans la spécialité de cette notice, parce que M. Pâquer attachait un grand intérêt à Paysanne, Lorsque vous parliez de Paysanne à M. Pâquer, vous le rajeunissiez de vingt ans. Ce n'était pas chez lui la vanité de posséder un animal dressé à des exercices surprenants: une pensée plus, féconde inspirait cette vanité; car le clinquant, le brillant, la parure extérieure n'étaient pas de mise chez M. Pâquer, qui apportait en toute chose, dans son costume comme dans ses actions, une extrême simplicité, avec la répugnance la plus prononcée contre tout apparat. La gloria del cavallo, la gloire d'avoir dressé Paysanne, car c'en était une pour M. Pâquer, consistait dans la démonstration évidente qu'après un long service, service très-pénible dans des exercices qui exigent l'emploi de toutes les forces musculaires, un cheval bien dressé se conserve plus sain, plus, net que le cheval maintenu dans un repos fatal. Paysanne, parvenue à un age avancé sans une seule tare, offrait donc la preuve incontestable des avantages de l'équitation, qui peut obtenir d'un cheval tout ce qu'on peut en exiger sans le ruiner, sans nuire à ses aplombs, à la sûreté de sa marche. Loin de là, Paysanne, toujours en route pour les nombreuses courses de M. Pâquer, comme vétérinaire du département, reparaissait au manége aussi vigoureuse, aussi ardente, aussi flexible, aussi bien disposée, aussi pleine de gaieté qu'à la sortie de l'écurie. C'est que, dans ces routes, l'habileté de

l'écuyer avait ménagé les forces de l'excellente jument.

On conçoit que M. Pâquer tenait en grande estime les cavaliers qui avaient monté Paysanne avec justesse; ear, suivant son expression, elle donnait elle-même la leçon, et l'expression était vraie. M. Pâquer, d'habitude si réservé, si peu communicatif, disant à peine quelques paroles dans une conversation, devenait expansif avec les cavaliers de sa prédilection: il lui semblait qu'après avoir monté Paysanne, on s'était identifié à l'écuyer qui l'avait si bien dressée.

Vous pardonnerez donc, Messieurs, à mon amourpropre équestre, lorsque je confesserai très-vaniteusement que je fus au nombre des amis de M. Pâquer du jour où j'eus monté Paysanne, oui, Messieurs, à mon amourpropre, si ce n'était pas toutefois un hasard heureux, car beaucoup échouèrent dans cette redoutable entreprise qui était la pierre de touche de M. Pâquer en équitation. Or, je me rappelle toujours que l'un de nos plus célèbres écuyers y échoua. Homme de cheval, tout pratique, hardi, entreprenant et ne redoutant aucun animal, mais n'ayant pour lui que l'équitation instinctive, dressant les chevaux à sa façon, trop souvent en forçant leur nature, plutôt que par la déduction raisonnée de leurs forces et de leurs moyens, cet écuyer, toujours rude, ou au moins trop prompt dans l'attaque des chevaux qu'il montait pour la première fois devant les témoins qu'il voulait toujours éblouir, né comprit pas l'excessive et nerveuse sensibilité de Paysanne, à la fois intelligente et têtue comme toute sa race, humaine et chevaline. Paysanne lui résista. Ce fut un com

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