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des masses, qui a toujours compté et compte encore dans son sein des hommes d'une valeur incontestable, n'ait sa raison d'être que dans de vagues et ridicules utopies, dans des mouvements anarchiques et criminels. Est-ce que ce n'est pas à l'idée démocratique que nous devons la liberté d'écrire et de penser, l'égalité devant la loi, la destruction des priviléges, le suffrage universel, le droit de réunion et d'association, et enfin la liberté d'enseignement inscrite dans la Constitution? Et cependant il fut un temps où il n'était pas permis de réclamer la plupart de ces droits sans passer pour un révolutionnaire, pour un factieux, pour un fauteur de désordre et d'anarchie! Les passions politiques sont toujours les mêmes. Il y a, il y aura toujours, comme il y a toujours eu, dans les pays de libre discussion, des conservateurs aveugles et des novateurs impatients. Mais entre ces deux extrémités, il y a ce que nous appelons le parti de la justice, de la véritable modération, le parti de ceux qui veulent faire passer dans les lois, dans les institutions, régulièrement, progressivement, sans secousse, sans révolution, toutes les réformes justes et réalisables, et augmenter ainsi successivement la somme du bien-être, au physique et au moral, en y faisant participer une plus grande masse de citoyens.

Eh bien! s'il nous est permis, à nous catholiques, d'embrasser et de suivre une pareille politique, sans porter le plus léger préjudice à notre foi, de quel droit, dirons-nous à ceux qui nous accusent, prétendre que

la religion chrétienne est inconciliable avec la démocratie ?

L'école catholique n'a jamais fait aucune difficulté de reconnaître par l'organe de ses docteurs, de ses évêques, et des souverains pontifes, que l'état républicain, au lieu d'être en opposition avec les maximes de l'Évangile, en serait la plus haute expression, si l'on pouvait amener les démocrates à la pratique de la religion et les hommes religieux à la pratique de la démocratie. Voici, à cet égard, ce qu'écrivait en 1797 le pape Pie VII, alors évêque d'Imola : « La forme du gouvernement démocratique n'est pas en opposition avec les maximes de notre sainte religion. Elle ne répugne pas à l'Évangile, elle exige au contraire des vertus sublimes qui ne peuvent s'acquérir qu'à l'école de Jésus-Christ. Une vertu ordinaire peut assurer la prospérité d'une autre forme de gouvernement. La nôtre demande davantage. Tâchez donc de conquérir la perfection de la vertu, et vous serez de vrais démocrates; accomplissez fidèlement les préceptes évangéliques, et vous serez la joie de la République. Soyez des chrétiens parfaits, et vous serez d'excellents démocrates. >>

Le principe fondamental, la grande base de la démocratie résident dans le principe de la souveraineté du peuple. Or, depuis bien des siècles, on s'occupe dans les écoles théologiques de cette grande question. Ici, sans doute, nous entrons dans le domaine des opinions humaines, et nous ne devons pas transformer en dogmes

les théories des théologiens. Mais lorsque ces théories sont professées avec une suite, un ensemble, un accord presque universel; lorsqu'elles sont enseignées par les plus grands hommes, elles doivent paraître très-respectables aux catholiques. Les Pères les plus illustres, les plus grands docteurs, les théologiens les plus autorisés du moyen âge et des temps modernes, ont tous admis que la puissance publique est donnée immédiatement par Dieu à la communauté ou à la nation, et déléguée par elle aux magistrats qui doivent la régir. Écoutons Suarez:

« On ne peut pas dire que le principat politique soit, en vertu de la seule raison naturelle, déterminé ni à la forme monarchique ni à la forme aristocratique, simples ou mixtes, car aucune raison ne prouve qu'un tel mode de gouvernement soit nécessaire. Les faits confirment cette vérité les nations diverses ont des formes diverses de gouvernement, et en cela elles n'agissent ni contre la raison naturelle ni contre l'institution divine immédiate. Cette diversité prouve donc que la puissance politique n'est donnée de Dieu immédiatement à aucune personne, prince, roi ou empereur, autrement une telle monarchie serait immédiatement constituée par Dieu même; ni à aucun sénat ou corps formé d'un petit nombre de princes, autrement une telle aristocratie serait immédiatement instituée de Dieu, et le même argument s'applique à toute forme mixte de gouvernement. Vous répondrez: Si cette raison était bonne, elle

prouverait aussi que Dieu n'a

pas immédiatement donné

le pouvoir politique à toute la communauté, autrement il s'ensuivrait, comme nous le disions tout à l'heure de la monarchie et de l'aristocratie, que la démocratie est immédiatement d'institution divine. Or, cela n'est pas moins faux et absurde pour la démocratie que pour les autres formes de gouvernement; car, d'abord, la raison naturelle ne détermine pas plus la nécessité de la démocratie que de la monarchie ou de l'aristocratie; bien au contraire, puisque cette forme est la plus imparfaite de toutes. Aristote l'atteste, et d'ailleurs, cela est évident. En second lieu, si une pareille institution était divine, les hommes ne pourraient jamais la changer.

par

« Je réplique De ce que la puissance politique n'a été donnée l'institution divine ni sous forme monarchique, ni sous forme aristocratique, il suit nécessairement qu'elle a été donnée à toute la communauté, puisqu'il ne reste, pour me servir de cette expression, aucun autre sujet humain qui ait pu en être revêtu.

je

« Quant à la seconde objection, à savoir que si ce que

dis était vrai, la démocratie serait d'institution divine, je réponds : Si on l'entend d'une institution positive, je le nie; mais si on l'entend d'une institution quasinaturelle, de institutione quasi-naturali, on peut l'admettre sans inconvénient, et on le doit. Il y a, en effet, une différence extrêmement remarquable entre ces différentes espèces de gouvernement politique, car ni la

monarchie, ni l'aristocratie, n'ont pu être introduites que par une institution positive soit de Dieu, soit des hommes, puisque, ainsi que je l'ai dit, la raison naturelle par elle-même (nude sumpta) ne détermine aucune de ces formes comme nécessaire. Or, il n'y a lieu à l'institution divine dans la nature humaine prise en elle-même (per se spectata) que par la foi ou la révélation divine, d'où il faut conclure nécessairement que les formes susdites ne sont pas de Dieu immédiatement. Mais la démocratie peut exister sans institution divine, en vertu de la seule institution ou dimanation naturelle, par cela seul qu'il n'existe aucune institution nouvelle ou positive, car la raison naturelle enseigne que la puissance politique suprême suit naturellement de l'existence de toute communauté humaine parfaite, d'où il résulte qu'elle appartient à toute la communauté, à moins qu'elle n'ait été, par une institution nouvelle, transférée à un autre sujet, la raison sur laquelle nous nous fondons ne donnant lieu à aucune autre détermination et ne réclamant pas l'immutabilité.

<< Ainsi, cette puissance, comme donnée de Dieu immédiatement à la communauté, peut être appelée, selon la manière de parler des jurisconsultes, de droit naturel négativement et non positivement, ou plutôt de droit naturel qui permet, mais non pas de droit naturel imposant une obligation: De jure naturali negativè, non positivè, vel potius de jure naturali concedente, non simpliciter præcipiente. Cela signifie que

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