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avoir erré dans les débauches et les pompes de la Restauration, Dryden entrait dans les graves émotions de la vie intérieure; quoique catholique, il sentait en protestant les misères de l'homme et la présence de la grâce; il était capable d'enthousiasme. De temps en temps un vers viril et poignant décèle, au milieu de ses raisonnements, la puissance de la conception et le souffle du désir. Quand le tragique se rencontre, il s'y assoit comme dans son domaine; au besoin, il fouille dans l'horrible. Dryden a décrit la chasse infernale et le supplice de la jeune fille déchirée par les chiens avec la sauvage énergie de Milton'. Par contraste il a aimé la nature; ce goût a toujours duré en Angleterre; les sombres passions réfléchies se détendent dans la grande paix et l'harmonie des champs. Au milieu de la dispute théologique se développent des paysages; il voit « de nouveaux bourgeons fleurir, de nouvelles fleurs « se lever, comme si Dieu eût laissé en cet endroit « les traces de ses pas et réformé l'année. Les col<«< lines pleines de soleil brillaient dans le lointain << sous les rayons splendides, et, dans les prairies << au-dessous d'elles, les ruisseaux polis semblaient «< rouler de l'or liquide. Enfin ils entendirent chan<«< ter le coucou folâtre, dont la note proclamait la « fête du printemps. » On démêle sous ses vers

1. Theodore et Honoria.

2.

New blossoms flourish and new flowers arise,
As God had been abroad, and, walking there,
Had left his footsteps and reform'd the year.

réguliers une âme d'artiste'; quoique rétréci par les habitudes du raisonnement classique, quoique roidi par la controverse et la polémique, quoique impuissant à créer des âmes ou à peindre les sentiments naïfs et fins, il reste vraiment poëte; il est troublé, soulevé par les beaux sons et les belles formes; il écrit hardiment sous la pression d'idées véhémentes; il s'entoure volontiers d'images magnifiques; il s'émeut au bruissement de leurs essaims, au chatoiement de leurs splendeurs; il est au besoin musicien et peintre; il écrit des airs de bravoure qui ébranlent tous les sens, s'ils ne descendent pas jusqu'au cœur. Telle est cette ode pour la fête de sainte Cécile, admirable fanfare où le mètre et le son impriment dans les nerfs les émotions de l'esprit, chef-d'œuvre d'entraînement et d'art que Victor Hugo seul a renouvelé. Alexandre est sur son trône dans le palais de Persépolis; à côté de lui, Thaïs florissante de beauté; devant lui, dans l'immense salle, tous ses glorieux capitaines. Et Timothée chante il chante Bacchus, « Bacchus toujours beau,

The sunny hills from far were seen to glow
With glittering beams, and in the meads below

The burnished brooks appear'd with liquid gold to flow,

As last they heard the foolish cuckoo sing,

Whose note proclaim'd the holyday of spring.

1.

For her the weeping heaven become serene,
For her the ground is clad in cheerful green,

For her the nightingales are taught to sing,
And nature for her has delayed the spring.

Ces vers charmants sur la duchesse d'York rappellent ceux de La Fontaine sur la princesse de Conti.

2. Par exemple dans son Chant du Cirque.

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«< que

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<< Bacchus toujours jeune; le joyeux dieu vient en
triomphe: sonnez les trompettes! battez les tam-
<< bours! Il vient la face empourprée, les yeux riants;
les hautbois résonnent! Il vient, il vient, Bac-
«< chus toujours beau, toujours jeune; Bacchus a le
premier établi les joies du vin; les dons de Bac-
<«< chus sont un trésor; le vin est le plaisir du sol-
dat; riche est le trésor, doux est le plaisir; doux
« est le plaisir après la peine'. » Et sous les sons
vibrants, le roi se trouble; ses joues s'enflamment,
ses combats lui reviennent en mémoire; il défie les
hommes et les dieux. Alors un chant triste l'apaise :
Timothée pleure la mort de Darius trahi. Puis un
chant tendre l'amollit: Timothée célèbre l'amour et
la rayonnante beauté de Thaïs. Tout à coup les sons
de la lyre s'enflent; ils s'enflent plus haut; ils gron-
dent comme un tonnerre; le roi assoupi se redresse
égaré, les
fixes. «Vengeance! vengeance! re-
yeux
garde les Furies qui se lèvent; regarde les ser-
« pents qu'elles brandissent, comme ils sifflent dans

