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prisonnière entra au Temple, on retrouve, à mesure que les événements se succèdent, l'impression qu'ils produisent sur Madame Élisabeth, et l'appréciation qu'elle porte sur les hommes et sur les choses. La convocation des états généraux, le serment du Jeu de paume, le 15 juillet et la prise de la Bastille, les journées des 5 et 6 octobre, avec le lamentable retour à Paris de la famille royale prisonnière, la constitution civile du clergé, le fatal voyage à Varennes, la journée du 20 juin, cette préface du 10 août, viennent tour à tour jeter un sinistre reflet dans les lettres de Madame Élisabeth à ses amies, à l'abbé de Lubersac, au comte d'Artois. Une de ses plus remarquables lettres est adressée à ce prince, pour lequel elle avait la plus vive tendresse, et, si j'ose le dire, une de ces faiblesses de cœur que les sœurs sérieuses ont pour celui de leurs frères dont l'impétueuse ardeur a besoin d'être dirigée et retenue. Chose remarquable, Madame Élisabeth, cette princesse d'un cœur si bienveillant, incline presque toujours vers les partis de vigueur. Elle comprend que la faiblesse devant une révolution qui ne perd ni une occasion, ni une concession, ni une minute, contribue à tout perdre. Elle le répète souvent dans ses lettres. La vigueur dans la politique, l'union dans le parti royaliste et dans la famille royale, voilà ce que recommande Madame Élisabeth; et, dans sa lettre au comte d'Artois, elle insiste de la manière la plus forte et la plus raisonnable sur la nécessité de ne pas contrarier à Coblentz la politique de Louis XVI.

A mesure que les lettres se rapprochent par leurs dates de la fatale journée du 10 août, la faible lueur d'espérance qui jetait çà et là quelques reflets lumineux, pâlit et s'éteint. La princesse voit venir la catastrophe, mais

elle sait où est pour elle le poste du devoir, de l'honneur et de la tendresse fraternelle; elle y reste. Advienne que pourra! elle remplira jusqu'au bout la sainte et angélique mission que la Providence lui a donnée. Les Sursum corda reviennent alors plus fréquents sous sa plume dans ses lettres avec ses amies; elle ne regarde plus, elle n'espère plus que du côté du ciel.

La correspondance de Madame Élisabeth a été donnée dans plus d'un recueil. Celui de M. Feuillet de Conches en contient, je crois, presque la totalité connue. J'y renvoie donc le lecteur, me bornant à reproduire ici les lettres de Madame Élisabeth à madame de Bombelles et à madame la marquise des Monstiers qui ne se trouvent dans aucun autre recueil, ainsi que celles adressées à l'abbé de Lubersac, dont nous venons de parler tout à l'heure.

I.

A MADAME DE BOMBELLES 1.

:

Ce 8 février 1788.

Ta lettre me fait bien de la peine, ma petite, par l'excessive inquiétude où tu étois de la pauvre Félicie. Tu auras su, bientôt après, sa mort, et le courage de sa mère; elle va bien à présent l'enfant qu'elle va avoir la distraira de la perte qu'elle a faite, surtout nourrissant. Elle t'aura sûrement mandé que tous les avis de ce pays étoient contre, et que c'est un médecin de Stuttgard qui l'a décidée; j'ai peur qu'elle n'ait pas tout à fait raison. Cependant comme elle mènera une vie plus calme qu'à sa

1 La reproduction de cette lettre est interdite.

première nourriture, l'enfant pourra devenir plus fort. Je crois qu'elle ne me pardonneroit pas si elle savoit ce que je pense sur cela. Je voudrois bien que tu eusses le temps de la voir un peu avant son départ. Je ne t'avois point parlé de la maladie de Félicie, parce que ta mère étoit à Paris, et que je ne savois pas ce que l'on te mandoit, ce qui a fait que je ne t'ai pas écrit aussi la première poste après sa

mort.

J'ai montré à ta mère ce que tu me marques pour ton logement; je voudrois que tu eusses celui de la Chapelle, mais il ne te convient pas, à ce que l'on te dit, et puis il est bien un peu cher, je crois qu'il va à cinq mille livres ; mais il a l'agrément d'être le plus près de la pièce du Dragon, quoiqu'il y ait une très-petite rue à passer; enfin, ta mère, ton frère; la Chapelle, amies et Raigecourt, s'en occupent tant qu'ils peuvent; ainsi, si tu n'es pas bien logée, ce sera faute de s'entendre, plutôt que manque de

s'en occuper.

