De vingt climats divers en un feul lieu raffemble Ces peuples végétaux furpris de croître ensemble, Qui, changeant à la fois de faifon & de lieu, Viennent tous à l'envi rendre hommage à Juffieu, L'Indien parcouroit leurs tribus réunies, Quand tout-à-coup, parmi ces vertes colonies, Un arbre qu'il connut dès fes plus jeunes ans Frappe les yeux. Soudain, avec des cris perçans Il s'élance, il l'embraffe, il le baigne de larmes, Le couvre de baifers. Mille objets pleins de charmes, Ces beaux champs, ce beau ciel qui le virent heureux, Le fleuve qu'il fendoit de fes bras vigoureux, La forêt dont fes traits perçoient l'hôte fauvage, Ces bananiers chargés & de fruits & d'ombrage Et le toît paternel, & les bois d'alentour, Ces bois qui répondoient à fes doux chants d'amour, Il croit les voir encore, & fon ame attendrie, Du moins pour un instant, retrouva sa patrie.
E chantois les jardins, les vergers & les bois. Quand le cri de Bellone a retenti trois fois. A ces cris, arrachés des foyers de leurs pères, Nos guerriers ont volé fur des mers étrangères, Et Mars a de Venus déferté les bofquets. Dieux des champs, Dieux amis de l'innocente paix, Ne craignez rien; Louis, au lieu de vous détruire, Veut fur des bords lointains étendre votre empire; Il veut qu'un peuple ami, trop long-temps opprimé, Recueille en paix le grain que fes mains ont fémé.
Et vous, jeunes guerriers qu'admire un autre monde, Je ne puis vers York, fur les gouffres de l'onde Suivre votre valeur, mais pour votre retour Ma mufe des jardins embellit le séjour.
Déjà j'ordonne aux fleurs de croître pour vos têtes Pour vous de myrtes verds des couronnes font prêtes Je prépare pour vous le murmure des eaux, Les tapis des gazons, les abris des berceaux, Où mollement affis, oubliant les alarmes, Tranquilles vous direz la gloire de nos armes, Tandis qu'entre la crainte & l'espoir fufpendus. Vos enfans frémiront d'un danger qui n'eft plus.
Achevons cependant d'orner ces frais afyles. Jadis dans nos jardins les fables infertiles, Triftes, fecs, & du jour réfléchissant les feux, Importunoient les pieds & fatiguoient les yeux. Tout étoit nu, brûlant; mais enfin l'Angleterre Nous apprit l'art d'orner & d'habiller la terre. Soignez donc ces gazons déployés fur fon fein. Sans ceffe l'arrofoir ou la faulx à la main, Défaltérez leur foif, tondez leur chevelure. Que le roulant cylindre en foule la verdure. Que toujours bien choisis, bien unis, bien ferrés, De l'herbe ufurpatrice avec foin délivrés Du plus tendre duvet ils gardent la finesse ; Et quelquefois enfin réparez leur vieilleffe. Réservez toute-fois aux lieux moins éloignés Ce luxe de verdure & ces gazons foignés. Du refte compofez une riche pâture,、
Et que vos feuls troupeaux en faffent la culture. Ainfi vous formerez des nourriffons nombreux, Desengrais pour vos champs, des tableaux pour vosyeux.
Ne rougiffez donc point, quoique l'orgueil en gronde, D'ouvrir vos parcs au boeuf, à la vache féconde, Qui ne dégrade plus ni vos parcs, ni mes vers. Mais c'est peu de créer ces vaftes tapis verds; Il en faut avec goût favoir choifir les formes. Craignez par eux l'ennui des cadres uniformes. En d'infipides ronds, ou d'ennuyeux quarrés, Je ne veux point les voir triftement refferrés. Un air de liberté fait leur premiere grace.
Que tantôt dans les bois, dont l'ombre les embraffe; D'un air mystérieux ils aillent fe cacher,
Et que tantôt les bois les reviennent chercher. Telle eft d'un beau gazon la forme fimple & pure. Voulez-vous mieux l'orner? Imitez la nature. Elle émaille les prés des plus riches couleurs. Hâtez-vous; vos jardins vous demandent des fleurs. Fleurs charmantes !par vous la nature eft plus belle; Dans les brillans tableaux l'art vous prend pour modèle, Simples tributs du cœur, vos dons font chaque jour Offerts par l'amitié, hafardés par l'amour. D'embellir la beauté vous obtenez la gloire; Le laurier vous permet de parer la victoire; Plus d'un hameau vous donne en prix à la pudeur. L'autel même où de Dieu repofe la grandeur, Se parfume au printemps de vos douces offrandes, Et la religion fourit à vos guirlandes.
Mais c'eft dans nos jardins qu'eft votre heureuxféjour, Filles de la rofée & de l'aftre du jour,
Venez donc de nos champs décorer le théâtre.
N'attendez pás pourtant qu'amateur idolâtre, Au lieu de vous jetter par touffes, par bouquets, J'aille de lits en lits, de parquets en parquets, De chaque fleur nouvelle attendre la naiffance, Obferver fes couleurs, épier leur nuance.
Je fais que dans Harlem plus d'un triste amateur Au fond de fes jardins s'enferme avec fa fleur, Pour voir fa renoncule avant l'aube s'éveille, D'une anémone unique adore la merveille, Ou, d'un rival heureux enviant le fecret, Achette au poids de l'or les taches d'un oeillet. Laiffez-lui fa manie & fon amour bizarre ;
Qu'il possède en jaloux & jouiffe en avare. Sans obéir aux loix d'un art capricieux
Fleurs, parure des champs & délices des yeux, De vos riches couleurs venez peindre la terre. Venez: mais n'allez pas dans les buis d'un parterre Renfermer vos appas triftement rélégués.
Que vos heureux tréfors foient par-tout prodigués. Tantôt de ces tapis émaillez la verdure; Tantôt de ces fentiers égayez la bordure; Formez-vous en bouquets; entourez ces berceaux; En Méandres brillans courez au bord des eaux, Ou tapiffez ces murs, ou dans cette corbeille Du choix de vos parfums embarrassez l'abeille. Que Rapin, vous suivant dans toutes les faifons, Décrive tous vos traits, rappelle tous vos nem$;
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