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communes, sir John Coventry, avait laissé échapper une parole qu'on prit pour un blâme des galanteries royales. Le duc de Monmouth, son ami, le fit assaillir en trahison, sur l'ordre du roi, par d'honnêtes gens dévoués, qui lui fendirent le nez jusqu'à l'os. Un scélérat, Blood, avait tenté d'assassiner le duc d'Osmond et poignardé le gardien de la Tour pour voler les diamants de la couronne. Charles II, jugeant cet homme intéressant et distingué dans son genre, lui fit grâce, lui donna un domaine en Irlande, l'admit dans sa familiarité face à face avec le duc d'Osmond, si bien que Blood devint une sorte de héros et fut reçu dans le meilleur monde. Après de si beaux exemples, on pouvait tout oser. Le due de Buckingham, amant de la comtesse de Shreswsbury, tue le comte en duel; la comtesse, déguisée en page, tenait le cheval de Buckingham, qu'elle embrassa tout sanglant; puis ce couple de meurtriers et d'adultères revint publiquement, et comme en triomphe, à la maison du mort. On ne s'étonne plus d'entendre le comte de Koenigsmark traiter «< de peccadille » un assassinat qu'il avait commis avec guetapens. Je traduis un duel d'après Pepys, pour faire comprendre ces mœurs de soudards et de coupejarrets. « Sir Henri Bellasses et Tom Porter, les deux

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plus grands amis du monde, parlaient ensemble, <«<et sir Henri Bellasses parlait un peu plus haut que «< d'ordinaire, lui donnant quelque avis. Quelqu'un « de la compagnie qui était là dit: Comment! « est-ce qu'ils se querellent qu'ils parlent si haut?

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Sir Henri Bellasses, entendant cela, ditNon, et je veux que vous sachiez que je ne que«relle jamais que je ne frappe. Prenez cela comme << une de mes règles. Comment, dit Tom Porter,

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frapper? Je voudrais bien voir l'homme d'Angle<< terre qui oserait me donner un coup. - Là-dessus « sir Henri Bellasses lui donna un soufflet sur <«< l'oreille, et ils allèrent pour se battre.... Tom << Porter apprit que la voiture de sir Henri Bel<<lasses arrivait; alors il sortit du café où il atten<«<dait les nouvelles, arrêta la voiture, et dit à sir «Henri Bellasses de sortir. Bien, dit sir Henri « Bellasses, mais vous ne m'attaquerez pas pendant « que je descendrai, n'est-ce pas ? Non, dit «Tom Porter. Il descendit, et tous deux dégaînè« rent. Ils furent blessés tous deux, et Henri Bel«<lasses si fort, qu'il mourut dix jours après. » Ce n'étaient pas ces bouledogues qui pouvaient avoir pitié de leurs ennemis. La Restauration s'ouvrit par une boucherie. Les lords conduisirent le procès des républicains avec une impudence de cruauté et une franchise de rancune extraordinaires. Un shériff se colleta sur l'échafaud avec sir Henri Vane, fouillant dans ses poches, lui arrachant un papier qu'il essayait de lire. Pendant le procès du major-général Harrison, le bourreau fut placé à côté de lui, en habit sinistre, une corde à la main; on voulait lui donner tout au long l'avant-goût de la mort. Il fut détaché vivant de la potence, éventré; il vit ses entrailles jetées dans le feu; puis il fut coupé en quar

tiers, et son cœur encore palpitant fut arraché et montré au peuple. Les cavaliers par plaisir venaient là. Tel renchérissait; le colonel Turner, voyant qu'on coupait en quartiers le légiste John Coke, dit aux gens du shériff d'amener plus près Hugh Peters, autre condamné; l'exécuteur approcha, et, frottant ses mains rouges, demanda au malheureux si la besogne était de son goût. Les corps pourris de Cromwell, d'Ireton, de Bradshaw, furent déterrés, traînés sur des claies, pendus à Tyburn, décapités le soir, et les têtes plantées sur des perches au haut de Westminster-Hall. Les dames allaient voir ces ignominies; le bon Evelyn y applaudissait; les courtisans en faisaient des chansons. Ils étaient tombés si bas, qu'ils n'avaient plus même le dégoût physique. Les yeux et l'odorat n'aidaient plus l'humanité de leurs répugnances; les sens étaient aussi amortis que le cœur.

