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Etaloit tant de fafte, ainsi qu'aux jours d'Évandre,
La flûte des bergers revient fe faire entendre.
Voyez rire ces champs au laboureur rendus,
Sur ces combles tremblans ces chevreaux fufpendus,
L'orgueilleux obélifque au loin couché fur l'herbe,
L'humble ronce embraffant la colonne fuperbe ;
Ces forêts d'arbriffeaux, de plantes, de buiffons,
Montant, tombant en grappe, en touffes, en feftons;
Par le fouffle des vents femés fur ces ruines,
Le figuier, l'olivier, de leurs foibles racines
Achèvent d'ébranler l'ouvrage des Romains;
Et la vigne flexible, & le lierre aux cent mains,
Autour de ces débris rampant avec foupleffe,
Semblent vouloir cacher ou parer leur vieilleffe.
Que fi vous n'avez pas ces reftes renommés,
N'avez-vous pas du moins ces bronzes animés,
Et ces marbres vivans, déités des vieux âges,
où l'art feul fut divin & força les hommages?

Je fais qu'un goût févère a voulu des jardins
Exiler tous ces dieux des Grecs & des Romains.
Et pourquoi ? Dans Athène & dans Rome nourrie,
Notre enfance a connu leur riante Féerie.
Ces dieux n'étoient-ils pas laboureurs & bergers?
Pourquoi donc leur fermer vos bois & vos vergers?
Sans Pomone, vos fruits oferont-ils éclore ?

De l'empire des fleurs pouvez-vous chaffer Flore? Ah! que ces dieux toujours enchantent nos regards! L'idolâtrie encore eft le culte des arts.

F

Mais que l'art foit parfait; loin des jardins qu'on chaffe
Ces dieux fans majefté, ces déeffes fans grace.
A chaque déïté choififfez fon vrai lieu.

Qu'un dieu n'ufurpe pas les droits d'un autre dieu.
Laiffez Pan dans les bois. D'où vient que ces Naïades,
Que ces Tritons à fec fe mèlent aux Dryades?
Pourquoi ce Nil en vain couronné de roseaux,
Et dont l'urne poudreufe eft l'abri des oifeaux ?
Otez-moi ces lions & ces tigres fauvages:

Ces monftres me font peur, même dans leurs images;
Et ces triftes Céfars, cent fois plus monftres qu'eux,
Aux portes des bofquets fentinelles affreux,
Qui tout hideux encor de foupçons & de crimes,
Semblent encor de l'oeil défigner leurs victimes,
De quel droit s'offrent-ils dans ce riant féjour ?
Montrez-moi des mortels plus chers à notre amour.
En des lieux confacrés à leur apothéofe,
Créez un Élysée où leur ombre 'repofe.

Loin des profanes yeux, dans des vallons couverts
De lauriers odorans, de myrtes toujours verds,
En marbre de Paros offrez-nous leurs images..
Qu'une eau lente fe plaise à baigner ces bocages,
Et qu'aux ombres du foir mêlant un jour douteux,
Diane aux doux rayons foit l'aftre de ces lieux.
Leur tranquille beauté, fous ce dais de verdure
De ces marbres chéris la blancheur tendre & pure,
Ces grands hommes, leur calme & fimple majefté,
Cette eau filencieufe, image du Léthé,

Qui femble pour leurs cœurs exempts d'inquiétude
Rouler l'oubli des maux & de l'ingratitude,

Ces bois, ce jour mourant fous leur ombrage épais,
Tout des mânes heureux y respire la paix.

Vous donc, n'y confacrez que des vertus tranquilles.
Loin tous ces conquérans en ravages fertiles :
Commeils troubloient le monde,ils troubleroient ces lieux
Placez-y lés amis des hommes & des dieux,

Ceux qui par des bienfaits vivent dans la mémoire,
Ces rois dont leurs fujets n'ont point pleuré la gloire.
Montrez-y Fénelon à notre ceil attendri;

Que Sully s'y relève embraffé par Henri.

Donnez des fleurs, donnez; j'en couvrirai ces fages
Qui, dans un noble exil, fur des lointains rivages
Cherchoient ou répandoient les arts confolateurs;
Toi fur-tout, brave Cook, qui, cher à tous les cœurs,
Unis par les regrets la France & l'Angleterre;
Toi qui, dans ces climats où le bruit du tonnerre
Nous annonçoit jadis, Triptolème nouveau,.
Apportois le courfier, la brebis, le taureau,
Le foc cultivateur, les arts de ta patrie,
Et des brigands d'Europe expiois la furie.
Ta voile en arrivant leur annonçoit la paix,
Et ta voile en partant leur laiffoit des bienfaits.
Reçois donc ce tribu d'un enfant de la France.
Et
que fait fon pays
à ma reconnoiffance?
Ses vertus en ont fait notre concitoyen.
Imitons notre Roi, digne d'être le fien.

Hélas! de quoi lui fert que deux fois son audace
Ait vu des cieux brûlans, fendu des mers de glace;
Que des peuples, des vents, des ondes révéré,
Seul fur les vaftes mers fon vaiffeau fut facré ;
Que pour lui feul la guerre oubliât ses ravages?
L'ami du monde, hélas! meurt en proie aux sauvages.
Vous qui pleurez fa mort, fiers enfans d'Albion,
Imitez, il eft temps, fa noble ambition,

Pourquoi dans vos égaux cherchez-vous des efclaves;
Portez leur des bienfaits & non pas des entraves.
Le front ceint de lauriers cueillis par les François,
La victoire aujourd'hui follicite la paix.

Defcends, aimable paix, fi long-temps attendue,
Defcends; que ta présence à l'univers rendue,
Embelliffe les lieux qu'ont célébrés mes vers;
Viens; forme un peuple heureux de cent peuples divers,
Rends l'abondance aux champs, rends le commerce aux

ondes

Et la vie aux beaux arts, & le calme aux deux mondes.

FIN.

DU PREMIER CHANT

DU POÈME DES JARDINS.

(PAGE 12, vers &.)

Dont le charme autrefois avoit tenté Virgile.

Le lecteur ne me faura peut-être pas mauvais gré de rapporter ici l'efquiffe rapide que Virgile a tracée des jardins, qu'il regrette de ne pouvoir chanter.

Si mon vaiffeau, long-temps égaré loin du bord,
Ne fe hâtoit enfin de regagner le port,
Peut-être je peindrois les lieux chéris de Flore.
Le narciffe en mes vers s'emprefferoit d'éclore;
Les roses m'ouvriroient leurs calices brillans;
Le tortueux concombre arrondiroit fes flancs.
Du perfil toujours verd, des pâles chicorées
Ma mufe abreuveroit les tiges altérées.

Je courberois le lierre & l'acanthe en berceaux,
Et du myrte amoureux j'ombragerois les eaux.

On voit que cette compofition de jardin est trèsfimple & très-naturelle. On y trouve mêlés l'utile & l'agréable. C'eft à la fois le verger, le potager & le parterre. Mais c'est-là le jardin d'un habitant

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