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veut savoir s'ils observent eux-mêmes la régularité qu'ils imposent à autrui; et tout d'un coup l'on apprend d'étranges choses. Le cardinal Wolsey écrit au pape que les prêtres séculiers et réguliers commettent habituellement des crimes atroces pour lesquels, s'ils n'étaient pas dans les ordres, ils seraient promptement exécutés, et que les les laïques sont scandalisés de les voir non-seulement échapper à la dégradation, mais jouir d'une impunité parfaite. Un prêtre convaincu d'inçeste avec la prieure de Kilbourn est condamné pour toute peine à porter une croix à la procession et à payer trois shillings et quatre pence. A ce taux, je réponds qu'il recommencera. Dès le règne précédent, les gentilshommes et les fermiers du Carnavonshire déposaient une plainte pour accuser le clergé de débaucher, de parti pris, leurs femmes et leurs filles. Il y avait des maisons de prostitution à Londres pour l'usage particulier des prêtres. Quant aux abus du confessionnal, lisez dans les originaux les infimités auxquelles il donnait lieu. Les évêques distribuent des bénéfices à leurs enfants encore tout jeunes; « le saint père prieur de Maiden Bradley n'en avait que six dont une fille déjà mariée sur les biens du monasDans les couvents « les moines boivent

tère. »

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après la collation jusqu'à dix heures ou midi, et viennent à matines ivres... Ils jouent aux cartes,

1. En mai 1528. Froude, I, 179, 85, 201; II, 435.

2. Hale's Criminal causes; Suppression of the monasteries, Camden Society's publications.

aux dés... Quelques-uns n'arrivent à matines que quand le jour baisse, et encore seulement par crainte des punitions corporelles. » Les visiteurs royaux trouvaient des concubines dans les appartements secrets des abbés. Au monastère de Sion, les moines confesseurs des nonnes les débauchent et les absolvent tout ensemble. Il y eut des couvents, dit Burnet, où toutes les religieuses furent trouvées grosses. Environ « les deux tiers » des moines d'Angleterre vivaient de telle sorte, que le Parlement entendant le rapport officiel s'écria d'une seule voix : « A bas les moines ! » Quel spectacle pour un peuple en qui le raisonnement et la conscience commencent à s'éveiller! Bien avant le grand éclat, la colère publique grondait sourdement et s'amassait pour la révolte; des prêtres étaient hués dans les rues ou jetés dans le ruisseau; des femmes refusaient de recevoir l'hostie consacrée par une main qu'elles appelaient immonde. Quand l'appariteur ecclésiastique venait citer les délinquants, on le chassait en l'injuriant. «Va-t'en, puant coquin; vous êtes tous, chacun de vous, des canailles et des suborneurs. » Un mercier cassait la tête d'un appariteur avec son aune. Un garçon d'auberge disait que « la vue d'un prêtre le rendait malade, et qu'il ferait soixante milles pour en faire coffrer un. » L'évêque FitzJames écrivait que « les gens de Londres étaient si

1. Down with them » (Latimer's Sermons).

2. Horsyn Preste. Hale, 99.

malicieusement disposés in favorem hæreticæ pravitatis, qu'assemblés en jury ils condamnaient n'importe quel clerc, fût-il aussi innocent qu'Abel '; Wolsey lui-même parlait au pape « du dangereux esprit » qui se répandait parmi le peuple, et méditait une réforme. Quand Henri VIII mit la cognée à l'arbre et que lentement, avec défiance, il frappa un coup, puis un autre coup, émondant les branches, il eut mille et bientôt cent mille cœurs qui l'approuvèrent et qui auraient voulu frapper le trone.

