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gues, avec toutes les rougeurs et tous les sourires du matin. D'ailleurs, quand Dryden entre en scène, il écrase les délicatesses de son maître, insérant des tirades ou des raisonnements, effaçant les tendresses abandonnées et sincères. Quelle distance entre son récit de la mort d'Arcite et celui de Chaucer! Quelles misères que ses beaux mots d'auteur, sa galanterie, ses phrases symétriques, ses froids regrets, si on les compare aux cris douloureux, aux effusions vraies, à l'amour profond qui éclate dans l'autre ! Mais, le pire défaut, c'est que, presque partout, il est copiste et conserve les fautes en traducteur littéral, les yeux collés sur son ouvrage, impuissant à l'embrasser pour le refondre, plus voisin du versificateur que du poëte. Quand La Fontaine a mis Ésope ou Boccace en vers, il leur a soufflé un nouvel esprit; il ne leur a pris qu'une matière; l'âme nouvelle, qui fait le prix de son œuvre, est à lui, n'est qu'à lui, et cette âme convient à son œuvre. Au lieu des périodes cicéroniennes de Boccace, on voit courir de petits vers lestes, finement moqueurs, de volupté friande, de naïveté feinte, qui goûtent le fruit défendu parce qu'il est fruit et parce qu'il est défendu. Le tragique s'en va, les souvenirs du moyen âge sont à mille lieues; il ne reste que la gaieté malicieuse, gauloise et bourgeoise, d'un frondeur et d'un gourmet. Ici les disparates abondent, et Dryden en est si peu choqué qu'il les importe ailleurs, dans ses poëmes théologiques, par exemple, représentant l'Église catholique par une biche et

les hérésies par diverses bêtes, qui disputent entre elles aussi longuement et aussi savamment que des gradués d'Oxford . Je ne l'aime pas davantage dans ses épîtres; ordinairement elles ne consistent qu'en flatteries, presque toujours crues, souvent mythologiques, parsemées de sentences un peu banales. « J'ai étudié Horace, dit-il, et je « pense que le style de ses épîtres n'est pas mal « imité ici3. » N'en croyez rien. Les lettres d'Horace, quoique en vers, sont de vraies lettres, agiles, de mouvement inégal, toujours improvisées, naturelles. Rien de plus éloigné de Dryden que cet esprit original et mondain, philosophe et polisson, le plus délicat et le plus nerveux des épicuriens, parent (à dix-huit cents ans de distance) d'Alfred de Musset et de Voltaire. Il faut, comme Horace, être penseur et homme du monde. pour écrire de la morale agréable, et Dryden, à

1. Though Huguenots contemn our ordination, Succession, ministerial vocation, etc.

Voilà les cailloux théologiques sur lesquels on trébuche dix fois par livre.

But once posse possess'd of what with care you save,
The wanton boys would piss upon your grave.

Voilà les grossièretés dans lesquelles la polémique s'engage vingt fois par livre.

2. Préface de la Religio Laici.

3. I have studied him and hope the style of his Epistles is not ill imitated here.

4. Le mot d'Auguste est charmant, mais on ne peut le citer, même en latin.

l'exemple de ses contemporains, n'est ni homme du monde ni penseur.

Mais d'autres traits non moins anglais le soutiennent. Tout d'un coup, au milieu des bâillements qu'excitaient ces épîtres, les yeux s'arrêtent. L'accent vrai, les idées neuves ont paru; Dryden, écrivant à son cousin, gentilhomme de campagne', a rencontré une matière anglaise et originale. Il peint la vie d'un squire rural qui est l'arbitre de ses voisins, qui évite les procès et les médecins de la ville, qui se maintient en santé par la chasse et l'exercice. Il cause avec lui des affaires publiques. Il montre le bon député « servant à la fois le roi et le peuple, «< conservant à l'un sa prérogative, à l'autre son privilége, » placé comme une digue entre les deux fleuves, cédant davantage au roi en temps de guerre et davantage au peuple en temps de paix, empêchant l'un et l'autre de déborder et de tarir. Cette grave conversation indique un esprit politique nourri par

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1. Treizième épître.

2.

