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L.

Du caractere original.

MAIS l'art des jardins ne se borne pas à l'imitation: il crée des caracteres originaux ; il donne aux fcenes de tout genre, des expreffions très - fupérieures à celles de l'emblême & de l'allégorie. Tous les objets de la nature ont des propriétés & des difpofitions telles qu'ils produifent en nous certaines idées & certaines fenfations particulieres. J'en ai fait remarquer quelques-unes, & toutes font parfaitement connues. Elles n'exigent ni difcernement, ni examen, ni difcuffion; nous les appercevons d'un coup d'œil, & nous les fentons au premier instant. La beauté toute feule ne nous attache pas autant que le caractere original. Ses impreffions font moins durables, moins intéressantes, parce qu'elle fe borne au plaifir de l'œil, au lieu que l'autre nous affecte vivement. L'affemblage des formes les plus élégantes & le plus heureufe ment fituées nous touche peu,. fi leur choix & leur arrangement n'est destiné à produire certaines expreffions. L'ensemble doit frapper d'abord par un air de magnificence, ou de fimplicité, ou de gaîté, ou de tranquillité, enfin par quelque carac

tere général; & tous les objets qui choqueroient ce caractere, quelqu'agréables qu'ils fuffent d'ailleurs, doivent être exclus. Ceux qui n'ont d'autre défaut que de manquer d'expreffion, doivent difparoître devant ceux qui s'adaptent mieux à la scene. Il en eft de défagréables & qu'on choifit cependant de préférence par le feul mérite de l'expression, & la ftérilité même peut trouver fa place dans une fcene entiérement confacrée à la folitude & à la trifteffe.

La force des caracteres originaux ne s'arrête pas aux idées que les objets produifent immédiatement: car ces idées font liées avec d'autres qui conduisent insensiblement à des sujets fouvent très-éloignés de la penfée originale, & qui n'ont avec elle d'autre rapport que celui de la reffemblance dans les fenfations qu'ils excitent. Une perfpective, enrichie & animée par la culture & la population, frappe & captive d'abord notre attention par tout ce que la faifon présente de plus agréable; c'est un verger fleuri, ou une prairie qu'on fauche, ou un champ couvert de gerbes & de moiffonneurs: mais la gaîté une fois répandue dans notre ame, paffe enfuite à d'autres objets que ceux qui s'offrent à nos yeux, & nous nous livrons avec délices à une foule d'idées agréables

& variées, & aux fenfations les plus douces. A l'aspect des ruines, que de réflexions viennent naturellement fur les viciffitudes, la décadence & la défolation dont elles font l'image ! Ces réflexions conduisent beaucoup à d'autres, qui portent, comme elles, le caractere mélancolique : fi le monument est destiné à conferver la mémoire des anciens tems, nous ne nous arrêtons pas au fait particulier qu'il rappelle, nous réfléchiffons fur d'autres particularités du même fiecle, que notre imagi nation fe peint, non telles qu'elles étoient peutêtre, mais telles qu'elles font parvenues jufqu'à nous, vénérables par leur antiquité, & embellies par la renommée. Je dis plus, la nature seule, fans le fecours des bâtimens & des autres objets qui lui font acceffoires, a des matériaux suffisans pour créer des fcenes qui expriment prefque tous les caracteres. Leur action eft. générale, & fes effets font variés à l'infini. Notre ame s'éleve; s'abat', qu fe trouve dans une douce férénité, en raifon de la gaîté, de la trifteffe ou de la tran quillité qui régne dans la fcene : enfuite nous per dons bientôt de vue les objets qui constituent le caractere; & nous livrant à leurs effets fans for ger à la caufe, nous fuivons plus ou moins conftamment, felon leur analógie avec le caractere

qui

qui nous eft propre, cette fuite nombreu d'idées qui s'enfantent les unes les autres. Il fuffit pour leur origine, que les fcenes de la nature puissent affecter notre imagination & réveiller nos fenfations; car telle eft la constitution de l'ame humaine, que lorfqu'elle eft une fois ébranlée, l'émotion s'étend fouvent au-delà du fujet qui l'a produite, que les paffions allumées ont un cours qu'on ne peut régler, & que le vol de l'imagination n'a point de bornes, & nous tranfporte fucceffivement des objets inanimés dans un monde intellectuel, par une chaîne d'idées toujours différentes, quoique du même caractere, jusqu'à ce que nous foyons élevés des fujets les plus communs aux conceptions les plus fublimes, & ravis dans la contemplation du vrai grand & du vrai beau, , que nous voyons dans la nature, que nous fentons dans l'homme, & que nous attribuons à la divinité (1).

(1) Ceci paroît du platonisme tout pur, & renouvelle l'ancien fyftême des qualités abfolues. L'auteur a l'imagination belle & grande comme Platon, & nous transporte quelquefois comme lui dans les pays de la métaphyfique, où peu de gens pourront le fuivre. Je fuis bien trompé fi ce philofophe & les poëtes ne font fes lectures favorites.

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D'UN SUJET GÉNÉRAL.

L I.

Des différences entre une ferme, un jardin, un parê & une carriere (1).

LE's fcenes de la nature dépendent auffi du sujet général dont elles font partie. Il y a quatre efpeces de fujets généraux; une ferme, un jardin, un pare & une carriere (2). Ces quatre efpeces peuvent fe

(1) Le refte de cet ouvrage eft prefque entiérement confacré à ces quatre fujets généraux. Ce chapitre-ci,destiné à déterminer exactement leurs différences, doit donc être lu avec beaucoup d'attention.

(2) C'eft le feul mot de notre langue qui approche le plus du mot anglois riding, fur-tout dans le fens de l'auteur. Carriere a toujours fignifié dans notre langue une route, un chemin, une course en général, & plus particuliérement, un terrein destiné à une course de cheval. Or riding eft, felon l'explication de l'auteur, une route destinée à des exercices plus vifs que celui d'une fimple promenade; elle traverse un pays entier, & a beaucoup plus d'étendue qu'un parc: de forte qu'étant uniquement deftinée à l'amufement, on ne peut la parcourir qu'à cheval. Je prie le lecteur d'être un peu indulgent fur la figni

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