Considérez à ce moment, vers 1524, l'intérieur d'un diocèse, celui de Lincoln par exemple', et jugez par cet exemple de la manière dont la machine ecclésiastique travaille partout l'Angleterre, multipliant les martyres, les haines et les conversions. L'évêque Longland fait appeler les parents des accusés, frères, femmes, enfants, et leur défère le serment; comme ils ont déjà été poursuivis et qu'ils ont abjuré, il faut bien qu'ils avouent, sinon ils sont relaps, et les fagots sont prêts. Voilà donc qu'ils dénoncent leurs proches et eux-mêmes. L'un a enseigné à un autre en anglais l'épître de saint Jacques. Celui-ci, ayant oublié plusieurs mots du Paler et du Credo latins, ne sait plus les réciter qu'en anglais. Une femme a détourné son visage de la croix qu'on portait le matin de Pâques. Plusieurs, à l'église, surtout au moment de l'élévation, n'ont pas

1. Froude, I, 90. En 1514. Improbus animus.

2. Fox, Acts and Monuments. In-folio, t. II, 23. En 1521.

voulu dire de prières et sont restés assis, « muets comme des bêtes. » Trois hommes, dont un charpentier, ont passé ensemble une nuit lisant un livre de l'Écriture. Une femme grosse est allée communier sans être à jeun. Un chaudronnier a nié la présence réelle. Un briquetier a gardé en sa possession l'Apocalypse. Un batteur en grange a dit en montrant son ouvrage qu'il était en train de faire sortir Dieu de la paille. D'autres ont mal parlé des pèlerinages, ou du pape, ou des reliques, ou de la confession. Et là-dessus, cinquante d'entre eux sont condamnés dans la même année à abjurer, à promettre de dénoncer autrui, et à faire toute leur vie pénitence, sous peine d'être relaps et brûlés comme tels. On les enferme en différentes abbayes; ils y seront nourris d'aumônes et travailleront pour mériter qu'on les nourrisse; ils paraîtront avec un fagot sur l'épaule au marché et à la procession du dimanche, puis dans une procession générale, puis au supplice d'un hérétique; ils jeûneront au pain et à l'eau tous les vendredis de leur vie, et porteront une marque visible sur leur joue. Outre cela, six sont brûlés vifs, et les enfants de l'un d'eux, John Scrivener, sont obligés de mettre eux-mêmes le feu au bûcher de leur père. Croyez-vous que, l'homme brûlé ou enfermé, tout soit fini? On se tait, je le veux bien, et on se cache; mais les longs souvenirs et les ressentiments amers subsistent sous le silence forcé. Ils ont vu1

1. Voyez, passim, les estampes dans Fox. Tous les détails

leur camarade, leur parent, leur frère lié par une chaîne de fer, les mains jointes, priant au milieu de la fumée pendant que la flamme noircissait sa peau et faisait fondre sa chair. De tels spectacles ne s'oublient pas; les dernières paroles prononcées sur les fagots, les appels suprêmes à Dieu et au Christ demeurent dans leur cœur, tout-puissants et ineffaçables. Ils les emportent avec eux et les méditent tout bas dans les champs, à leur ouvrage, quand ils se croient seuls; et là-dessus, obscurément, passionnément, les têtes travaillent. Car par delà cette sympathie universelle qui range tout homme du côté des opprimés, il y a le sentiment religieux qui fermente. La crise de la conscience a commencé, elle est naturelle à cette race; ils songent à leur salut, ils s'alarment de leur état, ils sont dans l'effroi des jugements de Dieu, ils se demandent si en demeurant sous l'obéissance et sous les rites qu'on leur impose, ils ne deviennent pas coupables et ne méritent pas d'être damnés. Est-ce avec des prisons et des supplices qu'on étouffera cette crainte? Crainte contre crainte, il ne reste qu'à savoir laquelle des deux sera la plus forte. On le saura bientôt, car le propre de ces anxiétés intérieures, c'est de s'accroître sous la contrainte et l'oppression. Comme une source vive qu'on essaye en vain d'écraser sous les pierres, elles bouillonnent, et s'entassent, et regorgent, jusqu'à ce que

qu'on va lire sont tirés des biographies. Voyez celles de Cromwell par Carlyle, de Fox le quaker, de Bunyan, et les procès rapportés tout au long par Fox.

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