Page images
PDF
EPUB

science, ni le génie, dégrade le bon style jusqu'à cet office, c'est voir un goujat qui s'occupe à tremper une parure dans un ruisseau. Après tout viennent le dégoût et la maladie. Tandis que la Fontaine reste jusqu'au dernier jour capable de tendresse et de bonheur, celui-ci à trente ans injurie la femme avec une âcreté lugubre. « Quand elle est jeune, elle se pros<«titue pour son plaisir; quand elle est vieille, elle prostitue les autres pour son entretien. Elle est un piége, une machine à meurtre, une machine à << débauche. Ingrate, perfide, envieuse, son naturel « est si extravagant, qu'il tourne à la haine ou à la << bonté absurde. Si elle veut être grave, elle a l'air « d'un démon; on dirait d'une écervelée ou d'une

coureuse quand elle tâche d'être polie dispu«teuse, perverse, indigne de confiance, et avide << pour tout dépenser en luxure'. » Quelle confession qu'un tel jugement, et quel abrégé de vie! On voit à la fin le viveur hébété, desséché comme un squelette, rongé d'ulcères. Parmi les refrains, les satires

1.

When she is young, she whores herself for sport;
And when she's old, she bawds for her support....
She is a snare, a shamble, a stews.

Her meat and sawce she does for lechery chuse,
And does in laziness delight the more,

Because by that she is provoked to whore.
Ungrateful, treacherous, enviously enclined,
Wild beasts are tamed, floods easier far confined,
Than is her stubborn and rebellious mind....

Her temper so extravagant we find,

She hates or is impertinently kind.

Would she be grave, she then looks like a devil,
And like a fool or whore, when she be civil....
Contentious, wicked, and not fit to trust,
And covetous to spend it on her lust.

crues, les souvenirs de projets avortés et de jouissances salies qui s'entassent comme dans un égout dans sa tête lassée, la crainte de la damnation fermente; il meurt dévot à trente-trois ans.

Tout en haut, le roi donne l'exemple. « Ce vieux bouc, » comme l'appellent les courtisans, se croit gai et élégant; quelle gaieté et quelle élégance! L'air francais ne va pas aux gens d'outre-Manche. Catholiques, ils tombent dans la superstition étroite; épicuriens, dans la grosse débauche; courtisans, dans la servilité basse; sceptiques, dans l'athéisme débraillé. Cette cour ne sait imiter que nos ameublements et nos costumes. L'extérieur de régularité et de décence que le bon goût public maintient à Versailles est rejeté d'ici comme incommode. Charles et son frère, en robe d'apparat, se mettent à courir comme au carnaval. Le jour où la flotte hollandaise brûla les navires anglais dans la Tamise, il soupait chez la duchesse de Monmouth et s'amusa à poursuivre un phalène. Au conseil, pendant qu'on exposait les affaires, il jouait avec son chien. Rochester et Buckingham l'injuriaient de reparties insolentes ou d'épigrammes dévergondées; il s'emportait et les laissait faire. Il se prenait de gros mots avec sa maîtresse publiquement; elle l'appelait imbécile, et il l'appelait rosse. Il revenait de chez elle le matin, « si bien que sentinelles elles-mêmes en parlaient'. » Il se laissait tromper par elle aux yeux de tous; une fois elle prit

1. Pepys.

les

LITT. ANGL.

6921

II - 30

deux acteurs, dont un saltimbanque. Au besoin, elle lui chantait pouille. « Le roi a déclaré qu'il n'était pas le père de l'enfant dont elle est grosse en ce moment; mais elle lui a dit : « Le diable m'emporte! « vous le reconnaîtrez. » Là-dessus, il reconnaissait l'enfant, et prenait pour se consoler deux actrices. Quand arriva sa nouvelle épouse, Catherine de Bragance, il la séquestra, chassa ses domestiques, la brutalisa pour lui imposer la familiarité de sa drôlesse, et finit par la dégrader jusqu'à cette amitié. Le bon Pepys, en dépit de son cœur monarchique, finit par dire « Ayant entendu le duc et le roi

