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Vous vante, en s'admirant, ses arbres bien peignés,
Ses petits fallons verds bien tondus, bien soignés;
Son plan bien fymmétrique, où, jamais folitaire,
Chaque allée a fa foeur, chaque berceau fon frère;
Ses fentiers ennuyés d'obéir au cordeau,

Son parterre brodé, fon maigre filet d'eau,
Ses buis tournés en globe, en pyramide, en vase,
Et fes petits bergers bien guindés fur leur base.
Laiffez-le s'applaudir de son luxe mesquin;
Je préfère un champ brut à fon triste jardin.

Loin de ces vains apprêts, de ces petits prodiges,
Venez, fuivez mon vol au pays des prestiges,
A ce pompeux Verfaille, à ce riant Marly,
Que Louis, la nature, & l'art ont embelli.
C'est là que tout eft grand, que l'art n'eft point timide;
Là, tout est enchanté. C'eft le palais d'Armide;
C'est le jardin d'Alcine, ou plutôt d'un héros
Noble dans fa retraite, & grand dans fon repos,
Quicherche encore à vaincre, à dompter des obftacles
Et ne marche jamais qu'entouré de miracles.
Voyez-vous & les eaux, & la terre, & les bois,
Subjugés à leur tour, obéir à fes loix;

A ces douze palais d'élégante structure
Ces arbres marier leur verte architecture;
Ces bronzes refpirer; ces fleuves fufpendus,

En

gros bouillons d'écume à grand bruit descendus Tomber, fe prolonger dans des canaux fuperbes ; Là, s'épancher en nappe; ici, monter en gerbes;

Et, dans l'air s'enflammant aux feux d'un foleil pur,
Pleuvoir en gouttes d'or, d'émeraude & d'azur?
Si j'égare mes pas dans ces bocages fombres,
Des Faunes, des Sylvains en ont peuplé les ombres,
Et Diane & Vénus enchantent ce beau lieu.
Tout bofquet eft un temple, & tout marbre eft un dieu;
Et Louis, refpirant du fracas des conquêtes,
Semble avoir invité tout l'Olympe à ses fêtes.
C'est dans ces grands effets que l'art doit se montrer.
Mais l'efprit aifément se laffe d'admirer.
J'applaudis l'orateur dont les nobles pensées
Roulent pompeufement, avec foin cadencées:
Mais ce plaisir eft court. Je quitte l'orateur
Pour chercher un ami qui me parle du cœur.
Du marbre, de l'airain que le luxe prodigue,
Des ornemens de l'art l'œil bientôt se fatigue;
Mais les bois, mais les eaux, mais les ombrages frais,
Tout ce luxe innocent ne fatigue jamais.

Aimez donc des jardins la beauté naturelle.
Dieu lui-même aux mortels en traça le modèle.
Regardez dans Milton, Quand fes puiffantes mains
Préparent un afyle aux premiers des humains;
Le voyez-vous tracer des routes régulières,
Contraindre dans leur cours les ondes prifonnières!
Le voyez-vous parer d'étrangers ornemens
L'enfance de la terre & fon premier printemps?
Sans contrainte, fans art, de fes douces prémices
La Nature épuifa les plus pures délices.

Des plaines, des côteaux le mêlange charmant,
Les ondes à leur choix errantes mollement,
Des fentiers finueux les routes indécises,
Le défordre enchanteur, les piquantes furprises,
Des aspects où les yeux héfitoient à choisir,
Varioient, fufpendoient, prolongeoient leur plaifir.
Sur l'émail velouté d'une fraîche verdure,
Mille arbres, de ces lieux ondoyante parure,
Charme de l'odorat, du goût & des regards,
Élégamment grouppés, négligemment épars,

Se fuyoient, s'approchoient, quelquefois à leur vue
Ouvroient dans le lointain une fcène imprévue ;
Où, tombant jufqu'à terre, & recourbant leurs bras,
Venoient d'un doux obftacle embarraffer leurs pas;
Ou pendoient fur leur tête en feftons de verdure,
Et de fleurs, en paffant, femoient leur chevelure.
Dirai-je ces forêts d'arbustes, d'arbriffeaux,
Entrelaçant en voûte, en alcove, en berceaux
Leurs bras voluptueux & leurs tiges fleuries?
C'est là que, les yeux pleins de tendres rêveries,
Eve à fon jeune époux abandonna sa main,
Et rougit comme l'aube aux portes du matin.
Tout les félicitoit dans toute la nature,

Lé ciel
par fon éclat, l'onde par fon murmure.
La terre, en treffaillant, reffentit leurs plaifirs;
Zéphyre aux antres verds redifoit leurs foupirs;
Les arbres frémiffoient, & la rose inclinée
Verfoit tous fes parfums fur le lit d'hyménée.

O bonheur ineffable! ô fortunés époux!

Heureux dans fes jardins, heureux qui, comme vous, Vivroit, loin des tourmens où l'orgueil eft en proie, Riche de fruits, de fleurs, d'innocence & de joie !

FIN DU PREMIER CHANT.

LES JARDINS,

CHANT SECOND.

OH! fi j'avois ce luth dont le charme autrefois

Entraînoit fur l'Hémus les rochers & les bois,
Je le ferois parler; & fur les paysages

Les arbres tout-à-coup déploîroient leurs ombrages.
Le chêne, le tilleul, le cèdre & l'oranger
En cadence viendroient dans mes champs se ranger.
Mais l'antique harmonie a perdu ses merveilles;
La lyre eft fans pouvoir, les rochers fans oreilles;
L'arbre refte immobile aux fons les plus flatteurs,
Et l'art & le travail font les feuls enchanteurs

Apprenez donc de l'art quel foin & quelle adreffe Donne aux arbres divers la grace ou la richeffe.

Parfes fruits, par fes fleurs, par fon beau vêtement, L'arbre eft de nos jardins le plus bel ornement.

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