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rend présentes à chaque individu, qui les perpétue en les liant à des établissements permanents et durables, et qui leur communique ce caractère d'autorité et de popularité sans lequel elles seraient étrangères au peuple, c'est-à-dire à presque tous les hommes?

Écoutons la voix de tous les citoyens honnêtes qui, dans les assemblées départementales, ont exprimé leur vœu sur ce qui se passe depuis dix ans sous leurs yeux.

« Il est temps, disent-ils', que les théories se taisent de« vant les faits. Point d'instruction sans éducation, et point « d'éducation sans morale et sans religion.

« Les professeurs ont enseigné dans le désert, parce qu'on « a proclamé imprudemment qu'il ne fallait jamais parler de « religion dans les écoles.

« L'instruction est nulle depuis dix ans il faut prendre la « religion pour base de l'éducation.

« Les enfants sont livrés à l'oisiveté la plus dangereuse, au « vagabondage le plus alarmant.

«Ils sont sans idée de la divinité, sans notion du juste et a de l'injuste. De là des mœurs farouches et barbares, de là « un peuple féroce.

« Si l'on compare ce qu'est l'instruction avec ce qu'elle de« vrait être, on ne peut s'empêcher de gémir sur le sort qui « menace les générations présentes et futures. »>

Ainsi toute la France appelle la religion au secours de la morale et de la société.

Ce sont les idées religieuses qui ont contribué plus que toute autre chose à la civilisation des hommes; c'est moins par nos idées que par nos affections que nous sommes sociables; or, n'est-ce pas avec les idées religieuses que les premiers législateurs ont cherché à modérer et à régler les passions et les affections humaines.

Comme ce ne sont guère des hommes corrompus ou des hommes médiocres qui ont bâti des villes et fondé des em

'Analyse des procès-verbaux des conseils généraux des départements.

pires, on est bien fort quand on a pour soi la conduite et les plans des instituteurs et des libérateurs des nations. En est-il un seul qui ait dédaigné d'appeler la religion au secours de la politique?

Les lois de Minos, de Zaleucus, celle des Douze Tables, reposent entièrement sur la crainte des dieux. Cicéron, dans son Traité des Lois, pose la Providence comme la base de toute législation. Platon rappelle à la Divinité dans toutes les pages de ses ouvrages. Numa avait fait de Rome la ville sacrée, pour en faire la ville éternelle.

Ce ne fut point la fraude, ce ne fut point la superstition, dit un grand homme, qui fit établir la religion chez les Romains; ce fut la nécessité où sont toutes les sociétés d'en avoir une.

Le joug de la religion, continue-t-il, fut le seul dont le peuple romain, dans sa fureur pour la liberté, n'osa s'affranchir; et ce peuple, qui se mettait si facilement en colère, avait besoin d'être arrêté par une puissance invisible.

Le mal est que les hommes, en se civilisant, et en jouissant de tous les biens et des avantages de toute espèce qui naissent de leur perfectionnement, refusent de voir les véritables causes auxquelles ils en sont redevables; comme dans un grand arbre, les rameaux nombreux et le riche feuillage dont il se couvre cachent le tronc, et ne nous laissent apercevoir que des fleurs brillantes et des fruits abondants.

Mais, je le dis pour le bien de ma patrie, je le dis pour le bonheur de la génération présente et pour celui des générations à venir, le scepticisme outré, l'esprit d'irréligion, transformé en système politique, est plus près de la barbarie qu'on ne le pense.

Il ne faut pas juger d'une nation par le petit nombre d'hommes qui brillent dans les grandes cités. A côté de ces hommes, il existe une population immense qui a besoin d'être gouvernée, que l'on ne peut éclairer, qui est plus susceptible d'impression que de principes, et qui sans les secours et sans le frein de la religion ne connaîtrait que le malheur et le crime.

Les habitants de nos campagnes n'offriraient bientôt plus que des hordes sauvages, si, vivant isolés sur un vaste territoire, la religion, en les appelant dans les temples, ne leur fournissait de fréquentes occasions de se rapprocher, et ne les disposait ainsi à goûter la douceur des communications sociales.

Hors de nos villes, c'est uniquement l'esprit de religion qui maintient l'esprit de société. On se rassemble, on se voit dans les jours de repos. En se fréquentant, on contracte l'habitude des égards mutuels. La jeunesse, qui cherche à se faire remarquer, étale un luxe innocent qui adoucit les mœurs plutôt qu'il ne les corrompt. Après les plus rudes travaux, on trouve à la fois l'instruction et le délassement. Des cérémonies augustes frappent les yeux et remuent le cœur; les exercices religieux préviennent les dangers d'une grossière oisiveté. A l'approche des solennités, les familles se réunissent, les ennemis se réconcilient, les méchants mêmes éprouvent quelques remords. On connaît le respect humain. Il se forme une opinion publique bien plus sûre que celle de nos grandes villes, où il y a tant de coleries et point de véritable public. Que d'œuvres de miséricorde inspirées par la piété! que de restitutions forcées par les terreurs de la conscience!

