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Ainfi favoient choisir les Berghems, les Pouffins.
Voyez, étudiez leurs chef-d'œuvres divins:
Et ce qu'à la campagne emprunta la peinture,
Que l'art reconnoiffant le rende à la nature.

Maintenant des terreins examinons le choix,
Et quels lieux fe plairont à recevoir vos loix.
Il fut un temps funefte où, tourmentan: la terre,
Aux fites les plus beaux l'art déclaroit la guerre,
Et, comblant les vallons & rafant les côteaux,
D'un fol heureux formoit d'infipides plateaux.
Par un contraire abus l'art, tyran des campagnes,
Aujourd'hui veut créer des vallons, des montagnes.
Évitez ces excès. Vos foins infructueux
Vainement combattroient un terrein montueux;
Et dans un fol égal, un humble monticule
Veut être pittorefque, & n'eft que ridicule.
Défirez-vous un lieu propice à vos travaux ?
Loin des champs trop unis, des monts trop inégaux,
J'aimerois ces hauteurs, où fans orgueil domine
Sur un riche vallon une belle colline.
Là, le terrein eft doux fans infipidité,
Élevé fans roideur, fec fans aridité.

Vous marchez: l'horizon vous obéit. La terre
S'élève ou redescend, s'étend ou se refferre.
Vos fites, vos plaifirs changent à chaque pas.
Qu'un obfcur arpenteur, armé de fon compas,
Au fond d'un cabinet, d'un jardin fymmétrique
Confie au froid papier le plan géométrique ;

Vous,

Vous, venez fur les lieux. Là, le crayon en main, Deffinez ces afpects, ces côteaux, ce lointain; Devinez les moyens, preffentez les obstacles: C'eft des difficultés que naiffent les miracles.

Le fol le plus ingrat connoîtra la beauté. Eft-il nu? que des bois parent sa nudité: Couvert? portez la hache en ces forêts profondes: Humide? en lac pompeux, en rivières fécondes Changez cette onde impure; &, par d'heureux travaux, Corrigez à la fois l'air, la terre & les eaux : Aride enfin? cherchez, fondez, fouillez encore; L'eau, lente à fe trahir, peut-être eft près d'éclore, Ainfi d'un long effort moi-même rebuté, Quand j'ai d'un froid détail maudit l'aridité, Soudain un trait heureux jaillit d'un fond ftérile, Et mon vers ranimé coule enfin plus facile.

Ileft des foins plus doux, un art plus enchanteur. C'eft peu de charmer l'œil, il faut parler au cœur. Avez-vous donc connu ces rapports invisibles Des corps inanimés & des êtres sensibles? Avez-vous entendu des eaux, des prés, des bois, La muette éloquence & la fecrette voix ? Rendez-nous ces effets. Que du riant au fombre, Du noble au gracieux, les paffages fans nombre M'intéreffent toujours. Simple & grand, fort & doux, Uniffez tous les tons pour plaire à tous les goûts. Là, que le peintre vienne enrichir fa palette; Que l'inspiration y trouble le poète;

B

Que le fage, du calme y goûte les douceurs;
L'heureux, fes fouvenirs; le malheureux, fes pleurs.
Mais l'audace eft commune, & le bon fens eft rare.
Au lieu d'être piquant, fouvent on eft bizarre.
Gardez que, mal unis, ces effets différens
Ne forment qu'un chaos de traits incohérens:
Les contradictions ne font pas des contraftes.
D'ailleurs, à ces tableaux il faut des toiles vaftes.
N'allez pas refferrer dans des cadres étroits
Des rivières, des lacs, des montagnes, des bois.
On rit de ces jardins, abfurde parodie

Des traits que jette en grand la nature hardie,
Où l'art, invraisemblable à la fois & groffier,
Enferme en un arpent un pays tout entier.

