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croix, était traversé d'hallucinations douloureuses1 ceux-ci sentaient le frôlement du malin esprit : tous passaient des nuits les yeux fixés sur les histoires sanglantes et les appels passionnés de l'Ancien-Testament, écoutant les menaces et les tonnerres du Dieu terrible, jusqu'à renouveler en leur propre cœur la férocité des égorgeurs et l'exaltation des voyants. Sous cet effort, la raison peu à peu défaillait. A force de chercher le Seigneur, on trouvait le rêve. Après de longues heures de sécheresse, l'imagination faussée et surmenée travaillait. Des figures éblouissantes, des idées inconnues se levaient tout d'un coup dans le cerveau échauffé; l'homme était soulevé et traversé de mouvements extraordinaires. Ainsi transformé, il ne se reconnaissait plus luimême ; il ne s'attribuait pas ces inspirations véhémentes et soudaines qui s'imposaient à lui, qui l'entraînaient hors des chemins frayés, que rien ne liait entre elles, qui le secouaient et l'illuminaient sans qu'il pût les prévoir, les arrêter ou les régler : il y voyait l'action d'une puissance surhumaine, et s'y livrait avec l'enthousiasme du délire et la roideur de la foi.

Pour comble, le fanatisme s'était changé en institution le sectaire avait noté tous les degrés de la transfiguration intérieure, et réduit en théorie l'envahissement du rêve il travaillait avec méthode à chasser la raison pour introniser l'extase. Fox en

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1. Carlyle, Cromwell's speeches and letters, t. Ier, p. 48.

faisait l'histoire, Bunyan en donnait les règles, le Parlement en offrait l'exemple, toutes les chaires en exaltaient la pratique. Des ouvriers, des soldats, des femmes en discouraient, y pénétraient, s'animaient par les détails de leur expérience et la publicité de leur émotion. Une nouvelle vie s'était déployée, qui avait flétri et proscrit l'ancienne. Tous les goûts temporels étaient supprimés, toutes les joies sensuelles étaient interdites; l'homme spirituel restait seul debout sur les ruines du reste, et le cœur, exclu de toutes ses issues naturelles, ne pouvait plus regarder ni respirer que du côté de son funeste Dieu. Le puritain passait lentement dans les rues, les yeux au ciel, les traits tirés, jaunes et hagards, les cheveux ras, vêtu de brun ou de noir, sans ornements, ne s'habillant que pour se couvrir. Si quelqu'un avait les joues pleines, il passait pour tiède'. Le corps entier, l'extérieur, jusqu'au ton de la voix, tout devait porter la marque de la pénitence et de la grâce. Le puritain discourait en paroles traînantes, d'un accent solennel, avec une sorte de nasillement, comme pour détruire la vivacité de la conversation et la mélodie de la voix naturelle. Ses entretiens remplis de citations bibliques, son style imité des prophètes, son nom et le nom de ses enfants, tirés de l'Écriture, témoignaient que sa pensée habitait le monde terrible des prophètes et des exterminateurs. Du dedans, la contagion avait