Mon neveu est toujours dans un état très-inquiétant, l'on ne s'en doute pas, ce qui me fait espérer qu'il s'en tirera; car, si tu t'en souviens, cela lui a porté bɔnheur dans le temps où il a été à la Muette. Cette tranquillité évite bien des peines, mais aussi le coup est-il bien plus cruel lorsqu'il est inattendu. Je crois t'avoir déjà dit tout cela, mais c'est que j'en suis pénétrée.

Raigecourt est toujours grosse, et je crois que, cette foisci, c'est pour tout de bon: elle a passé l'époque de sa seconde fausse couche et se ménage assez pour croire qu'elle n'aura pas d'accidents; le seul qu'elle ait jusqu'à ce moment, ce sont des maux de coeur affreux et une peur pas

1 Le premier Dauphin.

mal grande, qu'elle a dissimulée le plus qu'elle peut, mais qui, malgré cela, est très-visible. Si par hasard tu lui écris, ne lui en parle pas.

Le Parlement, dit-on, va encore s'assembler pour les lettres de cachet. Tout cela est du rabâchage pour ce moment-ci. Je voudrois qu'il ne fût plus question de lui lorsque tu reviendras, pour le bien que je te veux, car il est bien ennuyeux, presque autant que le temps, qui, hier, étoit superbe, doux, un beau scleil; aujourd'hui, il fait noir et froid, ce qui, comme tu sais, ne m'empêche pourtant pas de sortir. En conséquence je te quitte pour aller rejoindre M. Huvé, et donner des ordres. Je suis tout étonnée de penser que, l'année prochaine, je serai au moment de coucher ici; je sens que cela me paroîtra tout drôle. Adieu, ma petite, je t'aime et t'embrasse de tout

mon cœur.

J'oubliois de te dire que je trouve ton D. un drôle d'homme de s'enflammer comme cela pour quelqu'un qu'il n'a jamais vu; tu feras très-sagement de traîner cette affaire en longueur, car je ne crois pas qu'elle ait lieu, et il vaut mieux que tu sois ici lorsqu'elle sera rompue tout à fait. Si tu étois encore en colère lorsque tu auras reçu ma lettre, tu l'auras tournée contre moi d'après ce que je te mandois, et cette idée m'affecte considérablement. Mon seul espoir est que ta fureur n'aura pas été longue. Adieu, je te quitte tout de bon.

1 Architecte des bâtiments royaux, restaurait en ce moment la maison de la princesse.

II.

A MADAME DE BOMBELLES 1.

Sans date, mais vers 1788 ou 89.

J'en suis à désirer que ton pauvre frère soit délivré de tous ses maux, et que sa vie ne se prolonge pas aux dépens de tout ce qu'il souffre au physique et au moral. Je suis désespérée de ne pouvoir partager tes soins, et pense avec bien de la peine à l'état d'affliction où tu es en ce moment-ci. J'ai vu, ce matin, le baron 2. J'y ai mené Bombon, qu'il a beaucoup caressé. J'ai été fort contente de ma conversation avec lui, et il a fini par me promettre de parler à la Reine et à la duchesse de Polignac. La seule chose qui m'ait déplu, c'est qu'il m'a dit qu'on vouloit donner C..... à M. de la Luzerne. Il veut que je parle aussi à la Reine, mais il ne veut pas absolument que je parle de Dresde, prétendant qu'il ne faut lui présenter aucunes difficultés qui demandent réflexion, et je me suis promis, malgré cela, en me gardant bien de le lui dire, que je la prierois de déclarer qu'elle ne vouloit pas que tu fusses davantage en Allemagne. Somme toute, je suis contente. Je te ferai plus de détails quand je te verrai. Quoique ma lettre ennuie beaucoup les personnes qui me la voient écrire, il faut encore que je te dise que Rayneval, chez qui j'ai été avec madame Duval, m'a dit que le baron sortoit de chez lui, et qu'il lui avoit beaucoup parlé de toi. J'ai

1 La reproduction de cette lettre est interdite.

2 M. de Breteuil.

3 Constantinople. Cette ambassade, dont les émoluments étaient considérables, était l'objet de l'ambition de M. de Bombelles, qui n'avait point de fortune, avait déjà plusieurs enfants, et était, par sa position officielle, obligé à une grande représentation. B.

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