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les âmes, froissées par les événements publics, sont plus sujettes à devenir les jouets du mensonge et de l'imposture? Est-ce dans un tel moment, qu'un gouvernement bien avisé consentirait à courir le risque de voir tomber le ressort de la religion dans des mains suspectes ou ennemies?

Dans les temps les plus calmes, il est de l'intérêt des gouvernements de ne point renoncer à la conduite des affaires religieuses. Ces affaires ont toujours été rangées, par les différents codes des nations, dans les matières qui appartiennent à la haute police de l'État.

Un État n'a qu'une autorité précaire, quand il a dans son territoire des hommes qui exercent une grande influence sur les esprits et sur les consciences, sans que ces hommes lui appartiennent au moins sous quelques rapports.

L'autorisation d'un culte suppose nécessairement l'examen des conditions suivant lesquelles ceux qui le professent se lient à la société, et suivant lesquelles la société promet de l'autoriser. La tranquillité publique n'est point assurée, si l'on néglige de savoir ce que sont les ministres de ce culte, ce qui les caractérise, ce qui les distingue des simples citoyens et des ministres des autres cultes; si l'on ignore sous quelle discipline ils entendent vivre, et quels règlements ils promettent d'observer. L'État est menacé, si ces règlements peuvent être faits ou changés sans son concours, s'il demeure étranger ou indifférent à la forme et à la constitution du gouvernement qui se propose de régir les âmes, et s'il n'a dans des supérieurs légalement connus et avoués, des garants de la fidélité des inférieurs.

On peut abuser de la religion la plus sainte. L'homme qui se destine à la prêcher, en abusera-t-il, ou n'en abusera-t-il pas? S'en servira-t-il pour se rendre utile ou pour nuire? Voilà la question. Pour la résoudre, il est assez naturel de demander quel est cet homme, de quel côté sont ses intérêts, quels sont ses sentiments, comment il s'est servi jusqu'alors de ses talents et de son ministère. Il faut donc l'État que naisse d'avance ceux qui seront employés. Il ne doit point

con

attendre tranquillement l'usage qu'ils feront de leur influence; il ne doit point se contenter de vaines formules ou de simples présomptions, quand il s'agit de pourvoir à sa conservation et à sa sûreté.

On comprend donc que ce n'était qu'en suivant, par rapport aux différents cultes, le système d'une protection éclairée, qu'on pouvait arriver au système bien combiné d'une surveillance utile. Car, nous l'avons déjà dit, protéger un culte, ce n'est point chercher à le rendre dominant ou exclusif; c'est seulement veiller sur sa doctrine et sur sa police, pour que l'État puisse diriger des institutions si importantes vers la plus grande utilité publique, et pour que les ministres ne puissent corrompre la doctrine confiée à leur enseignement, ou secouer arbitrairement le joug de la discipline, au grand préjudice des particuliers et de l'État.

Le gouvernement, en sentant la nécessité d'intervenir directement dans les affaires religieuses par les voies d'une surveillance protectrice, et en considérant les scandales et les schismes qui désolaient le culte catholique, professé par la très-grande majorité de la nation française, s'est d'abord occupé des moyens d'éteindre ces schismes et de faire cesser ces scandales.

Nécessité d'éteindre le schisme qui existait entre les ministres catholiques, et utilité de l'intervention du pape pour pouvoir remplir ce but.

Un schisme est, par sa nature, un germe de désordre qui se modifie de mille manières différentes, et qui se perpétue à l'infini. Chaque titulaire, l'ancien, le nouveau, le plus nouveau, ont chacun leurs sectateurs dans le même diocèse, dans la même paroisse, et souvent dans la même famille. Ces sortes de querelles sont bien plus tristes que celles qu'on peut avoir sur le dogme, « parce qu'elles sont comme une hydre « qu'un nouveau changement de pasteur peut à chaque « instant reproduire. »

D'autre part, toutes les querelles religieuses ont un caractère qui leur est propre. « Dans les disputes ordinaires, dit « un philosophe moderne, comme chacun sent qu'il peut se << tromper, l'opiniâtreté et l'obstination ne sont pas extrêmes; << mais dans celles que nous avons sur la religion, comme « par la nature de la chose chacun croit être sûr que son << opinion est vraie, nous nous indignons contre ceux qui, << au lieu de changer eux-mêmes, s'obstinent à nous faire << changer. >>

D'après ces réflexions, il est clair que les théologiens sont par eux-mêmes dans l'impossibilité d'arranger leur différends. Heureusement, les théologiens catholiques reconnaissent un chef, un centre d'unité, dans le pontife de Rome. L'intervention de ce pontife devenait donc nécessaire pour terminer des querelles jusqu'alors interminables.

De là, le gouvernement conçut l'idée de s'entendre avec le Saint-Siége.

