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Tous les partis s'accusèrent réciproquement.

La législation qui sortit de cet état de fermentation et de trouble est assez connue.

Je ne la retracerai pas; je me borne à dire qu'elle varia selon les circonstances, et qu'elle suivit le cours des événements publics.

Au milieu de ces événements, les consciences étaient toujours plus ou moins froissées. On sait que le désordre était à son comble, lorsque le 18 brumaire vint subitement placer la France sous un meilleur génie.

A cette époque, les affaires de la religion fixèrent la sollicitude du sage, du héros qui avait été appelé par la confiance nationale au gouvernement de l'État, et qui, dans ses brillantes campagnes d'Italie, dans ses importantes négociations avec les divers cabinets de l'Europe, et dans ses glorieuses expéditions d'outre-mer, avait acquis une si grande connaissance des choses et des hommes.

Nécessité de la Religion en général.

Une première question se présentait : La religion en général est-elle nécessaire aux corps de nation? est-elle nécessaire aux hommes?

Nous naissons dans des sociétés formées et vieillies ; nous y trouvons un gouvernement, des institutions, des lois, des habitudes, des maximes reçues; nous ne daignons pas nous enquérir jusqu'à quel point ces diverses choses se tiennent entre elles; nous ne demandons pas dans quel ordre elles se sont établies; nous ignorons l'influence successive qu'elles ont eue sur notre civilisation, et qu'elles conservent sur les mœurs publiques et sur l'esprit général. Trop confiants dans nos lumières acquises, fiers de l'état de perfection où nous sommes arrivés, nous imaginons que, sans aucun danger pour le bonheur commun, nous pourrions désormais renoncer à tout ce que nous appelons préjugés antiques, et nous séparer brusquement de tout ce qui nous a civilisés. De là l'indiffé

rence de notre siècle pour les institutions religieuses, et pour tout ce qui ne tient pas aux sciences et aux arts, aux moyens d'industrie et de commerce qui ont été si heureusement développés de nos jours, et aux objets d'économie politique, sur lesquels nous paraissons fonder exclusivement la prospérité des États.

Je m'empresserai toujours de rendre hommage à nos découvertes, à notre instruction, à la philosophie de nos temps modernes.

Mais, quels que soient nos avantages, quel que soit le perfectionnement de notre espèce, les bons esprits sont forcés de convenir qu'aucune société ne pourrait subsister sans morale, et que l'on ne peut encore se passer de magistrats et de lois.

Or, l'utilité ou la nécessité de la religion ne dérive-t-elle pas de la nécessité même d'avoir une morale? L'idée d'un Dieu législateur n'est-elle pas aussi essentielle au monde intelligent, que l'est au monde physique celle d'un Dieu créateur et premier moteur de toutes les causes secondes? L'athée, qui ne reconnaît aucun dessein dans l'univers, et qui semble n'user de son intelligence que pour tout abandonner à une fatalité aveugle, peut-il utilement prêcher la règle des mœurs, en desséchant par ses désolantes opinions la source de toute moralité?

Pourquoi existe-t-il des magistrats? pourquoi existe-t-il des lois? pourquoi ces lois annoncent-elles des récompenses et des peines? C'est que les hommes ne suivent pas uniquement leur raison; c'est qu'ils sont naturellement disposés à espérer et à craindre, et que les instituteurs des nations ont cru devoir mettre cette disposition à profit pour les conduire au bonheur et à la vertu. Comment donc la religion, qui fait de si grandes promesses et de si grandes menaces, ne serait-elle pas utile à la société ?

Les lois et la morale ne sauraient suffire.

Les lois ne règlent que certaines actions; la religion les embrasse toutes. Les lois n'arrêtent que le bras; la religion

règle le cœur. Les lois ne sont relatives qu'au citoyen; la religion s'empare de l'homme.

Quant à la morale, que serait-elle si elle demeurait reléguée dans la haute région des sciences, et si les institutions religieuses ne l'en faisaient pas descendre pour la rendre sensible au peuple?

La morale sans préceptes positifs laisserait la raison sans règle : la morale sans dogmes religieux ne serait qu'une justice sans tribunaux.

Quand nous parlons de la force des lois, savons-nous bien quel est le principe de cette force? Il réside moins dans la bonté des lois que dans leur puissance. Leur bonté seule serait toujours plus ou moins un objet de controverse. Sans doute une loi est plus durable et mieux accueillie quand elle est bonne mais son principal mérite est d'être loi, c'est-àdire, son principal mérite est d'être, non un raisonnement, mais une décision; non une simple thèse, mais un fait. Conséquemment une morale religieuse, qui se résout en commandements formels, a nécessairement une force qu'aucune morale purement philosophique ne saurait avoir. La multitude est plus frappée de ce qu'on lui ordonne que de ce qu'on lui prouve. Les hommes, en général, ont besoin d'être fixés il leur faut des maximes plutôt que des démonstrations.

