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minante des cantons démocratiques de la Suisse et de toutes les républiques d'Italie.

Sans doute, la scission qui s'opéra dans le christianisme influa beaucoup sur les affaires politiques, mais indirectement. La Hollande et l'Angleterre ne doivent pas précisément leur révolution à tel système religieux plutôt qu'à tel autre; mais à l'énergie que les querelles religieuses rendirent aux hommes, et au fanatisme qu'elles leur inspirèrent.

Jamais, dit un historien célèbre, sans le zèle et l'enthousiasme qu'elles firent naître, l'Angleterre ne fût venue à bout d'établir la nouvelle forme de son gouvernement.

Ce que dit cet historien de l'Angleterre s'applique à la Hollande, qui n'eût jamais tenté de se soustraire à la domination espagnole, si elle n'eût craint qu'on ne lui laisserait pas la faculté de professer sa nouvelle doctrine.

Tant qu'en Bohême et en Hongrie les esprits ont été échauffés par les querelles de religion, ces deux États ont été libres; cependant ils combattaient pour le catholicisme. Sans ces mêmes querelles, l'Allemagne n'aurait peut-être pas conservé son gouvernement. C'est le trône qui a protégé le luthéranisme en Suède; c'est la liberté qui a protégé le catholicisme ailleurs; mais l'exaltation des âmes, qui accompagne toujours les disputes de religion, quel que soit le fond de la doctrine que l'on soutient ou que l'on combat, a contribué à rendre libres des peuples qui, sans un grand intérêt religieux, n'eussent eu ni la force, ni le projet de le devenir.

Sur cette matière, le système de Montesquieu est donc démenti par l'histoire.

La plupart de ceux qui ont embrassé ce système, c'est-à-dire qui ont pensé que le catholicisme est la religion favorite des monarchies absolues, croient pouvoir le motiver sur les fausses doctrines de la prétendue infaillibilité du pape, et du pouvoir arbitraire que les théologiens ultramontains lui attribuent. Mais il n'est pas plus raisonnable d'argumenter de ces doc

M. Hume.

trines, pour établir que le despotisme est dans l'esprit de la religion catholique, qu'il ne le serait d'argumenter des doctrines exagérées des anabaptistes sur la liberté et sur l'égalité, pour établir que le protestantisme, en général, est l'ami de l'anarchie, et qu'il est inconciliable avec tout gouvernement bien ordonné.

D'après les vrais principes catholiques, le pouvoir souverain en matière spirituelle réside dans l'Église et non dans le pape, comme d'après les principes de notre ordre politique, la souveraineté en matière temporelle réside dans la nation et non dans un magistrat particulier. Rien n'est arbitraire dans l'administration ecclésiastique; tout doit s'y faire par conseil : l'autorité du pape n'est que celle d'un chef, d'un premier administrateur qui exécute, et non celle d'un maître qui veut, et qui propose ses volontés comme des lois.

Rien n'est moins propre à favoriser et à naturaliser les idées de servitude et de despotisme que les maximes d'une religion qui interdit toute domination à ses ministres, qui nous fait un devoir de ne rien admettre sans examen, qui n'exige des hommes qu'une obéissance raisonnable, et qui ne veut les régir que dans l'ordre du mérite et de la liberté.

On ne peut voir, dans l'autorité réglée que les pasteurs de l'église catholique exercent séparément ou en corps, qu'un moyen, non d'asservir les esprits, mais d'empêcher qu'ils ne s'égarent sur des points abstraits et contentieux de doctrine, et de prévenir ou de terminer des dissensions orageuses, et des disputes qui n'auraient pas de terme.

Les gouvernements ont un si grand besoin de savoir à quoi s'en tenir sur les doctrines religieuses, que, dans les communions qui reconnaissent dans chaque individu le droit d'expliquer les Écritures, on se lie en corps par des professions publiques qui ne varient point, ou qui ne peuvent varier sans l'observation de certaines formes capables de rassurer les gouvernements contre toute innovation nuisible à la société.

Enfin, un des grands reproches que l'on fait au catholi

cisme, consiste à dire qu'il maudit tous ceux qui sont hors de son sein, et qu'il devient par là intolérant et insociable.

Nous n'avons point à parler en théologiens du principe des catholiques sur le sort de ceux qui sont hors de leur église. Montesquieu n'a vu dans ce principe qu'un motif de plus d'être attaché à la religion qui l'établit et qui l'enseigne. « Car, dit-il, quand une religion nous donne l'idée d'un choix fait par la divinité, et d'une distinction de ceux qui la professent d'avec ceux qui ne la professent pas, cela nous attache beaucoup à cette religion. >>

Nous ajouterons, avec le même auteur, que, pour juger si un dogme est utile ou pernicieux dans l'ordre civil, il faut moins examiner ce dogme en lui-même que dans les conséquences que l'on est autorisé à en déduire, et qui déterminent l'usage et l'abus que l'on en fait.

