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légitime, et en abusait pour la ruine manifeste de la communauté, le peuple pourrait user de son droit naturel de légitime défense; car il ne s'en est jamais dépouillé. Hors ces cas et d'autres semblables, il n'est jamais permis au peuple, sous prétexte de sa puissance originaire, de manquer à son roi légitime, et ainsi cesse tout motif et toute occasion de révolte.

« Par la même raison, il n'est pas permis au peuple, une fois sujet, de restreindre la puissance du roi plus qu'elle ne l'a été d'abord. Cela serait contraire à cette loi de justice qui oblige de garder les pactes légitimes et qui défend de révoquer, soit en tout, soit seulement en partie, une donation absolue, une fois qu'elle a été faite validement, surtout quand cette donation est onéreuse. Bien plus, le peuple ne peut pas, sous prétexte de sa puissance, abroger les lois justes du prince; il ne le peut que du consentement du prince, exprès ou tacite, comme l'enseigne saint Thomas. C'est pourquoi il n'est pas vrai de dire purement et simplement (simpliciter) que le roi dépend du peuple dans l'exercice de sa puissance, alors même qu'il a reçu cette puissance du peuple; car il a pu en dépendre in fieri, comme on dit, et cependant n'en plus dépendre quant à la conservation de cette puissance, in conservari, s'il l'a reçue pleinement et absolument. Ainsi, après qu'un roi a été légitimement constitué, il a la puissance suprême sur toutes les choses pour lesquelles il l'a reçue, quand bien même il la tiendrait du

peuple, car, nous l'avons montré, la loi de justice. l'exige'.

« La forme monarchique est de toutes les formes de gouvernement la plus parfaite (optima), comme le cardinal Bellarmin l'a montré avec érudition, par les témoignages des Pères, des théologiens, des philosophes et des historiens. Bien que le pouvoir soit de droit naturel, sa détermination à un certain mode dépend du libre arbitre des hommes qui peuvent établir des monarchies, des aristocraties, des démocraties ou toute autre forme mixte. Le droit naturel n'oblige pas à choisir une de ces formes plutôt qu'une autre. Il est certain que la forme monarchique est la plus parfaite. Le gouvernement du monde est une monarchie dont Dieu est le roi; et l'Église aussi est une monarchie. Or, l'on doit croire que Jésus-Christ a choisi la forme la plus parfaite. Aussi est-ce la forme la plus générale; mais les autres formes ne sont pas mauvaises en elles-mêmes; elles sont bonnes, utiles, et quelquefois nécessaires, l'état d'une société étant donné; il est donc libre aux hommes de les choisir; et, en effet, nous voyons dans le monde à cet égard une grande variété 2. »

Bellarmin tient le même langage que Suarez. Nous n'en citerons qu'un passage: « La puissance réside

1 Suarez, Defensio fidei catholicæ adversus anglicanæ sectæ errores, cap. 3.

Ibid., De legibus, lib. 3, cap. 4.

immédiatement dans toute la multitude, puisqu'elle est de droit divin. Le droit divin n'a donné en particulier cette puissance à aucun homme; donc il l'a donnée à la multitude. D'ailleurs, le droit positif étant ôté, il n'y a pas de raison entre un grand nombre d'hommes égaux pour que l'un domine plutôt que l'autre. Donc la puissance est de toute la multitude..... Les formes du gouvernement sont du droit des gens, non du droit naturel; puisqu'il dépend du consentement de la multitude de se constituer par elle-même un roi, des consuls ou autres magistrats, comme cela est clair; et, moyennant une cause légitime, la multitude peut changer une royauté en aristocratie ou en démocratie, et vice versa, comme nous lisons cela se fit à Rome'. »

que

Toute la tradition se trouve résumée dans les textes que nous venons de citer. Il nous serait facile d'invoquer ici, à l'appui des mêmes principes, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Isidore de Séville, saint Thomas, Cajetan, Soto, Navarre, Covarruvias, Castro, Molina, Bellarmin, Charlas, Fénelon, Bianchi, Schwars, Comina, Billuart, saint Liguori, Mamaché et tant d'autres que nous pourrions encore nommer.

Mais nous avons hâte de conclure. Il résulte des textes de Suarez et de Bellarmin que la souveraineté appartient à la communauté de droit naturel, et par

De Laicis, lib. 3, cap. 6.

cela même de droit divin, en ce sens qu'on peut dire que ce qui est de droit naturel est aussi de droit divin. Il en résulte encore que les formes monarchique et aristocratique ne sont que de droit positif, du droit des gens, comme dit Bellarmin. De là cette conséquence, que le pouvoir souverain émane du consentement exprès ou tacite du peuple qui peut le changer ou le modifier dans certaines circonstances; et celte autre conséquence, que les formes monarchique et aristocratique ne tirent leur légitimité, leur raison d'être d'elles-mêmes, mais de l'intérêt de la communauté pour laquelle elles sont faites. Suarez, et en général les autres docteurs, trouvent que la forme monarchique est la meilleure, mais ils s'empressent de reconnaître que cela n'est pas vrai d'une manière absolue, et que les autres formes de gouvernement, loin d'être mauvaises en elles-mêmes, sont bonnes, utiles, et quelquefois même nécessaires, l'état d'une société étant donné. Ces docteurs sont encore unanimes pour enseigner que la souveraineté, quand elle a été déléguée par le peuple, n'est inamissible; que pas la communauté peut la reprendre si le souverain en abuse d'une manière intolérable; et que la nation rentre alors dans ses droits et peut constituer la forme de gouvernement qui lui convient le mieux.

On peut donc, sans s'écarter de la tradition chrétienne et en s'y conformant au contraire de la manière la plus scrupuleuse, croire et soutenir que la forme

rois ont

donner pu

par

démocratique est une forme bonne, utile et même nécessaire, vu l'état actuel de la société. On peut encore penser, sans être le moins du monde un anarchiste, que la nation est rentrée dans ses droits, et que la forme démocratique, qui est aujourd'hui la forme légale, a été substituée par le peuple à la forme monarchique, pour une cause légitime, à raison des scandales que les la dissolution de leurs mœurs, par leurs injustices, par leur mauvais vouloir dans certaines questions populaires, et ces perpétuelles fins de non-recevoir, où respiraient la ruse et la mauvaise foi, qu'ils ont tant de fois opposées aux demandes les plus justes, les plus légitimes de l'Église. On peut soutenir encore, sans être trop hasardé, que ces mêmes rois ont mérité le châtiment que la Providence leur a infligé pour les punir de leur connivence avec les hommes corrompus qui s'étaient fait un jeu de toutes nos croyances, et n'ont guère songé, malgré la longue durée de leur domination, à rien faire qui pût améliorer la condition de leurs semblables moins bien partagés qu'eux du côté des faveurs de la fortune et du pouvoir.

Les feuilles de la Gauche, qui nous reprochent avec tant de persistance d'être toujours en arrière des idées de notre temps, peuvent sans doute invoquer contre nous ces passages des docteurs où il est dit que la royauté est la meilleure forme de gouvernement. Mais qu'elles songent que ces docteurs vivaient à une

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