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faire à tout l'épiscopat une loi de revenir à l'ancienne discipline, les évêques sont prêts à y souscrire; mais ce à quoi ils ne sauraient consentir, c'est à l'abaissement de leur ministère, à l'amoindrissement de leur dignité; or, c'est ce qui ne manquerait pas d'arriver s'ils avaient la lâcheté de souscrire à des décrets de la puissance civile sur des matières où elle est manifestement incompétente.

Après ces considérations préliminaires, propres à donner au lecteur la clef de la discussion, qu'il nous permette de mettre sous ses yeux les pièces de ce grand procès qui a tenu le comité des cultes pendant un grand nombre de séances.

La discussion a d'abord été ouverte par un rapport de pétitions que la sous-commission, dont je fais partie, m'avait chargé de présenter au comité.

Rapport sur plusieurs pétitions demandant l'établissement de tribunaux ecclésiastiques et l'inamovibilité des prêtres desser vant les paroisses dites succursales, présenté par M. Pradié au comité des cultes, dans la séance du 17 août 1848.

CITOYENS REPRÉSENTANTS,

« Les questions qui ressortent des pétitions que je viens de vous lire et dont j'ai à vous faire le rapport, sont les suivantes:

1° Inamovibilité des titres.

« Faut-il, sauf la sanction de l'autorité religieuse, proclamer l'utilité, la convenance de l'inamovibilité des desservants? Cette utilité et cette convenance reconnues, en quoi cette inamovibilité doit-elle consister?

2o Des officialités.

« Convient-il d'établir des tribunaux disciplinaires ecclésiastiques? Si on les établit, quelle doit en être la forme? Faut-il, comme le propose un pétitionnaire, instituer à cet

effet un jury ecclésiastique et des juges désignés par le sort, ou bien est-ce à l'évêque, en qui réside la juridiction, à la déléguer à des juges nommés par lui, comme cela s'est toujours pratiqué dans l'Église ?

3° Négociation avec Rome.

« Comme il s'agit ici d'une mesure générale s'appliquant à tous les diocèses de France, convient-il de négocier avec Rome ou bien avec les évêques réunis en concile? N'est-il pas plus sage et plus facile à la fois de charger le gouvernement français de s'entendre avec Pie IX?

« 4° Les pétitions qui précèdent doivent-elles être prises en considération par l'Assemblée nationale, ou faut-il lui proposer de passer à l'ordre du jour? Dans le cas où elles scraient prises en considération, ne convient-il pas d'en demander le renvoi au bureau des renseignements, afin que le comité en fasse ultérieurement l'objet d'un sérieux examen, dans la discussion à laquelle il se propose de se livrer au sujet du Concordat et des articles organiques?

I. DE L'INAMOVIBILITÉ DES DESSERVANTS.

« Vous savez, Messieurs, que la nomination des prêtres desservant les paroisses dites succursales n'est pas soumise à l'agrément du gouvernement, comme celle des curés de canton. Les desservants sont nommés par les évêques, qui peuvent les changer et les révoquer, suivant qu'ils le jugent utile à la bonne administration de leur diocèse. Les pétitionnaires voudraient que cette situation précaire eût un terme, et que les desservants ne pussent être changés ou révoqués qu'après jugement rendu dans les formes canoniques. Ils s'appuient pour cela sur l'ancienne discipline de l'Église. Mais il nous paraît que la question est mal posée, surtout devant une Assemblée qui n'est pas un concile et qui n'a pas à discourir sur les canons et les coutumes de l'Église.

« Ainsi les pétitionnaires invoquent le 17° canon du concile de Sardaigne, tenu en 347; le 11 canon du concile de Car

thage, tenu en 350; le 26° canon du concile œcuménique, tenu en 869; le 6o canon du premier concile de Séville; le 13o canon du concile de Clermont, tenu en 1095; le 9o canon du concile de Nîmes, tenu en 1096; le 2e concile de Latran (1139); le concile de Reims (1113); le concile de Londres. (1225); le concile d'Avranches (1272) ; le 4o concile de Latran; les conciles de Tours (1163); de Béziers, en 1235, et enfin, pour abréger les citations, le concile de Trente, sess. 7, can. 7, dont la doctrine sur ce point a été confirmée par l'ordonnance de Louis XIII, de 1629, et la déclaration de Louis XIV, de 1657.

« Le comité me permettra de ne pas entrer dans la discussion de tous ces canons. Nos anciens rois avaient beaucoup plus de courage que nous sur ce point. Tout semble indiquer, d'ailleurs, que l'Assemblée nationale, par une heureuse innovation sur les vieux parlements, proclamera son incompétence, sa neutralité sur toutes les matières théologiques, et qu'elle laissera aux évêques le soin de décider la valeur, au point de vue canonique, des modifications réclamées par les pétitionnaires. Qu'il nous suffise à cet égard de citer l'opinion de Mgr l'évêque de Digne, dont la science éclairée et les vues libérales coïncident si heureusement avec sa récente élévation.