« Les dogmes les plus vrais et les plus saints peuvent avoir « de très-mauvaises conséquences, lorsqu'on ne les lie pas « avec les principes de la société; et au contraire, les dogmes « les plus faux en peuvent avoir d'admirables, lorsqu'on sait « qu'ils se rapportent aux mêmes principes.

« La religion de Confucius nie l'immortalité de l'âme, et a la secte de Zénon ne la croyait pas. Qui le dirait? ces deux « sectes ont tiré de leurs mauvais principes des conséquences « non pas justes, mais admirables pour la société. La reli« gion des Tao et des Foé croit l'immortalité de l'âme ; mais « de ce dogme si saint, ils ont tiré des conséquences affreuses.

« Presque par tout le monde, et dans tous les temps, l'opi«nion de l'immortalité de l'âme, mal prise, a engagé les « femmes, les esclaves, les sujets, les amis, à se tuer pour « aller servir dans l'autre monde l'objet de leur respect ou a de leur amour.

« Ce n'est point assez pour une religion d'établir un dogme, « il faut encore qu'elle le dirige. »

C'est ce qu'a fait la religion catholique pour tous les dogmes qu'elle enseigne, en ne séparant pas ces dogmes de la morale pure et sage, qui doit en régler l'influence et l'application.

Ainsi, des prêtres fanatiques ont abusé et pourront abuser encore du dogme catholique sur l'unité de l'Église, pour maudire leurs semblables et pour se montrer durs et intolérants mais ces prêtres sont alors coupables aux yeux de la religion même; et la philosophie, qui a su les empêcher d'être dangereux, a bien mérité de la religion, de l'humanité et de la patrie.

Les ministres du culte catholique ne pourraient prêcher l'intolérance, sans offenser la raison, sans violer les principes de la charité universelle, sans être rebelles aux lois de la république, et sans mettre leur doctrine en opposition avec la conduite de la Providence; car, si la Providence eût raisonné comme les fanatiques, elle eût, après avoir choisi son peuple, exterminé tous les autres. Elle souffre pourtant que la terre se peuple de nations qui ne professent pas toutes le même culte, et dont quelques-unes sont même encore plongées dans les ténèbres de l'idolâtrie. Ceux-là seraient-ils sages, qui annonceraient la prétention de vouloir être plus sages que la Providence même ?

La doctrine catholique, bien entendue, n'offre donc rien qui puisse alarmer une saine philosophie; et il faut convenir qu'à l'époque où la révolution a éclaté, le clergé, plus instruit, était aussi devenu plus tolérant. Cesserait-il de l'être, après tant d'événements qui l'ont forcé à réclamer pour luimême les égards, les ménagements, la tolérance qu'on lui demandait autrefois pour les autres?

Aucun motif raisonnable ne s'opposait donc à l'organisation d'un culte qui a été longtemps celui de l'État, qui est encore celui de la très-grande majorité du peuple français, et pour lequel tant de motifs politiques sollicitaient cette protection de surveillance, sans laquelle il eût été impossible de mettre un terme aux troubles religieux, et d'assurer le maintien d'une bonne police dans la république.

Mais comment organiser un culte déchiré par le plus cruel de tous les schismes?

On avait déjà fait un grand pas en reconnaissant la pri

matie spirituelle du pontife de Rome, et en consentant qu'il ne fût rien changé dans les rapports que le dernier état de la discipline ecclésiastique a établis entre ce pontife et les autres pasteurs.

Mais il fallait des moyens d'exécution.

Comment accorder les différents titulaires qui étaient à la tête du même diocèse, de la même paroisse, et dont chacun croyait être seul le pasteur légitime de cette paroisse ou de ce diocèse ?

Les questions qui divisaient les titulaires n'étaient pas purement théologiques : elles touchaient à des choses qui intéressent les droits respectifs du sacerdoce et de l'empire; elles étaient nées des lois que la puissance civile avait promulguées sur les matières ecclésiastiques. Il n'était pas possible de terminer par les voies ordinaires des dissensions qui, relatives à des objets mêlés avec l'intérêt de l'État, avec les prérogatives de la souveraineté nationale, n'étaient pas susceptibles d'être décidées par un jugement doctrinal, et qui ne pouvaient conséquemment avoir que le triste résultat d'inquiéter la conscience du citoyen, ou de faire suspecter sa fidélité.

Une grande mesure devenait nécessaire. Il fallait arriver jusqu'à la racine du mal, et obtenir simultanément les démissions de tous les titulaires, quels qu'ils fussent. Ce prodige préparé par la confiance que la sagesse du gouvernement avait su inspirer, et par l'ascendant que l'éclat de ses succès en tout genre lui assurait sur les esprits et sur les cœurs, s'est opéré, avec l'étonnement et l'admiration de l'Europe, à la voix consolante de la religion, et au doux nom de la patrie.

Par là, tout ce qui est utile et bon est devenu possible; et les sacrifices que la force n'avait jamais pu arracher, nous ont été généreusement offerts par le patriotisme, par la conscience et par la liberté.

Que donne l'État en échange de tous ces sacrifices? Il donne à ceux qui seront honorés de son choix, le droit de faire du bien aux hommes, en exerçant les augustes fonctions de leur

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