[ocr errors]

parler, et voyant et observant leurs façons de s'en<< tretenir, Dieu me pardonne, quoique je les admire << avec toute l'obéissance possible, pourtant plus on <«<les considère et on les observe, moins on trouve de « différence entre eux et les autres hommes, quoi« que, grâce en soit rendue à Dieu, ils soient tous « les deux des princes d'une grande noblesse et <«< d'un beau naturel! » Il avait vu, un jour de fête, Charles II conduire miss Stewart dans une embrasure de croisée', « et la dévorer de baisers une « demi-heure durant, à la vue de tous. » Un autre jour, « le capitaine Ferrers lui dit qu'un mois auparavant dans un bal de la cour, une dame en

1. « Je ne sais où ce fou de Crofts avait pris que les Moscovites avaient tous de belles femmes, et que leurs femmes avaient toutes la jambe belle. Le roi soutint qu'il n'y en avait point de si belle que celle de Mlle Stewart. Elle, pour soutenir la gageure, se mit à la montrer jusqu'au-dessus du genou. » (Grammont.)

dansant laissa tomber un enfant. » On l'emporta dans un mouchoir, « et le roi l'eut dans son cabinet environ une semaine, et le disséqua, faisant à son endroit de grandes plaisanteries. » Ces gaietés de carabin par-dessus ces aventures de mauvais lieu donnent la nausée. Les courtisans suivaient l'élan. Miss Jennings, qui devint duchesse de Tyrconnel, se déguisa un jour en vendeuse d'oranges, et cria sa marchandise dans les rues. Pepys raconte les fêtes où les seigneurs et les dames se barbouillaient l'un à l'autre le visage avec de la graisse de chandelle et de la suie, «< tellement que la plupart d'entre eux ressemblaient à des diables. » La mode était de jurer, de raconter des scandales, de s'enivrer, de déblatérer contre les prêtres et l'Écriture, de jouer. Lady Castlemaine en une nuit perdit 25 000 livres sterling. Le duc de Saint-Albans, aveugle, à quatre-vingts ans, allait au tripot, avec un domestique à côté de lui qui lui nommait chaque carte. Sedley et Buckhurst se déshabillaient pour courir les rues après minuit. Un autre, en plein jour, se mettait nu à la fenêtre pour haranguer la multitude. Je laisse dans Grammont les accouchements des filles d'honneur et les goûts contre nature: il faut les montrer ou les cacher, et je n'ai pas le courage de les insinuer joliment à sa manière. Je finis par un récit de Pepys qui donnera la mesure. « Harry Killigrew m'a fait com

[ocr errors]

prendre ce que c'est que cette société dont on a tant parlé récemment, et qui est désignée sous le nom de balleurs (ballers). Elle s'est formée de

468

[ocr errors]
[ocr errors]

quelques jeunes fous, au nombre desquels il figurait, et de lady Bennett (comtesse d'Arling

ton), avec ses dames de compagnie et ses femmes. « On s'y livrait à tous les débordements imagi<<<nables; on y dansait à l'état de pure nature. >> L'inconcevable, c'est que cette kermesse n'est point gaie ils sont misanthropes et deviennent moroses; ils citent le lugubre Hobbes et l'ont pour maître. En effet, c'est la philosophie de Hobbes qui va donner de ce monde le dernier mot et le dernier trait.

VI

Celui-ci est un de ces esprits puissants et limités qu'on nomme positifs, si fréquents en Angleterre, de la famille de Swift et de Bentham, efficaces et brutaux comme une machine d'acier. De là chez lui une méthode et un style d'une sécheresse et d'une vigueur extraordinaires, les plus capables de construire et de détruire, et qui, par l'audace de leurs dogmes, ont mis dans une lumière immortelle une des faces indestructibles de l'esprit humain. Dans chaque objet, dans chaque événement, il y a quelque fait primitif et constant qui en est comme le noyau solide, autour duquel viennent se grouper les riches développements qui l'achèvent. L'esprit positif s'abat du premier coup sur ce noyau, écrase l'éclatante végétation qui le recouvre, la disperse, l'anéantit, puis, concentrant sur lui tout l'effort de sa prise véhémente, le dégage, le soulève, le taille, et l'érige

« PreviousContinue »