La diversité des religions positives ne saurait être présentée comme un obstacle à ce que la vraie morale, à ce que la morale naturelle puisse jamais devenir universelle sur la terre. Si les diverses religions positives ne se ressemblent pas, si elles diffèrent dans leur culte extérieur et dans leurs dogmes, il est du moins certain que les principaux articles de la morale naturelle constituent le fond de toutes les religions positives. Par là, les maximes et les vertus les plus nécessaires à la conservation de l'ordre social, sont partout sous la sauvegarde des sentiments religieux et de la conscience. Elles acquièrent ainsi un caractère d'énergie, de fixité et de certitude, qu'elles ne pourraient tenir de la science des hommes. Un des grands avantages des religions positives est encore

de lier la morale à des rits, à des cérémonies, à des pratiques qui en deviennent l'appui. Car, n'allons pas croire que l'on puisse conduire les hommes avec des abstractions ou des maximes froidement calculées. La morale n'est pas une science spéculative, elle ne consiste pas uniquement dans l'art de bien penser, mais dans celui de bien faire. Il est moins question de connaître que d'agir; or, les bonnes actions ne peuvent être préparées et garanties que par les bonnes habitudes. C'est en pratiquant des choses qui mènent à la vertu ou qui du moins en rappellent l'idée, qu'on apprend à aimer et à pratiquer la vertu même.

Sans doute, il n'est pas plus vrai de dire, dans l'ordre religieux, que les rits et les cérémonies sont la vertu, qu'il ne le serait de dire, dans l'ordre civil, que les formes judiciaires sont la justice; mais comme la justice ne peut être garantie que par des formes réglées qui préviennent l'arbitraire, dans l'ordre moral, la vertu ne peut être assurée que par l'usage et la sainteté de certaines pratiques qui préviennent la négligence et l'oubli.

La vraie philosophie respecte les formes autant que l'orgueil les dédaigne. Il faut une discipline pour la conduite, comme il faut un ordre pour les idées. Nier l'utilité des rits et des pratiques religieuses en matière de morale, ce serait nier l'empire des notions sensibles sur des êtres qui ne sont pas de purs esprits, ce serait nier la force de l'habitude.

Il est une religion naturelle, dont les dogmes et les préceptes n'ont point échappé aux sages de l'antiquité, et à laquelle on peut s'élever par les sculs efforts d'une raison cultivée. Mais une religion purement intellectuelle ou abstraite pourrait-elle jamais devenir nationale ou populaire? Une religion sans culte public ne s'affaiblirait-elle pas bientôt? ne ramènerait-elle pas infailliblement la multitude à l'idolâtrie? S'il faut juger du culte par la doctrine, ne faut-il pas conserver la doctrine par le culte? Une religion qui ne parlerait point aux yeux et à l'imagination, pourrait-elle conserver l'empire des âmes? Si rien ne réunissait ceux qui professent

la même croyance, n'y aurait-il pas en peu d'années autant de systèmes religieux qu'il y a d'individus? Les vérités utiles n'ont-elles pas besoin d'être consacrées par de salutaires institutions?

Les hommes, en s'éclairant, deviennent-ils des anges? peuvent-ils donc espérer qu'en communiquant leurs lumières, ils élèveront leurs semblables au rang sublime des pures intelligences?

Les savants et les philosophes de tous les siècles ont constamment manifesté le désir louable de n'enseigner que ce qui est bon, que ce qui est raisonnable; mais se sont-ils accordés entre eux sur ce qu'ils réputaient raisonnable et bon? Règne-t-il une grande harmonie entre ceux qui ont discuté et qui discutent encore les dogmes de la religion naturelle? Chacun d'eux n'a-t-il pas son opinion particulière, et n'est-il pas réduit à son propre suffrage? Depuis les admirables Offices du consul romain, a-t-on fait, par les seuls efforts de la science humaine, quelque découverte dans la morale? Depuis les Dissertations de Platon, est-on agité par moins de doutes dans la métaphysique? S'il y a quelque chose de stable et de convenu sur l'existence et l'unité de Dieu, sur la nature et la destination de l'homme, n'est-ce pas au milieu de ceux qui professent un culte et qui sont unis entre eux par les liens d'une religion positive?

L'intérêt des gouvernements humains est donc de protéger les institutions religieuses, puisque c'est par elles que la conscience intervient dans toutes les affaires de la vie, puisque c'est par elles que la morale et les grandes vérités qui lui servent de sanction et d'appui sont arrachées à l'esprit de système, pour devenir l'objet de la croyance publique; puisque c'est par elles enfin que la société entière se trouve placée sous la puissante garantie de l'auteur même de la nature.

Les États doivent maudire la superstition et le fanatisme. Mais sait-on bien ce que serait un peuple de sceptiques et d'athées?

Le fanatisme de Muncer, chef des anabaptistes, a été certai

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