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Rome, et de livrer au hasard et aux lenteurs d'une négociation une cause tout à la fois et si juste et si urgente.

L'article 10 du Concordat porte : « Les évêques nommeront a aux cures; leur choix ne pourra tomber que sur des per« sonnes agréées par le gouvernement. » D'un autre côté, il est dit, dans l'article 9: « Les évêques feront une nouvelle « circonscription des paroisses de leur diocèse, qui n'aura « d'effet que d'après le consentement du gouvernement. » Il résulte de ces deux articles, 1° que tous les curés sont civi_ lement inamovibles, puisqu'ils doivent être agréés par le gouvernement; 2° qu'il dépend des évêques, avec le concours du gouvernement, d'assurer aux simples succursalistes toutes les prérogatives attachées au titre de curé de canton, en faisant rentrer les circonscriptions des succursales dans la classe des circonscriptions qui portent le nom de cures, ainsi que l'article 9 du Concordat leur en donne la faculté. L'article 63 des organiques, à la vérité, semble déroger à cette faculté, en attribuant exclusivement aux évêques la nomination des succursalistes. Mais les motifs qui ont dicté cette disposition n'existent plus. Personne n'ignore quelles étaient les tendances de Napoléon à l'absolutisme. Par l'article 30 du Concordat, il mettait le succursaliste sous la surveillance et la direction du curé, et, par l'article 29, les curés étaient immédiatement soumis à l'évêque dans l'exercice de leurs fonctions. Il constituait ainsi dans le diocèse une hiérarchie puissante à la tête de laquelle il se plaçait lui-même, en se réservant, par l'article 5 du Concordat, la nomination du premier pasteur du diocèse. Une pareille législation, à peine supportable sous le régime de l'absolutisme, ne saurait être tolérée sous la République. L'Église a protesté contre ces articles où respire le plus abrutissant despotisme, le despotisme des consciences; la démocratie proteste à son tour, et ces articles seraient civilement obligatoires, qu'un pouvoir vraiment libéral devrait s'empresser de les rapporter.

En résumé, l'État ne peut sans doute pas s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Église, il est sans qualité pour éta

blir en faveur des simples succursalistes l'inamovibilité canonique. Les officialités destinées à garantir cette inamovibilité ne sauraient recevoir de lui leur organisation. Étant chargées de juger la doctrine et les mœurs, elles sont évidemment en dehors de sa compétence. La création de ces tribunaux est, sans contredit, du ressort exclusif de l'autorité religieuse, à qui il appartient d'en déterminer la forme et la procédure.

Mais si l'État n'a rien à voir dans cette organisation intime, c'est le devoir des évêques de s'en occuper. L'ancienne discipline ecclésiastique leur en fait un impérieux devoir, autant que les exigences des circonstances, que l'esprit du temps et les désirs non équivoques, quoique respectueux et pleins de déférence, du clergé secondaire. Que si les évêques se refusaient plus longtemps à faire droit aux justes réclamations de ces instituteurs du peuple, de cette classe intéressante de citoyens sur lesquels pèse en grande partie le poids du ministère, oh! alors l'État devrait intervenir et forcer la main aux évêques, en rapportant les articles 31 et 63 des articles organiques, qui seuls assurent aux succursalistes une existence légale et leur donnent droit à un traitement.

On a répondu à tout ce qui précède en disant que l'on exagère la dépendance du clergé de second ordre. Les évêques, il est vrai, ont sur lui une autorité très-étendue; mais cette autorité, après tout, n'est pas illimitée, elle a ses règles dans les canons, et il est presque sans exemple qu'ils ne s'y soient pas religieusement conformés. Ils peuvent révoquer les prêtres qui leur sont subordonnés, mais seulement pour des motifs prévus par les lois de l'Église; ils peuvent changer les succursalistes et les faire passer d'une paroisse dans une autre, et même d'un poste supérieur dans un poste inférieur, dans le cas où, sans même avoir personnellement démérité, ils ne conviendraient pas à la position qu'ils occupent; la bonne administration du diocèse étant dans cette matière la seule règle de leurs déterminations. Mais cela n'est-il pas convenable et même nécessaire? Les succursales sont, la plupart du

temps, données à de jeunes prètres encore sans expérience, et que leur évêque n'a pas par conséquent encore appréciés; ils peuvent remplir leur ministère avec succès, comme ils peuvent échouer à leur début; il peut leur arriver, par une imprudence involontaire, et sans aucune faule grave de leur part, de déplaire à leurs paroissiens; leur inexpérience peut les faire tomber dans quelque démarche inconsidérée; en les changeant, ils feront le bien d'une autre paroisse. Avertis par les écueils où ils ont échoué, ils conduiront leurs nouveaux paroissiens avec mesure et sagesse, et ils s'en feront bénir. Et l'évêque ne pourrait pas leur donner ce nouveau poste où leur zèle se signalerait avec succès, et il devrait les laisser dans une position où ils feraient le malheur et la perte des fidèles, en y trouvant eux-mêmes leur perte et leur malheur! cela ne serait ni juste ni convenable, ce serait la pire des administrations. Avec la nouvelle circonscription des paroisses et des succursales, avec la pénurie des sujets, avec les exigences du service paroissial, une pareille mesure serait pour les évêques un joug intolérable, et elle aboutirait bientôt à la ruine et à la désorganisation complète de l'administration des diocèses.

