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CHAPITRE IV.

Du Budget des Cultes.

Les trois systèmes sur les rapports de l'Église et de l'État dont nous avons parlé dans le chapitre premier, devaient naturellement se reproduire, et se sont, en effet, reproduits à propos de la discussion sur le budget des cultes.

Si l'État salarie le clergé, disent dans les livres et dans les journaux les partisans de la séparation absolue, c'est pour lui un droit, plus que cela, un devoir de surveiller, dans l'intérêt des contribuables, l'emploi des fonds qui reçoivent cette destination. L'État entre alors dans le domaine spirituel, et le principe de l'incompétence de l'État en matière religieuse venant à disparaître, la liberté des cultes et par conséquent la liberté de la pensée sont frappées du même coup. Que deviennent, en effet, l'indépendance, la dignité des ministres du culte, s'ils sont obligés de tendre la main pour recevoir un salaire; s'ils doivent acheter cette faveur au prix des plus grands sacrifices; si l'Etat exige en retour la faculté d'intervenir dans la nomination des évêques, des curés, des chanoines, des grands-vicaires, à qui il donne un traitement; si, pour se plier aux exigences du trésor, il se réserve le droit d'augmenter ou de réduire, suivant les occurrences, le nombre des évêchés, des cures, des succursales, des vicariats, des canonicats; si, à raison des bourses qu'il crée dans les séminaires et les petits-séminaires, il veut savoir combien d'élèves reçoivent l'enseignement théologique et quel est l'esprit de cet enseignement? D'un autre côté, la liberté de la pensée n'existe plus, toute concurrence devenant impossible avec un clergé entretenu aux frais de l'Etat. Car quels seront les cultes salariés? Si tous ne le sont pas, vous constituez des priviléges. Et puis, à quel signe reconnaître

ceux qui méritent d'être rétribués et ceux qui en sont indignes? Vous devez donc, pour être justes, salarier tous les cultes, toutes les religions, toutes les sectes, même les sectes philosophiques, à moins de vouloir établir des différences injurieuses, à moins de vouloir comprimer, étouffer la libre expansion de la pensée. Car comment la pensée philosophique, la raison humaine, pourraient-elles lutter avec avantage contre des cultes rétribués, contre des doctrines qui auraient leur chaire rétribuée dans tous les villages de la France? Laissez donc à chaque influence le soin de se produire, selon sa puissance propre, sa puissance réelle, et non suivant une puissance d'emprunt. Si la religion a sa racine au sein de Dieu, elle ne pourra que gagner à être dégagée de toute entrave, de tout contact avec la puissance civile. Elle ne vivra alors que de sa vie propre, c'est-à-dire de la vie divine, et ses temples, loin de se fermer, se multiplieront comme le grain de sénevé, et les populations se feront une fête de les bâtir et de les orner. Que si elle a sa source dans la superstition, oh! alors il n'y a pas de mal à ce que le culte de la philosophie se substitue à son influence, et tout le monde y gagnera, car il y a toujours à gagner à voir l'empire de la vérité s'étendre sur la terre. La seule barrière qui s'oppose à l'établissement de cet empire, c'est le budget des cultes, qui prête au clergé une force factice, la seule qui fasse vivre la religion. Olez cette force en supprimant le budget, et alors chaque système, chaque idée ne vivant plus que de sa vie propre, le règne de la justice luit enfin pour le monde, et le règne des priviléges s'enfuit sans retour.

Disons-le tout d'abord, pour être exacts, c'est à peine si cet ordre d'idées, si bien réfutées comme on va le voir par M. Chapot, a été indiqué au sein du comité, dont tous les membres se sont montrés constamment respectueux vis-à-vis de la religion. Les partisans de la liberté absolue se sont prêtés tout d'abord à un accommodement. Frappés de cette considération qu'une république naissante a surtout besoin de religion, effrayés des progrès rapides de certaines théories, et

persuadés qu'il y aurait une grande imprudence à livrer aux enseignements du premier venu les populations qui ne pourraient payer les ministres du culte sans achever de se ruiner, touchés d'ailleurs de cette pensée qu'il fallait fortifier l'action de l'État en lui donnant le droit d'intervenir à certains égards dans ce qui touche à la police des cultes, ils se sont bientôt ralliés aux partisans du traitement du clergé, et ils n'ont fait aucune difficulté de le maintenir, sauf quelques modifications trop peu importantes pour que nous croyions devoir en parler, ici.

D'autres, qui voulaient la séparation dans l'intérêt exclusif de l'Eglise, n'ont pas hésité non plus à se ranger à l'opinion commune. Ils ont cru avec raison que l'Etat pouvait rétribuer les cultes, puisqu'il rétribue tous les grands services publics, et même les théâtres, sans mettre pour cela l'Église dans sa dépendance.

