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que les rendre plus ifolés. Il faut donc être extrêmement en garde contre cette tendance naturelle des bâtimens à fe féparer des autres objets, & à ne plus faire partie d'un enfemble. Une fituation élevée a ordinairement beaucoup de nobleffe ; lorfque la hauteur fe termine en pointe, l'édifice peut en être la continuation, & fouvent quelquesuns de fes côtés pourront descendre plus bas que les autres, & tiendront à plus de points: mais? s'il eft placé au milieu d'un bord escarpé fort étendu, il paroîtra prefque toujours nud, ifolé, & peu lié avec le terrein. S'il n'eft pas naturellement environné d'un bois, on fera mieux de le bâtir un peu plus bas fur le penchant, afin qu'il s'uniffe avec tout ce qui l'entoure par un plus grand nombre de points de contact, & fe fonde en quelque forte avec le paysage."

Il est important que les bâtimens foient accompagnés d'autres objets qui ajoutent à leur éclat : mais ces objets manqueront leur effet, s'ils ne paroiffent pas accidentels. Une petite montagne qui n'a justement que l'espace néceffaire au bâtiment; une piece d'eau peu confidérable, placée au-deffous, & fans aucun autre ufage apparent que celui d'en réfléchir l'image; un bois planté derriere le bâtiment, & qu'on fent n'être destiné qu'à lui

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donner du relief, tout cela paroît auffi artificiel que l'édifice même, & le féparera de la scene naturelle où il est placé, & avec laquelle il devroit s'unir. Tous ces ornemens acceffoires doivent donc être tellement difpofés & combinés avec les parties voisines, que leur effet ne foit pas uniquement relatif au bâtiment, afin qu'ils puiffent devenir des moyens d'union, plutôt que des lignes, de féparation, & que la fituation paroiffe avoir été tout au plus choisie, mais non créée pour le bâtiment.

Par rapport au choix de la fituation, celle qui préfente le bâtiment fous le plus bel aspect, mérite en général la préférence. Une éminence, un bois, & tous les autres avantages doivent être prodigués à un objet auffi important, qui n'eft presque jamais un ornement à négliger, à caufe de fa beauté, & devient quelquefois néceffaire. Il ne faut le bannir d'une perfpective que dans le cas où il y paroîtroit étranger, & introduit à force d'art & de dépenfe. Il faut cependant résister quelquefois à tout ce qu'une heureufe fituation préfente de féduifant. Tantôt c'eft la compofition générale qui exclud un bâtiment dans une fcene, & l'exige dans une autre ; tantôt c'est un grouppe important, auquel il faut le facrifier, parce qu'un

objet particulier, quelque beau qu'il foit, doit toujours contribuer au grand effet de l'ensemble, & lui être fubordonné.

X L I.

Des Bâtimens relativement au caractere qu'ils expriment.

Le même édifice qui fert à orner une perspective, peut fervir auffi à la caractérifer. Mais ce font deux effets très-diftincts du même objet: il peut être très-faible comme ornement, & vigoureux du côté de l'expreffion : il eft trifte ou gai, fimple ou magnifique, &, felon le ftyle, analogue ou oppofé à la scene où il figure. Mais ce n'eft pas feulement dans un fimple rapport avec les objets environnans que confifte le mérite des bâtimens leur caractere eft quelquefois affez fort pour déterminer, perfectionner ou corriger celui de la fcene: ils font fi bien diftingués de tous les autres objets, leur moindre degré d'énergie fe fait vivement fentir. Ils font donc très-propres à produire une premiere impreffion ; & lorfqu'une fcene n'est que foiblement caractérisée d'ailleurs, ils répandent

que

fur l'ensemble une vigueur qui leur eft particuliere.

Non-feulement les bâtimens fixent ce qui eft incertain, & éclairciffent ce qui eft douteux; mais encore ils donnent de l'élévation & de l'énergie à un caractere déja marqué: un temple ajoute à la majesté de la scene la plus fuperbe; une cabane a la fimplicité du tableau le plus champêtre la légèreté d'un obélifque, la gaieté d'une rotonde ouverte, le brillant d'une longue colonnade, font moins des ornemens que des expreffions de caractere: certains édifices portent même un genre trop loin; la férénité jufqu'à l'extrême gaieté, le fombre jufqu'au noir, la richeffe jufqu'à la profufion : une petite retraite écartée, qui par elle-même ne fe fût pas attiré notre attention, devient remarquable dès qu'elle eft décorée de quelque bâtiment confacré à la folitude & à la tranquillité; & le lieu le moins fréquenté nous paroît moins folitaire que celui qui femble n'avoir été habité que par un feul homme, ou par une famille retirée, & qui n'eft remarquable que par une petite maison écartée, ou par des ruines d'une habitation abandonnée. Ce font les mêmes moyens, mais différemment appliqués, lorsqu'on fait usage des bâtimens pour corriger le caractere de la scene;

animer fa pefanteur, éclaircir fon obfcurité, mafquer ou redreffer ce qui s'éloigne du genre domi. nant, &, felon les circonftances, adoucir, renforcer, & balancer par des contrastes beaucoup d'autres objets de la même perspective. Mais il faut éviter avec foin que les bâtimens ne choquent pas trop fenfiblement le caractere général : ils peuvent diminuer les horreurs d'un désert, mais non pas au point d'y répandre de la douceur : ils rendent des objets moins terribles, mais jamais gracieux. Avec leur fecours une perfpective douce & unie peut devenir agréable, & même intéreffante, mais jamais pittorefque : & la férénité peut fuccéder à la tristeffe, mais non pas la gaieté. Enfin, dans tous les cas que je viens d'énoncer, & dans beaucoup d'autres, ils ne font que corriger & perfectionner le caractere dominant, fans le changer entiérement; car s'ils produifoient cet effet, & ne confervoient aucune analogie avec les autres parties, ils perdroient prefque tout leur prix.

Les grands effets qui naiffent des bâtimens, ne dépendent pas de ces petits ornemens auxquels on donne fouvent trop de valeur, tels que les meubles fimples d'un hermitage, les vîtraux d'une église gothique, les bas-reliefs d'un temple grec, des figures grotesques, ou des bacchanales, pour peindre

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