How bless'd is he who leads a country life,

Unvex'd with anxious cares, and void of strife!
With crowds attended of your ancient race,
You seek the champaign sports or sylvan chase:
With well-breath'd beagles you surround the wood,
E'en then industrious of the common good;

And often have you brought the wily fox
To suffer for the firstlings of the flocks;

Chas'd e'en amid the folds, and made to bleed,

Like felons where they did the murderous deed.
This fiery game your active youth maintain'd,
Not yet by years extinguish'd, though restrain'd....
A patriot both the king and country serves,
Prerogative and privilege preserves;

Of each our laws the certain limit show;

LITT. ANGL.

11-44

le spectacle des affaires, ayant, en matière de débats publics et pratiques, la supériorité que les Français ont dans les dissertations spéculatives et les entretiens de société. Pareillement, au milieu des sécheresses de sa polémique éclatent des magnificences subites, un jet de poésie, une prière sortie du plus profond du cœur; la source anglaise de passion concentrée s'est tout d'un coup rouverte avec une largeur et un élan qu'on ne rencontre point ailleurs:

Comme les rayons empruntés de la lune et des étoiles luisent vainement pour le voyageur seul, las et égaré, ainsi la pâle raison luit vainement pour l'âme. Et comme ces feux roulants ne découvrent que la voûte céleste nous éclairer ici-bas; tel le rayon vacillant de la raison nous fut prêté, non pour assurer notre route incertaine, mais pour nous guider là-haut vers un jour meilleur. comme ces cierges de la nuit disparaissent seigneur du jour gravit notre hémisphère,

sans

Et

quand l'éclatant ainsi pâlit la

raison quand la religion se montre; — ainsi la raison meurt et s'évanouit dans la lumière surnaturelle '.

One must not ebb, nor t'other overflow:
Betwixt the prince and parliament we stand,
The barriers of the state on either hand

May neither overflow, for then they drown the land.
When both are full they feed our bless'd abode,
Like those that water'd once the Paradise of God.

Some overpoise of sway, by turns, they share;
In peace the people; and the prince in war:
Consuls of moderate power in calms were made;
When the Gauls came, one sole Dictator sway'd.
Patriots in peace assert the people's right,
With noble stubbornness resisting might;
No lawless mandates from the court receive,
Nor lend by force, but in a body give.

1.

Dim as the borrow'd beams of moon and stars
To lonely, weary, wand'ring travellers,

Is reason to the soul: and as on high

Ton

un flam

.... O Dieu miséricordieux, comme tu as bien préparé pour nos jugements faillibles un guide infaillible! trône est une obscurité dans l'abîme de lumière, boiement de gloire qui interdit le regard. Oh! enseignemoi à croire en toi, tout caché que tu demeures, chercher au delà de ce que toi-même as révélé, à prendre celle-là seule pour ma souveraine

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à ne rien

que tu as promis de ne jamais abandonner! Ma jeunesse imprudente a volé parmi les vains désirs; - mon âge viril, longtemps égaré par des feux vagabonds, a suivi des lueurs fausses, et quand leur éclair a disparu, mon orgueil a fait jaillir de lui-même Tel j'étais, tel par nature je

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d'aussi pompeuses étincelles. suis encore. - A toi la gloire, à moi la honte. Que toute ma tâche maintenant soit de bien vivre! Mes doutes sont finis1.

Telle est la poésie de ces âmes sérieuses. Après

Those rolling fires discover but the sky,

Nor light us here; so Reason's glimm'ring ray
Was lent, not to assure our doleful way,
But guide ue upward to a better day.
And as those nightly tapers disappear

When day's bright lord ascends our hemisphere;
So pale grows Reason at Religion's sight,
So dies, and so dissolves in supernatural light.

1. Religio Laici, Hind and Panther.

But, gracious God! how well dost thou provide
For erring judgments an unerring guide!
Thy throne is darkness in th' abyss of light,
A blaze of glory that forbids the sight.

O teach me to believe thee thus conceal'd,
And search no farther than thyself reveal'd;
But her alone for my director take,

Whom thou hast promised never to forsake!
My thoughtless youth was wing'd with vain desires,

My manhood, long misled by wandering fires,

Follow'd false lights, and when their glimpse was gone,

My pride struck out new sparkles of her own.
Such was I; such by nature still I am;

Be thine the glory, and be mine the shame!
Good life be now my task; my doubts are done.

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