« Voici donc ce que dit ce pieux et savant évêque :

« La question de l'inamovibilité des desservants doit être « considérée au double point de vue de la canonicité et de « l'opportunité. Est-il contre la discipline de l'Église que les « desservants des paroisses soient amovibles? Quand on pose « ainsi la question, on la pose très-mal, car il n'y a pas une « discipline de l'Église immuable. Il faudrait donc savoir de a quelle discipline on veut parler, si c'est de l'ancienne ou « de la moderne, de la discipline des premiers siècles, pen« dant lesquels l'inamovibilité des desservants a été incon«nue, ou bien de celle des derniers, qui l'ont souvent re« commandée. »

« Mgr l'évêque de Digne montre très-bien que l'inamovi

bilité n'est qu'une question de temps et de circonstances, c'est-à-dire une question d'opportunité. Avant 347, ou dans les temps de la primitive Église, il n'était pas question de l'inamovibilité des curés. Depuis cette époque, la discipline de l'Église, invariable dans ses principes essentiels, s'est accommodée, dans la matière qui nous occupe, aux temps et aux circonstances. Le Concordat et les Organiques, qui nous régissent en ce moment, ont concentré, comme au temps de la primitive Église, l'autorité entre les mains des évêques, d'où la juridiction religieuse émane; il s'agit donc simplement de savoir s'il convient, en ce moment, de changer cet état de choses et de revenir à des usages et à des coutumes inconnus dans les anciens siècles du christianisme, mais qui avaient prévalu, après le quatrième siècle, dans plusieurs Églises de la chrétienté.

a Ceux qui sollicitent le retour à ces usages s'appuient sur les plaintes dont plusieurs ecclésiastiques ont fait retentir les journaux dans ces dernières années, et sur l'asservissement supposé d'un clergé que la crainte rend docile aux volontés des évêques, mais qui est impatient de briser le joug et de reconquérir son indépendance. En sorte que, à en croire ceux qui ont pris à cœur l'émancipation du clergé, rétablir l'inamovibilité des titres, serait une mesure impatiemment attendue, et que le clergé du second ordre accueillerait avec une faveur marquée. Tout cela est contesté par les partisans du statu quo, qui disent que la mesure en question n'est réclamée que par des prêtres isolés et la plupart frappés par les censures de l'Église, tandis que la grande masse du clergé vit en paix et en bonne harmonie avec les premiers pasteurs, dont l'autorité toute paternelle ne s'est jamais exercée que pour le bien-être des desservants et la bonne administration du diocèse.

« Les pétitionnaires se plaignent encore de l'instabilité pleine d'inquiétude qui plane sur les desservants. Ils peuvent être changés et même révoqués à la volonté de l'évêque, sans jugement préalable. Mais les partisans du statu quo répondent

qu'il est à peu près sans exemple que des prêtres dignes de leur ministère aient été jamais révoqués, et qu'il est d'une bonne administration de pouvoir changer de poste les ecclésiastiques qui ne conviennent pas à ceux qu'ils occupent, par cette raison bien simple que les prêtres sont faits pour les populations et non les populations pour les prêtres.

« Je ne suis ici que le narrateur exact et impartial des raisons que l'on fait valoir pour ou contre l'inamovibilité des desservants. Au fond, Mgr l'évêque de Digne a pensé qu'il était convenable de ne pas déplacer un desservant malgré lui, et de ne pas le révoquer sans qu'un jugement, basé sur une faute de sa part, ne soit intervenu pour autoriser l'évêque à agir avec rigueur.

« Il y a certainement, dit le savant et pieux évêque, « quelque chose à faire pour améliorer le sort des desser« vants. Il faut, s'il est possible, leur donner une plus grande « stabilité. Pour nous, nous sommes entrés dans cette voie, « en tant que nous le pouvions, par cette loi que nous nous « sommes imposée, et qui est devenue une des dispositions « de notre officialité, de ne déplacer aucun desservant mal« gré lui, si ce n'est quand un jugement, toujours basé sur « une faute de sa part, nous y aura autorisé. » (Instit. dioc., 1er volume, p. 486.)

« Après ce qui vient d'être dit, il est facile de déterminer en quoi consistent les garanties réclamées par les pétitionnaires en faveur des desservants. Ce qu'ils veulent, ce n'est pas une inamovibilité absolue, car une inamovibilité de cette nature n'a jamais existé et ne saurait jamais exister; ce qu'ils veulent, c'est la garantie qui résulte pour les desservants d'un jugement contradictoire, rendu par un tribunal institué à cet effet; ce qui nous amène naturellement à entrer dans l'examen de la seconde question qui vous est soumise par les pétitionnaires, et qui dépend, comme vous le voyez, de la précédente, avec laquelle elle a une étroite liaison.

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