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1

1. The praise of Bacchus then the sweet musician sung,
Of Bacchus, ever fair and ever young.

The jolly god in triumph comes;
Sound the trumpets, beat the drums.
Flush'd with a purple grace,

He shows his honest face.

Now give the hautboys breath; he comes! he comes!

Bacchus! ever fair and young,

Drinking joys did first ordain;

Bacchus' blessings are a treasure,

Drinking is the soldiers's pleasure;

Rich the treasure,

Sweet the pleasure;

Sweet is pleasure after pain.

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«< l'air! et ces étincelles qui jaillissent de leurs yeux! « Vois cette bande de spectres, chacun une torche à « la main : ce sont les spectres des Grecs immolés << dans les batailles, laissés sur la plaine sans sé

pulture, sans honneur! Regarde comme ils se«< couent leurs torches, comme ils les lèvent, comme <«< ils montrent les palais persans, les temples étin«< celants des dieux leurs ennemis'!»- Les princes applaudissent, ils saisissent des flambeaux, ils courent, Thaïs la première, et la nouvelle Hélène brûle la nouvelle Troie! Ainsi jadis la musique attendrissait, exaltait, maîtrisait les hommes; les vers de Dryden, en décrivant son pouvoir, l'ont retrouvé.

X

Ce fut là une de ses dernières œuvres; toute brillante et poétique, elle était née parmi les pires tris

1.

Now strike the golden lyre again :

And louder yet, and yet a louder strain.

Break his bands of sleep asunder,

And rouse him, like a rattling peal of thunder.

Hark, hark, the horrid sound

Has rais'd up his head,

As awak'd from the dead,

And amaz'd, he stares around.

Revenge! revenge! Timotheus cries,

See the furies arise!

See the snakes that they bear,
How they hiss in the air!

And the sparkles that flash from their eyes!

Behold a ghastly band,

Each a torch in his hand!

These are Grecian ghosts, that in battle were slain,

tesses. Le roi pour lequel il avait écrit était détrôné et chassé; la religion qu'il avait embrassée était méprisée et opprimée; catholique et royaliste, il était confiné dans un parti vaincu, que la nation considérait avec ressentiment et avec défiance comme l'adversaire naturel de la liberté et de la raison. Il avait perdu les deux places qui le faisaient vivre; il subsistait misérablement, chargé de famille, obligé de soutenir ses fils à l'étranger, traité en mercenaire par un libraire grossier, forcé de lui demander de l'argent pour payer une montre qu'on ne voulait pas lui laisser à crédit, priant lord Bolingbroke de le protéger contre ses injures, vilipendé par son boutiquier quand la page promise n'était pas pleine au jour dit. Ses ennemis le persécutaient de pamphlets; le puritain Collier flagellait brutalement ses comédies; on le damnait sans pitié et en conscience. Il était malade depuis longtemps, impotent, contraint de beaucoup écrire, réduit à exagérer la flatterie pour obtenir des grands l'argent indispensable que les éditeurs ne lui donnaient pas'. « Ce que Virgile a

And unbury'd remain
Inglorious on the plain :-
Give the vengeance due
To the valiant crew:

Behold how they toss their torches on high,

How they point to the Persian abodes,

And glitt'ring temples of their hostile gods!

The princes applaud with a furious joy,

And the King seiz'd a flambeau with a zeal to destroy.
Thaïs led the way,

To light him to his prey,

And, like another Helen, fir'd another Troy.

1. On lui payait dix mille vers deux cent cinquante guinées.

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