Ces aspects variés amusent votre vue.
L'oeil aime dans un lac une vafte étendue, Cependant offrez-lui quelques points de repos. Si vous n'interrompez l'immensité des flots, Mes yeux fans intérêt gliffent fur leur furface. Ainfi, pour abréger leur infipide espace, Ou qu'un frais bâtiment, des chaleurs respecté, Se préfente de loin dans les flots répété, Ou bien faites éclore une île de verdure. Les îles font des eaux la plus riche parure. Ou relevez leurs bords, ou qu'en bouquets épars Des maffes d'arbres verds arrêtent vos regards. Par un contraire effet fi vous voulez l'étendre, Aux bords trop exhauffés ordonnez de descendre; Ou reculez vos bois, ou commandez que l'eau Se perde en un bosquet, tourne au pied d'un coteau, A travers ces rideaux où l'eau fuit & fe plonge, L'imagination la fuit & la prolonge.
Ainfi votre œil jouit de ce qu'il ne voit pas; Ainfi le goût favant prête à tout des appas, Et des objets qu'il crée, & de ceux qu'il imite Refferre, étend, découvre, ou cache la limite.
Or, maintenant que l'art dans fes jardins pompeux Infulte à mes travaux, dans mes jardins heureux Par-tout respire un air de liberté, de joie ; La pelouse riante à fon gré fe deploie; Les bois indépendans relèvent leurs rameaux; Les fleurs bravent l'équerre, & l'arbre les cifeaux;
L'onde chérit fes bords, la terre sa parure;
Tout eft beau, fimple & grand : c'est l'art de la nature. Cependant & ce fleuve & ces lacs font déferts. Venez; peuplons leur fein de citoyens divers. Plaçons-y ces oiseaux qui, d'une rame agile, Navigateurs aîlés, fendent l'onde docile. Au milieu d'eux s'éleve & nage avec fierté Le cygne au cou superbe, au plumage argenté, Le cygne, à qui l'erreur prêta des chants aimables, Et qui n'a pas besoin du mensonge des fables. Pour animer les eaux, l'art encor n'a-t-il pas Le flottant appareil des voiles & des mâts? Par la rame emportée, une barque légère Laiffe à-peine, en fuyant, fa trace paffagère : Zéphyre de la toile enfle les plis mouvans, Et chaque banderole eft le jouet des vents.
Et fi nos vieux romans, ou la fable, ou l'histoire, D'un ruiffeau, d'une fource ont confacré la gloire! De leur antique honneur ces flots énorgueillis, Par d'heureux fouvenirs font affez embellis. Quel cœur, fans être ému, trouveroit Aréthufe, Alphée, ou le Lignon: toi fur-tout, toi, Vauclufe, Vauclufe, heureux féjour, que fans enchantement Ne peut voir nul poète, & fur-tout nul amant ? Dans ce cercle de monts, qui, recourbant leur chaîne, Nourriffent de leurs eaux ta fource fouterraine Sous la roche voûtée, antre mystérieux,
Où ta Nymphe, échappant aux regards curieux,
Dans un gouffre fans fond cache fa fource obfcure, Combien j'aimois à voir ton eau, qui, toujours pure, Tantôt dans fon baffin renferme fes tréfors, Tantôt en bouillonnant s'élève, & de fes bords Versant parmi des rocs fes vagues blanchiffantes, De cascade en cafcade au loin rejailliffantes, Tombe& roule à grand bruit; puis, calmant fon courroux. Sur un lit plus égal répand des flots plus doux, Et fous un ciel d'azur par vingt canaux féconde Le plus riant vallon qu'éclaire l'œil du monde !
Mais ces eaux ce beau ciel, ce vallon enchanteur. Moins que Pétrarque & Laure intéreffoient mon cœur. La voilà donc, difois-je, oui, voilà cette rive Que Pétrarque charmoit de fa lyre plaintive! Ici Pétrarque à Laure exprimant fon amour, Voyoit naître trop tard, mourir trop tôt le jour. Retrouverai-je encor fur ces rocs folitaires De leurs chiffres unis les tendres caractères ? Une grotte écartée avoit frappé mes yeux: Grotte fombre, dis-moi fi tu les vis heureux. M'écriois-je! Un vieux tronc bordoit-il le rivage? Laure avoit repofé fous fon antique ombrage. Je redemandois Laure à l'écho du vallon, Et l'écho n'avoit point oublié ce doux nom. Par-tout mes yeux cherchoient, voyoient Pétrarque &
Et par eux ces beaux lieux s'embelliffoient encore.
NoN, je ne puis quitter le spectacle des champs.
Eh! qui dédaigneroit ce fujet de mes chants? Il infpiroit Virgile, il féduifoit Homère." Homère, qui d'Achille a chanté la colère, Qui nous peint la terreur attelant fes courfiers, Le vol fifflant des dards, le choc des boucliers, Le trident de Neptune ébranlant les murailles, Se plaît à rappeller au milieu des batailles
Les bois, les prés, les champs; & de ces frais tableaux Les riantes couleurs dél affent fes pinceaux.
Et, lorfque pour Achille il prépare des armes, S'il y grave d'abord les fièges, les alarmes,
Le vainqueur tout poudreux, le vaincu tout fanglant, Sa main trace bientôt d'un burin confolant
La vigne, les troupeaux, les bois, les pâturages. Le héros fe revêt de ces douces images, Part, & porte à travers les affreux bataillons L'innocente vendange, & les riches moiffons. Chantre divin, je laiffe à tes muses altières Le foin de diriger ces phalanges guerrières; Diriger les jardins eft mon paifible emploi. Déja le fol docile a reconnu ma loi;
Des gazons l'ont couvert, & de sa main vermeille Flore fur leur tapis a versé sa corbeille.
Des bois ont couronné les rochers & les eaux. Maintenant, pour jouir de ces brillans tableaux, Dans ces champs découverts, fous des obfcures voûtes D'agréables fentiers vont me frayer des routes. Des fcènes à ma voix naîtront de toutes parts; Pour les orner enfin j'y conduirai les arts, Et le cifeau divin, la noble architecture Vont de ces lieux charmans achever la parure. Les fentiers, de nos pas guides ingénieux, Doivent, en les montrant, nous embellir ces lieux. Dans vos jardins naiffans je défends qu'on les trace. Dans vos plants achevés l'oeil choifit mieux leur place. Vers les plus beaux aspects sachez les diriger. Voyez, lorsque vous-même aux yeux de l'étranger Vous montrez vos travaux, votre art avec adreffe Va chercher ce qui plaît, évite ce qui blesse, Lui découvre en paffant des fites enchantés, Lui réserve au retour de nouvellės beautés,
« PreviousContinue » |