1. Le colonel Hutchinson fut un instant suspect parce qu'il portait les cheveux longs et qu'il s'habillait bien.

gagné le dehors. Les alarmes de la conscience s'étaient changées en lois d'État. La rigidité personnelle était devenue une tyrannie publique. Le puritain avait proscrit le plaisir comme un ennemi, chez autrui aussi bien qu'en lui-même. Le Parlement faisait fermer les maisons de jeu, les théâtres, et fouetter les acteurs à la queue d'une charrette; les jurons étaient taxés; les arbres de mai étaient coupés; les ours, dont les combats amusaient le peuple, étaient tués; le plâtre des maçons puritains rendait décentes les nudités des statues; les belles fêtes poétiques étaient interdites. Des amendes et des punitions corporelles interdisaient même aux enfants « les jeux, les danses, les sonneries de cloches, les réjouissances, les régalades, les luttes, la chasse,» tous les exercices et tous les amusements qui pouvaient profaner le dimanche. Les ornements, les tableaux, les statues des églises étaient arrachés ou déchirés. Le seul plaisir qu'on gardât et qu'on souffrît était le nasillement des psaumes, l'édification des sermons prolongés, l'excitation des controverses haineuses, la joie âpre et sombre de la victoire remportée sur le démon et de la tyrannie exercée contre ses fauteurs. En Écosse, pays plus froid et plus dur, l'intolérance allait jusqu'aux derniers confins de la férocité et de la minutie, instituant une surveillance sur les pratiques privées et sur la dévotion intérieure de chaque membre de chaque famille, ôtant aux catholiques leurs enfants, imposant l'abjuration sous peine de la prison per

pétuelle ou de la mort, amenant par troupeaux les sorcières au bûcher'. Il semblait qu'un nuage noir se fût appesanti sur la vie humaine, noyant toute lumière, effaçant toute beauté, éteignant toute joie, traversé çà et là par des éclairs d'épée et par des lueurs de torches, sous lesquels on voyait vaciller des figures de despotes moroses, de sectaires malades, d'opprimés silencieux.

1. 1648, trente en un jour. Un d'elles avoua qu'elle avait été à une assemblée où étaient cinq cents sorcières.-Pictorial history, t. III, p. 489.

2. In 1652 the kirk-session of Glasgow « brot boyes and servants before them, for breaking the Sabbath and other faults. They had clandestine censors, and gave money to some for this end.» (Buckle, History of Civilisation, I, 346.)

Even yearly in the 18th century the « most popular divines >> in Scotland affirmed that Satan « frequently appears clothed in a corporeal substance. » (Ibid., 367.)

No husband shall kiss his wife, and no mother shall kiss her child on the Sabbath-day.» (Ibid., 385.)

The quhilk day the Sessioune caused mak this act, that ther sould be no pypers at brydels, etc. (Ibid., 389.)

1719. The presbytery of Edinburgh indignantly declares : << Y,ea some have arrived at that height of impiety as not to be ashamed of washing in water and swimming in rivers upon the holy Sabbath.» (Ibid.)

<< I think David had never so sweet a time as then, when he was pursued as a partridge by his son Absalom. »>

(Gray's Great and Precious Promises.) Voir tout le chapitre où Buckle a décrit, d'après les textes, l'état de l'Ecosse au dix-septième siècle.

II

Le roi rétabli, ce fut une délivrance. Comme un fleuve barré et engorgé, l'esprit public se précipita de tout son poids naturel et de toute sa masse acquise dans le lit qu'on lui avait fermé. L'élan emporta les digues. Le violent retour aux sens noya la morale. La vertu parut puritaine. Le devoir et le fanatisme furent confondus dans un discrédit commun. Dans ce grand reflux, la dévotion, balayée avec l'honnêteté, laissa l'homme dévasté et fangeux. Les parties supérieures de sa nature disparurent; il n'en resta que l'animal sans frein ni guide, lancé par ses convoitises à travers la justice et la pudeur.

Quand on regarde ces mœurs à travers Hamilton et Saint-Évremond, on les tolère. C'est que leurs façons françaises font illusion. La débauche du Français n'est qu'à demi choquante; si l'animal en lui se déchaîne, c'est sans trop d'excès. Son fonds n'est pas, comme chez l'autre, rude et puissant. Vous pouvez casser la glace brillante qui le recouvre, sans rencontrer le torrent gonflé et bourbeux qui gronde sous son voisin '; le ruisseau qui en sortira n'aura que de petites échappées, rentrera de lui

1. Voyez dans Richardson, Swift et Fielding, mais surtout dans Hogarth, la peinture de cette débauche brutale. Encore récemment dans un finish à Londres, les gentlemen s'amusaient à soûler de belles filles parées en robe de bal; puis quand elles tombaient

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