Au reste, on a bien tort de faire sonner si haut la prétendue dépendance du clergé de second ordre. Rien de plus paternel d'un côté, et de plus filial de l'autre, que les rapports de l'évêque au prêtre et du prêtre à l'évêque. Rien de plus cordial, de plus affectueux que l'accueil fait à ses prêtres, à ses curés par le premier pasteur du diocèse, toujours prêt à entendre leurs plaintes, à faire droit à leurs réclamations! Et puis n'est-il pas à peu près sans exemple que les évêques aient abusivement changé les desservants, qu'ils aient été injustes à leur égard, qu'ils n'aient pas au contraire usé de cette faculté avec une sollicitude toute paternelle, qu'ils aient laissé souffrir sans motif un seul de leurs subordonnés? L'ancienne discipline de l'Église donnait, à la vérité, des garanties judiciaires aux prêtres du second ordre; mais cette discipline est loin d'avoir tous les caractères d'universalité et de perpétuité

qu'on veut bien lui attribuer. Il est des pays où elle n'est pas en usage. On n'en trouve pas de traces dans les premiers siècles de l'Église, et le Saint-Siége, consulté sur cette question par l'évêque de Liége, a répondu que ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était de rester dans le statu quo.

Voici au surplus la consultation de l'évêque de Liége et la réponse qui lui a été faite 1.

Consultation sur l'inamovibilité des desservants.

Beatissime Pater,

Infra scriptus episcopus Leadiensis, omni quâ decet veneratione, humillime petit, ut examinetur sequens dubium, sibique pro conservandà in suo diocesi unitate inter clericos et ecclesiæ pace, communicetur solutio.

An attentis præsentium rerum circumstantiis, in regionibus in quibus, ut et in Belgio, sufficiens legum civilium fieri non potuit immutatio, valeat et in conscientiâ obliget usque ad aliam S. sedis dispositionem disciplina inducta po st concordatum anni 1801, ex quâ episcopi rectoribus ecclesiarum quæ vocantur succursales juridictionem pro curâ animarum conferre solent ad natum revocabilem, et illi si revocentur vel alio mittentur, tenentur obedire.

Cæterum episcopi hâc rectores revocandi vel transferendi auctoritate haud frequenter et non nisi prudenter ac paternè uti solent, adeò ut sacri ministerii stabilitati, quantum fieri potest, ex hisce rerum adjunctis, satis consultum videatur. CORNELIUS, episcopus Leadiensis.

Sig.

Ex audienti SSmi die 1a maii 1845.

Sanctissimus Dominus noster universa rei de quâ in precibus, ratione maturè perpensâ, gravibusque ex causis animum suum moventibus, referente infra scripto cardinale sacræ

Voyez aussi la note sur l'art. 31 des Articles organiques, p. 109.

congregationis concilii præfecto, benignè annuit, ut in regimine ecclesiarum succursalium de quibus agitur, nulla immutatio fiat, donec aliter a sanctâ sede apostolica statutum fuerit.

(Sig.) J. card. POLIDARIUS, præf.

A. TOMASETTI, sub secret.

Ainsi, nul doute qu'au point de vue canonique la situation du clergé de France n'a rien d'anormal, rien de contraire à la discipline. Que l'on désire revenir aux anciens usages, rien de mieux, et personne ne s'y oppose. Que l'on rétablisse les officialités ecclésiastiques sur des bases appropriées aux nouvelles circonstances, tout le monde y souscrit; mais qu'on ne dise pas que les évêques ont abusé des prérogatives que la législation de 1802 leur a données. Qu'on ne dise pas qu'ils sont les tyrans de leurs diocèses; que le clergé ne peut pas supporter plus longtemps un joug si humiliant; que cette situation est contraire aux canons et à la discipline.

Au point de vue du droit civil ou politique, on a répondu que l'État pouvait sans doute supprimer le traitement des desservants, mais qu'il n'était pas en son pouvoir de forcer la main aux évêques. Les évêques sont tout disposés à rétablir les tribunaux ecclésiastiques, et plusieurs d'entre eux ont même pris les devants. Ils n'ont aucune objection à faire contre l'inamovibilité canonique, mais ils ne sauraient consentir à ce que les desservants fussent complétement assimilés aux curés de canton. Toute administration deviendrait impossible du moment où les simples succursalistes seraient civilement inamovibles. Qu'on ne puisse les révoquer, que même on ne puisse les placer dans un poste inférieur sans un jugement rendu dans les formes canoniques, rien de mieux; mais les évêques ne sauraient renoncer à la faculté de les changer, s'ils ne font pas le bien de la paroisse qu'ils occupent et s'ils peuvent mieux réussir ailleurs. Qu'une règle uniforme rétablisse les officialités ecclésiastiques; que, pour arriver à cette uniformité, l'État ouvre des négociations avec le Saint-Siége pour

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