V

Au sortir de ce sang, ils couraient à la débauche. Il faut lire la vie du comte de Rochester', homme de cour et poëte, qui fut le héros du temps. Ce sont les mœurs d'un saltimbanque effréné et triste: hanter les tripots, suborner les femmes, écrire des chansons

1. Voir une Étude détaillée sur Rochester, par M. Forgues. (Revue des Deux Mondes, août et septembre 1857.)

sales et des pamphlets orduriers, voilà ses plaisirs; des commérages parmi les filles d'honneur, des tracasseries avec les écrivains, des injures reçues, des coups de bâton donnés, voilà ses occupations. Pour faire le galant, avant d'épouser sa femme, il l'enlève. Pour étaler du scepticisme, il finit par refuser un duel et gagner le nom de lâche. Cinq ans durant, il resta ivre. La fougue intérieure, manquant d'une issue noble, le roulait dans des aventures d'arlequin. Une fois, avec le duc de Buckingham, il loua sur la route de Newmarket une auberge, se fit aubergiste, régalant les maris et débauchant les femmes. Il s'introduit déguisé en vieille chez un bonhomme avare, lui prend sa femme, qu'il passe à Buckingham. Le mari se pend; ils trouvent l'affaire plaisante. Une autre fois il s'habille en porteur de chaise, puis en mendiant, et court les amourettes de la canaille. Il finit par se faire charlatan, astrologue, et vend dans les faubourgs des drogues pour faire avorter. C'est le dévergondage d'une imagination véhémente, qui se salit comme un autre se pare, qui se pousse en avant dans l'ordure et dans la folie comme un autre dans la raison et dans la beauté. Qu'est-ce que l'amour pouvait devenir dans des mains pareilles? On ne peut pas copier même les titres de ses poëmes: il n'a écrit que pour les mauvais lieux. Stendahl disait que l'amour ressemble à une branche sèche jetée au fond d'une mine; les cristaux la couvrent, se ramifient en dentelures, et finissent par transformer le bois vulgaire

en une aigrette étincelante de diamants purs. Rochester commence par lui arracher toute sa parure; pour être plus sûr de le saisir, il le réduit à un bâton. Tous les fins sentiments, tous les rêves, cet enchantement, cette sereine et sublime lumière qui transfigure en un instant notre misérable monde, cette illusion qui, rassemblant toutes les forces de notre être, nous montre la perfection dans une créature bornée, et le bonheur éternel dans une émotion qui va finir, tout disparaît; il ne reste chez lui qu'un appétit rassasié et des sens éteints; le pis, c'est qu'il écrit sans verve et correctement; l'ardeur animale, la sensualité pittoresque lui manquent; on retrouve dans ses satires un élève de Boileau. Rien de plus choquant que l'obscénité froide. On supporte les priapées de Jules Romain et la volupté vénitienne, parce que le génie y relève l'instinct physique, et que la beauté de ses draperies éclatantes transforme l'orgie en une œuvre d'art. On pardonne à Rabelais quand on a senti la séve profonde de joie et de jeunesse virile qui regorge dans ses ripailles : on en est quitte pour se boucher le nez, et l'on suit avec admiration, même avec sympathie, le torrent d'idées et de fantaisies qui roule à travers sa fange. Mais voir un homme qui tâche d'être élégant en restant sale, qui veut peindre en langage d'homme du monde des sentiments de crocheteur, qui s'applique à trouver pour chaque ordure une métaphore convenable, qui polissonne avec étude et de parti pris, qui, n'ayant pour excuse ni le naturel, ni l'élan, ni la

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