D'autres voulaient le budget pour donner à l'Etat une certaine prépondérance sur le clergé ; d'autres enfin le voulaient parce qu'il leur semblait qu'aux termes des art. 13 et 14 du Concordat, le traitement du clergé n'était qu'une juste indemnité pour les biens dont il avait été dépouillé par la première révolution; tellement qu'en dernière analyse, par les motifs les plus divers et dans des vues toutes différentes, le comité a été unanime pour le maintien du budget des cultes, et dans sa séance du 8 juin 1848, il a chargé M. Chapot de faire un rapport dans ce sens. Ce rapport a été lu au comité dans la séance du 15 juin 1848 et présenté à l'Assemblée nationale, qui en a adopté les conclusions. On sait d'ailleurs que la Constitution a maintenu le budget des cultes par son art. 7, ainsi conçu :

« Chacun professe librement sa religion et reçoit de l'Etat, pour l'exercice de son culte, une égale protection.

« Les ministres, soit des cultes actuellement reconnus par la loi, soit de ceux qui seraient reconnus à l'avenir, ont le droit de recevoir un traitement de l'Etat. »

Voici le rapport de M. Chapot:

CITOYENS REPRÉSENTANTS,

« Je viens, au nom de votre comité des cultes, vous faire un rapport sur plusieurs pétitions qui ont été adressées à l'Assemblée nationale, et relatives, entre autres choses, à la suppression ou au maintien du budget des cultes.

« Le citoyen Adrien Boissier, pasteur de l'église réformée, à Mazères, département de l'Ariège, demande, comme conséquence obligée du principe de la séparation de l'Église et de l'État, l'abolition du salaire des cultes.

« Il se fonde sur des considérations qui vont trouver leur place dans l'analyse de celles qui sont données en général à l'appui du système qu'il propose.

« Quant au principe de la séparation complète de l'Église et de l'État, invoqué par le pétitionnaire, votre comité a pensé que ce principe était du nombre de ceux dont la discussion devait être réservée à votre comité de constitution, et, sur ce chef de la pétition, il lui a paru convenable, sans rien préjuger, de vous proposer le renvoi pur et simple à ce dernier comité, à titre de renseignement.

« Il en eût été de même de la conséquence déduite de ce principe relativement à la suppression du budget des cultes, si votre comité, dans un but facile à comprendre, celui de calmer les esprits sur une question qui touche à de si nombreux intérêts, n'avait cru devoir révéler une partie de la discussion qui a eu lieu dans son sein sur ce point particulier de la question générale.

« A cet égard, votre comité a reconnu en principe que, la religion étant une base indispensable de toute société régulière, le culte, qui n'est que l'expression, la forme extérieure du sentiment religieux, devait être mis au rang des nécessités sociales. L'histoire, en effet, n'offre point d'exemple d'un peuple vivant sans religion, sans culte; le principe qui vient d'être posé n'est donc que la consécration, le corollaire forcé d'un fait incontestable. Mais l'idée de culte public (et c'est de celui-là seul qu'il s'agit ici) implique avec elle des temples,

des ministres, des manifestations matérielles qui appellent nécessairement des dépenses, des frais de toute espèce, un budget, en un mot; et la question est de savoir si la formation de ce budget sera livrée au concours individuel et volontaire des membres qui composent la société, ou bien si on l'établira sous forme d'une allocation spéciale sur le grand budget de l'Etat.

« Les partisans du premier système disent, à son appui, que, dans un État qui n'affecte aucune religion spéciale, sous un régime de liberté de conscience, il est anormal de contraindre quelqu'un à soutenir une foi qui n'est pas la sienne, à concourir aux frais matériels d'un culte qu'il répudie; qu'il est plus rationnel que celui qui ne veut professer aucun culte soit dispensé d'en supporter les charges, et que chacun concoure, dans les limites de sa volonté, à supporter celles du culte auquel il veut appartenir. Ils ajoutent, en puisant leurs raisons dans un autre ordre d'idées, que le sentiment religieux d'un pays a tout à perdre dans le maintien d'un traitement officiel alloué par l'État au clergé, quel qu'il soit; que par là, en effet, le ministre de Dieu n'est plus qu'un fonctionnaire public soumis à toutes les exigences, et surtout à l'indépendance que ce titre impose; que c'est faire revêtir à l'enseignement sacerdotal la forme d'une institution humaine, ce qui lui ravit l'influence et la considération que son caractère spirituel et divin peut seul lui conserver.

« Votre comité, Citoyens, s'est profondément pénétré de ces raisons et de toutes celles qui peuvent être accessoirement déduites dans le même sens, et, après mûr examen, son avis à peu près unanime a été que le budget des cultes doit être maintenu comme allocation spéciale sur le budjet de l'Etat. «En voici les raisons principales :

« Si l'on n'avait à se préoccuper que des intérêts du culte catholique, on pourrait chercher peut-être à assigner aux obligations de l'État envers ce culte, l'origine et la cause des contrats ordinaires à titre onéreux, c'est-à-dire à établir par actes que le traitement du clergé est une dette contractée par

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