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l'État dans les conditions ordinaires de toutes les dettes, et dont il ne lui appartiendrait de s'affranchir qu'en méconnaissant ses promesses et violant la foi des traités; mais les considérations qui font l'État débiteur envers le culte religieux doivent appartenir désormais à un ordre théorique plus élevé.

« Ce n'est pas, en effet, telle ou telle forme de culte que l'État doit secourir et protéger, c'est le culte, expression générale des hommages rendus par la créature au Créateur. Si l'homme a deux fins à poursuivre, l'une matérielle et bornée aux besoins de l'existence temporelle, l'autre s'étendant au delà de ses limites par sa nature spirituelle et immortelle, l'État n'en a qu'une, c'est celle qui est enfermée dans les limites du temps, et qui est plus ou moins heureuse selon que les rapports des individus entre eux sont plus ou moins bien établis et maintenus. L'avenir spirituel n'est pas et ne peut pas être son domaine, chaque individu l'envisage et se dispose à l'aborder selon les inspirations de sa conscience, et voilà pourquoi la liberté de conscience est le premier principe d'un État bien ordonné; or cette liberté entraîne celle du culte, c'est-àdire de la forme extérieure que le croyant donne à sa prière et à sa pensée religieuse; et ici naissent, en même temps que les droits, les devoirs de l'État dans une intervention sage et salutaire.

« Veiller à ce que les manifestations extérieures des cultes ne portent réciproquement aucune atteinte à leur liberté, voilà son droit; les protéger tous et les soutenir avec un égal intérêt, voilà son devoir; mais il est bien entendu que ce devoir ne commence que là où le culte à soutenir par des subsides est un culte sérieux qui répond à des besoins assez généraux et assez nombreux pour comporter l'organisation et le maintien d'un service public.

« Cela posé, comment peut-on trouver mauvais que l'État pourvoie à l'entretien matériel des cultes au même titre qu'il pourvoit aux frais de tous les grands services publics?

« Le culte existe comme fait non créé, non provoqué par l'État; l'universalité des citoyens le professe sous une forme

ou sous une autre; l'entretien, qui est donc, par la force des choses, à la charge de l'universalité des citoyens, doit être administrativement régi, si l'on tient à distribuer dans une juste et équitable proportion les charges de l'État.

« Mais une autre considération plus puissante peut-être fait un devoir à l'État de maintenir le budget des cultes; ce n'est jamais en vain qu'on blesse les idées de justice et qu'on violente les instincts populaires; or, il est certain que la suppression du budget des cultes, qui blesserait aux yeux de votre comité les idées de justice administrative, violenterait les instincts d'une grande partie du peuple qui tient à sa religion, au culte extérieur, et qui s'est habitué à considérer l'entretien matériel des cultes comme une charge de l'État; il en résulterait un mécontentement profond peu propre à créer des amis à la République et aux institutions qu'elle est appelée à fonder.

« Accepter, en le secondant, le patriotique élan de ce peuple religieux qui a applaudi avec transport à la proclamation de cette devise trinitaire empruntée à sa doctrine : Liberté, égalité, fraternité, voilà le devoir de l'Assemblée nationale; votre comité ne connaît pas de raison plus puissante que celle-là, pour ceux qui veulent comme lui solidement asseoir les fondements de la République. D'autre part, il est inexact de dire que le budget de l'État, étant le produit collectif et forcé de tous les concours individuels, il y a injustice à affecter une partie des ressources de ce budget à un service qui, malgré son caractère public, ne répond pas aux vœux et aux besoins de tous sans exception.

« La distribution des ressources de l'État doit, en effet, se faire sous l'influence d'une grande idée de réciprocité et de mutualité qui s'applique à tous les services publics, à tous les besoins généraux. L'impôt n'est point payé par ceux qui le doivent, avec telle destination spéciale qu'ils aient droit ou souci d'indiquer. Combien de services publics salariés dont les effets ne sont ressentis par certains membres de la société que d'une manière très-indirecte ou qui même ne le sont pas du

tout! Faudrait-il dire pour cela que le concours partiel et obligé de ces quelques membres à l'entretien de cette partie du service public est une injustice pour eux? Évidemment non. Laissons donc de côté les objections qui s'induisent de cet ordre d'idées, et venons à celles qui affecteraient la considération et l'indépendance des ministres du culte et de la religion elle-même.

« Non, le prêtre qui reçoit un traitement de l'État n'est point, par ce fait, un fonctionnaire de l'État dans l'acception ordinaire de ce mot. Le sens habituel qui s'attache à l'idée de fonctionnaire est celui du mandat salarié avec son caractère essentiel de révocabilité; c'est-à-dire que le fonctionnaire, tel qu'on l'entend communément, tient ses pouvoirs de celui qui le paye, et s'oblige à faire ce qui lui est commandé. Tel n'est pas, assurément, le prêtre dans un sens absolu; il ne tient pas ses pouvoirs de l'État; il est tout à fait indépendant de lui en ce qui touche l'ordre spirituel, et le traitement n'implique pas ici l'idée de mandat révocable à ce point de vue. Ses pouvoirs, il les puise à une source indépendante par son essence, et sur laquelle l'État est complétement dépourvu d'action; voilà pourquoi son caractère et sa considération n'ont rien à redouter de ce contact avec l'État qui n'intervient que pour réglementer une question du salaire; le droit qui résulte en cette circonstance au profit de celui qui paie le traitement, n'est autre qu'un droit de surveillance sur la condition qui oblige celui qui reçoit le traitement à exercer le ministère auquel il est attaché, sans examiner comment ce ministère est exercé à l'endroit de l'enseignement dogmatique et de la direction des consciences.