Au lieu de cet amas, de ce confus mélange,
Variez les objets, ou que leur afpect change.
Rapprochés, éloignés, entrevus, découverts,
Qu'ils offrent tour-à-tour vingt spectacles divers.
Que de l'effet qui fuit, l'adroite incertitude
Laiffe à l'oeil curieux fa douce inquiétude;
Qu'enfin les ornemens avec goût foient placés,
Jamais trop imprévus, jamais trop annoncés.

Sur-tout, du mouvement: fans lui, fans sa magie,
L'efprit défoccupé retombe en léthargie;

Sans lui, fur vos champs froids mon oil gliffe au hasard.
Des grands peintres encor faut-il attefter l'art?
Voyez-les prodiguer de leur pinceau fertile

De mobiles objets fur la toile immobile,

L'onde qui fuit, le vent qui courbe les rameaux,
Les globes de fumée exhalés des hameaux,

Les troupeaux, les pafteurs, & leurs jeux & leur danse.
Saififfez leur fecret. Plantez en abondance

Ces fouples arbrisseaux, & ces arbres mouvans
Dont la tête obéit à l'haleine des vents;

Quels qu'ils foient, refpectez leur flottante verdure,
Et défendez au fer d'outrager la nature.

Voyez-la deffiner ces chênes, ces ormeaux.
Voyez comment fa main, du tronc jufqu'aux rameaux,
Des rameaux au feuillage augmentant leur foupleffe,
Des ondulations leur donna la moleffe.

Mais les cifeaux cruels.... Prévenez ce forfait,
Nymphes des bois, courez. Que dis-je? c'en eft fait.
L'acier a retranché leur cime verdoyante.

Je n'entends plus au loin, fur leur tête ondoyante,
Le rapide aquilon légèrement courir,

Frémir dans leurs rameaux, s'éloigner, & mourir.
Froids, monotones, morts, du fer qui les mutile
Ils femblent avoir pris la roideur immobile.

Vous donc, dans vos tableaux amis du mouvement,
A vos arbres laiffez leur doux balancement.
Qu'en mobiles objets la perfpective abonde:
Faites courir, bondir & rejaillir cette onde.
Vous voyez ces vallons, ces bois, ces champs déferts;
Des différens troupeaux dans les fites divers
Envoyez, répandez les peuplades nombreuses.
Là, du fommet lointain des roches buiffonneufes,

Je vois la chèvre pendre. Ici, de mille agneaux
L'écho porte les cris de côteaux en côteaux.
Dans ces prés abreuvés des eaux de la colline,
Couché fur fes genoux, le boeuf pefant rumine;
Tandis qu'impétueux, fier, inquiet, ardent,
Cet animal guerrier qu'enfanta le trident,
Déploie, en fe jouant, dans un gras pâturage,
Sa vigueur indomptée & fa grace fauvage.
Que j'aime & fa foupleffe & fon port animé;
Soit que dans le courant du fleuve accoutumé
En friffonnant il plonge, &, luttant contre l'onde,
Batte du pied le flot qui blanchit & qui gronde;
Soit qu'à travers les prés il s'échappe par bonds;
Soit que, livrant aux vents fes longs crins vagabonds,
Superbe, l'œil en feu, les narrines fumantes,
Beau d'orgueil & d'amour, il vole à ses amantes!
Quand je ne le vois plus, mon œil le fuit encor.
Ainfi de la nature épuisant le tréfɔr,

Le terrein, les aspects, les eaux, & les ombrages
Donnent le mouvement, la vie aux paysages.

Mais, fi du mouvement notre œil eft enchanté,
Il ne chérit pas moins un air de liberté.
Laiffez donc des jardins la limite indécife,
Et que votre art l'efface, ou du moins la déguise.
Où l'œil n'espère plus, le charme disparoît.
Aux bornes d'un beau lieu nous touchons à
Bientôt il nous ennuie, & même nous irrite.
Au-delà de ces murs, importune limite,

regret:

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