Otez la religion à la masse des hommes : par quoi la remplacerez-vous? Si l'on n'est pas préoccupé du bien, on le sera du mal : l'esprit et le cœur ne peuvent demeurer vides.

Quand il n'y aura plus de religion, il n'y aura plus ni patrie ni société pour des hommes qui, en recouvrant leur indépendance, n'auront que la force pour en abuser.

Dans quel moment la grande question de l'utilité ou de la nécessité des institutions religieuses s'est-elle trouvée soumise à l'examen du gouvernement? Dans un moment où l'on vient de conquérir la liberté, où l'on a effacé toutes les inégalités affligeantes, et où l'on a modéré la puissance et adouci toutes les lois. Est-ce dans de telles circonstances qu'il faudrait abolir et étouffer les sentiments religieux? C'est surtout dans les états libres que la religion est nécessaire. « C'est là, dit Polybe, que pour n'être pas obligé de donner un pouvoir dan

gereux à quelques hommes, la plus forte crainte doit être celle des dieux. >>

Le gouvernement n'avait donc point à balancer sur le principe général d'après lequel il devait agir dans la conduite des affaires religieuses.

Mais plusieurs choses étaient à peser dans l'application de ce principe.

Impossibilité d'établir une religion nouvelle.

L'état religieux de la France est malheureusement trop connu. Nous sommes, à cet égard, environnés de débris et de ruines. Cette situation avait fait naître dans quelques esprits l'idée de profiter des circonstances pour créer une religion nouvelle, qui eût pu être, disait-on, plus adaptée aux lumières, aux mœurs, et aux maximes de liberté qui ont présidé à nos institutions républicaines.

Mais on ne fait pas une religion comme l'on promulgue des lois. « Si la force des lois vient de ce qu'on les craint, la force d'une religion vient uniquement de ce qu'on la croit. » Or, la foi ne se commande pas.

Dans l'origine des choses, dans des temps d'ignorance et de barbarie, des hommes extraordinaires ont pu se dire inspirés, et, à l'exemple de Prométhée, faire descendre le feu du ciel pour animer un monde nouveau. Mais ce qui est possible chez un peuple naissant, ne saurait l'être chez des nations usées dont il est si difficile de changer les habitudes et les idées.

Les lois humaines peuvent tirer avantage de leur nouveauté, parce que souvent les lois nouvelles annoncent l'intention de réformer d'anciens abus, ou de faire quelque nouveau bien; mais, en matière de religion, tout ce qui a apparence de la nouveauté, porte le caractère de l'erreur ou de l'imposture. « L'antiquité convient aux institutions religieuses, parce que, relativement à ces sortes d'institutions, la croyance est plus forte et plus vive, à proportion que les choses qui en sont l'objet ont une origine plus reculée; car nous n'avons pas dans

la tête des idées accessoires, tirées de ces temps-là, qui puissent les contredire. »

De plus, on ne croit à une religion que parce qu'on la suppose l'ouvrage de Dieu; tout est perdu si on laisse entrevoir la main de l'homme.

La sagesse prescrivait donc au gouvernement de s'arrêter aux religions existantes, qui ont pour elles la sanction du temps et le respect des peuples.

Ces religions, dont l'une est connue sous le nom de religion catholique, et l'autre sous celui de religion protestante, ne sont que des branches du christianisme. Or, quel juste motif eût pu déterminer la politique à proscrire les cultes chrétiens?

Il paraît d'abord extraordinaire que l'on ait à examiner aujourd'hui si les États peuvent s'accommoder du christianisme, qui, depuis tant de siècles, constitue le fond de toutes les religions professées par les nations policées de l'Europe; mais on n'est plus surpris quand on réfléchit sur les circonstances.

A la renaissance des lettres il y eut un ébranlement; les nouvelles lumières qui se répandirent à cette époque, fixèrent l'attention sur les abus et les déréglements dans lesquels on était tombé. Des esprits ardents s'emparèrent des discussions; l'ambition s'en mêla: on fit la guerre aux hommes au lieu de régler les choses; et, au milieu des plus violentes secousses, l'on vit s'opérer la grande scission qui a divisé l'Europe chrétienne.

De nos jours, quand la révolution française a éclaté, une grande fermentation s'est encore manifestée; elle s'est étendue à plus d'objets à la fois : on a interrogé toutes les institutions établies; on leur a demandé compte de leurs motifs, on a soupçonné la fraude ou la servitude dans toutes; et comme dans une telle situation des esprits on s'accommode toujours davantage des voies extrêmes, parce qu'on les répute plus décisives, on a cru que, pour déraciner la superstition et le fanatisme, il fallait attaquer toutes les institutions religieuses. On voit donc par quelles circonstances il a pu devenir utile,

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