La constitution civile du clergé, décrétée par l'Assemblée constituante, n'y mettait aucun obstacle, puisque cette constitution n'existait plus. On ne pouvait la faire revivre sans perpétuer le schisme qu'il fallait éteindre. Le rétablissement de la paix était pourtant le grand objet; et il suffisait de combiner les moyens de ce rétablissement avec la police de l'État et avec les droits de l'Empire.

Il faut sans doute se défendre contre le danger des opinions ultramontaines, et ne pas tomber imprudemment sous le joug de la cour de Rome; mais l'indépendance de la France catholique n'est-elle pas garantie par le précieux dépôt de nos anciennes libertés ?

L'influence du pape, réduite à ses véritables termes, ne saurait être incommode à la politique. Si quelquefois on a cru utile de relever les droits des évêques pour affaiblir cette influence, quelquefois aussi il a été nécessaire de la réclamer et de l'accréditer contre les abus que les évêques faisaient de leurs droits.

En général, il est toujours heureux d'avoir un moyen canonique et légal d'apaiser des troubles religieux.

Plan de la convention passée entre le gouvernement et le pape.

Les principes du catholicisme ne comportent pas que le chef de chaque État politique puisse, comme chez les luthériens, se déclarer chef de la religion; et dans les principes d'une saine politique, on pourrait penser qu'une telle réunion des pouvoirs spirituels et temporels dans les mêmes mains, n'est pas sans danger pour la liberté.

L'histoire nous apprend que, dans certaines occurrences, des nations catholiques ont établi des patriarches ou des primats pour affaiblir ou pour écarter l'influence directe de tout supérieur étranger.

Mais une telle mesure était impraticable dans les circonstances; elle n'a jamais été employée que dans les États où on avait sous la main une église nationale, dont les ministres n'étaient pas divisés, et qui réunissait ses propres efforts à ceux du gouvernement pour conquérir son indépendance.

D'ailleurs, il n'est pas évident qu'il soit plus utile à un État dans lequel le catholicisme est la religion de la majorité, d'avoir dans son territoire un chef particulier de cette religion, que de correspondre avec le chef général de l'Église.

Le chef d'une religion, quel qu'il soit, n'est point un personnage indifférent. S'il est ambitieux, il peut devenir conspirateur; il a le moyen d'agiter les esprits; il peut en faire naître l'occasion : quand il résiste à la puissance séculière, il la compromet dans l'opinion des peuples. Les dissensions qui s'élèvent entre le sacerdoce et l'empire, deviennent plus sérieuses. L'Église, qui a son chef toujours présent, forme réellement un État dans l'État : selon les occurrences, elle peut même devenir une faction. On n'a point ces dangers à craindre d'un chef étranger, que le peuple ne voit pas, qui ne peut jamais naturaliser son crédit, comme pourrait le faire un

pontife national; qui rencontre dans les préjugés, dans les mœurs, dans le caractère, dans les maximes d'une nation dont il ne fait pas partie, des obstacles à l'accroissement de son autorité; qui ne peut manifester des prétentions sans réveiller toutes les rivalités et toutes les jalousies; qui est perpétuellement distrait de toute idée de domination particulière par les embarras et les soins de son administration universelle; qui peut toujours être arrêté et contenu par les moyens que le droit des gens comporte, moyens qui, bien ménagés, n'éclatent qu'au dehors, et nous épargnent ainsi les dangers et le scandale d'une guerre à la fois religieuse et domestique.

Les gouvernements des nations catholiques se sont rarement accommodés de l'autorité et de la présence d'un patriarche ou d'un premier pontife national; ils préfèrent l'autorité d'un chef éloigné, dont la voix ne retentit que faiblement, et qui a le plus grand intérêt à conserver des égards et des ménagements pour des puissances dont l'alliance et la protection lui sont nécessaires.

Dans les communions qui ne reconnaissent point de chef universel, le magistrat politique s'est attribué les fonctions et la qualité de chef de la religion; tant on a senti combien l'exercice de la puissance civile pourrait être traversé s'il y avait dans un même territoire deux chefs, l'un pour le sacerdoce et l'autre pour l'empire, qui pussent partager le respect du peuple, et quelquefois même rendre son obéissance incertaine. Mais n'est-il pas heureux de se trouver dans un ordre de choses où l'on n'ait pas besoin de menacer la liberté pour rassurer la puissance?

Dans la situation où nous sommes, le recours au chef général de l'Église était donc une mesure plus sage que l'érection d'un chef particulier de l'Église catholique de France; cette mesure était même la seule possible.

Pour investir en France le magistrat politique de la dictature sacerdotale, il eût fallu changer le système religieux de la très-grande majorité des Français. On le fit en Angleterre

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