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enfin ne répand plus de tranquillité dans un Etat, où les mœurs font toûjours de meilleurs Citoyens, que les Loix.

C'eft de toutes les puiffances celle dont on abufe le moins: c'eft la plus facrée de toutes les Magiftratures: c'est la feule, qui ne dépend pas des conventions, & qui les a même precedées.

On remarque que dans les pays où l'on met dans les mains Paternelles plus de récompenses & de punitions, les familles font mieux réglées les peres font l'image du Createur de l'Univers, qui, quoiqu'il puiffe conduire les hom mes par fon amour, ne laiffe pas de fe les attacher encore par les motifs de l'efperance, & de la

crainte.

Je ne finirai pas cette Lettre fans te faire remarquer la bifarrerie de l'Esprit des François. On dit qu'ils ont retenu des Loix B 2

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Romaines un nombre infini de chofes inutiles, & même pis; & ils n'ont pas pris d'elles la puisfance paternelle, qu'elles ont établie comme la premiere autorité légitime.

De Paris le 18. de la Lune de Saphar. 1715.

LETTRE LXVII.

LE GRAND EUNUQUE USBEK

H

A Paris.

Ier des Armeniens menerent au Serrail une jeune Esclave de Circaffie, qu'ils vouloientendre. Je la fis entrer dans les appartemens fecrets; je la deshabillai; je l'examinai avec les regards d'un Juge; & plus je l'examinai, plus je lui trouvai de graces. Une pudeur virginale fem

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bloit vouloir les dérober à ma vûë je vis tout ce qu'il lui en coûtoit pour obéïr : elle rougisfoit de fe voir nûë même devant moi, qui exemt des paffions, qui peuvent allarmer la pudeur, fuis inanimé fous l'empire de ce fexe, & qui, miniftre de la modeftie dans les actions les plus libres, ne porte que de chaftes regards, & ne puis infpirer que l'innocence.

Dès que je l'eus jugée digne de toi, je baiffai les yeux: je lui jettai un manteau d'écarlate: je lui mis au doigt un anneau d'or: je me profternai à fes pieds : je l'adorai comme la Reine de ton cœur : je payai les Armeniens: je la dérobai à tous les yeux. Heureux Usbek, tu poffedes plus de beautez, que n'en enferment tous les Palais d'Orient. Quel plaifir pour toi de trouver à ton retour tout ce que la Perfe a de plus raviffant; & de voir dans ton Serrail B 3

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renaître les graces, à mesure que le tems & la poffeffion travaillent. à les détruire!

du Serrail de Fatmé le 1. de la Lune de Rebiab 1. 1715.

XX

LETTRE LX VIII.

USBEK à RHEDI.

A Venife.

Epuis que

je fuis en Europe

mon cher Rhedi, j'ai vû bien des Gouvernemens : ce n'eft pas comme en Afie, où les régles de la Politique fe trouvent par tout les

mêmes.

J'ai fouvent penfé en moi-même pour fçavoir quel de tous les Gouvernemens étoit le plus conforme à la Raifon. Il m'a femblé que le plus parfait eft celui qui

va

va à fon but à moins de frais; & qu'ainfi celui qui conduit les hommes de la maniere qui convient le plus à leur penchant, & à leur incli nation, eft le plus parfait.

Si dans un Gouvernement doux, le Peuple eft auffi foumis.

un

que

dans

Gouvernement fevere; le premier eft préferable, puisqu'il eft plus conforme à la Raifon ; & que la feverité eft un motif étran

ger.

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Compte mon cher Rhedi que dans un Etat, les peines plus ou moins cruelles ne font pas que l'on obéïffe plus aux Loix. Dans les Pays, où les châtimens font moderez, on les craint, comme dans ceux où ils font tyranniques & affreux.

Soit que le Gouvernement soit doux, foit qu'il foit cruel

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on

punit toujours par degrez; on inflige un châtiment plus ou moins grand à un crime plus ou B 4 moins

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