« En quoi le prêtre pourrait-il trouver en cela son indépendance ou sa considération compromises? N'est-ce pas, au contraire, assurer et garantir cette indépendance autant qu'il est possible de le faire? Quoi! l'on voudrait livrer l'existence matérielle des ministres du culte aux soins volontaires de ceux qui le professent ou qui sentent le besoin de le soutenir! L'on ne trouverait pas là un grand élément de sujétion, d'au

tant plus dangereuse qu'elle serait immédiate, du ministre ainsi entretenu, envers ceux qui l'entretiendraient?

« Que deviendrait l'égalité, qui doit présider surtout à la distribution des secours spirituels, en présence de cette distinction forcée qui serait faite de part et d'autre, quelquefois entre ceux qui paieraient et ceux qui ne paieraient pas? Le pauvre ne serait-il pas blessé dans sa susceptibilité et lésé dans ses intérêts les plus chers? Ce serait alors bien autrement le cas de se demander ce que deviendraient l'indépendance et la considération du prêtre avec un tel ordre de choses se produisant dans l'état actuel de nos mœurs?

« Oui, sans doute, il est permis de prévoir l'hypothèse où l'État supprimerait complétement toute allocation officielle en faveur du matériel des cultes, et nul ne songe, en un tel cas donné, à dire que la religion devrait succomber. C'est parce que nous avons dit déjà qu'elle était indépendante de toute contrainte humaine, que son existence ne nous paraîtrait en aucune façon compromise par la suppression d'un budget officiel, mais cette suppression serait une mesure à la fois injuste et impolitique. Voilà, Citoyens, ce qu'a pensé votre comité, et qu'en son nom j'étais chargé de vous dire.

« Reste maintenant une dernière observation que voici : des voix nombreuses et de très-grande autorité se sont élevées pour revendiquer l'application des principes opposés à ceux de la pétition qui vous occupe; le consistoire de l'Église réformée de Paris, qui avait appelé dans son sein des délégués de tous les consistoires de France, a proclamé bien haut, et à la presque unanimité des suffrages, le principe du maintien du budget des cultes, en s'inspirant, en outre des motifs généraux qui viennent d'être déduits, des exigences particulières de la situation des pasteurs protestants qui sont pères de famille et qui n'ont point de casuel.

« De leur côté, les membres du clergé catholique, d'unc voix qui paraît non moins unanime, demandent tout à la fois la suppression de ce casuel qui leur répugne et qu'ils considèrent comme une triste invention de certaines lois organi

ques dont ils appellent de tous leurs vœux la modification, et en même temps la conservation du budget des cultes qu'ils regardent, par rapport à eux en particulier, comme le résultat d'une dette sacrée.

« A cela se réduit, Citoyens, ce que j'avais à vous dire au nom de votre comité des cultes; permettez-moi de vous rappeler qu'il n'a pas cru devoir provoquer de votre part un vote de principe sur la question si grave dont je viens de vous entretenir, et qui trouvera plus naturellement sa solution dans le cours de la discussion à laquelle le projet de constitution va bientôt donner lieu parmi nous.

« Sous le bénéfice de ces considérations diverses, votre comité vous propose donc de renvoyer, à titre de renseignement, au comité de constitution, la pétition dont je viens d'avoir l'honneur de vous faire le rapport. » (Ces conclusions sont adoptées.)

Le comité s'est ensuite occupé de l'examen du budget des cultes. Il a nommé pour cet objet, dans la séance du 26 mai 1848, une sous-commission composée de MM. l'évêque de Quimper, Isambert et Arnaud (de l'Ariège). Ce dernier a fait, au nom de la sous-commission, un rapport détaillé au comité. Ce rapport, plein d'intérêt, a tenu plusieurs séances du comité.

En voici l'analyse, avec les observations et les décisions. qu'il a provoquées :

La sous-commission est d'avis qu'il n'y a pas de réductions à faire sur le traitement du clergé, sauf les exceptions dont il sera parlé ci-après. L'état de nos finances exige sans doute des économies, mais il est des traitements sur lesquels il est impossible d'en faire. Ceux du clergé sont de ce nombre. Leur insuffisance est même depuis longtemps généralement reconnue. C'est à peine si les simples succursalistes, si les curés de campagne, qui rendent pourtant de si grands services aux populations et qui portent ce qu'il y a de plus pénible dans le fardeau du ministère, peuvent vivre avec le

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