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ter entre Dieu et l'homme, sont étrangères à toute philosophie humaine. L'essentiel est que la morale soit pratiquée : or, en détachant la plupart des hommes des dogmes qui fondent leur confiance et leur foi, on ne réussirait qu'à les éloigner de la morale même.

La prohibition du mariage, faite aux prêtres catholiques, est ancienne; elle se lie à des considérations importantes. Des hommes consacrés à la Divinité doivent être honorés; et dans une religion qui exige d'eux une certaine pureté corporelle, il est bon qu'ils s'abstiennent de tout ce qui pourrait les faire soupçonner d'en manquer. Le culte catholique demande un travail soutenu et une attention continuelle: on a cru devoir épargner à ses ministres les embarras d'une famille. Enfin, le peuple aime dans les règlements qui tiennent aux mœurs des ecclésiastiques tout ce qui porte le caractère de la sévérité; et on l'a bien vu, dans ces derniers temps, par le peu de confiance qu'il a témoigné aux prêtres mariés. On eût donc choqué toutes les idées en annonçant sur ce point le vœu dé s'éloigner de tout ce qui se pratique chez les autres nations catholiques.

Personne n'est forcé de se consacrer au sacerdoce. Ceux qui s'y destinent n'ont qu'à mesurer leur force sur l'étendue des sacrifices qu'on exige d'eux. Ils sont libres; la loi n'a point à s'inquiéter de leurs engagements, quand elle les laisse arbitres souverains de leur destinée.

Le célibat des prêtres ne pourrait devenir inquiétant pour la politique; il ne pourrait devenir nuisible qu'autant que la classe des ecclésiastiques serait trop nombreuse, et que celle des citoyens destinés à peupler l'État ne le serait pas assez. C'est ce qui arrive dans les pays qui sont couverts de monastères, de chapitres, de communautés séculières et régulières d'hommes et de femmes, et où tout semble éloigner les hommes de l'état du mariage et de tous les travaux utiles. Ces dangers sont écartés par nos lois, dont les dispositions ont mis dans les mains du gouvernement les moyens faciles de concilier l'intérêt de la religion avec celui de la société.

En effet, d'une part, nous n'admettons plus que les ministres dont l'existence est nécessaire à l'exercice du culte ; ce qui diminue considérablement le nombre des personnes qui se vouaient anciennement au célibat. D'autre part, pour les ministres même que nous conservons, et à qui le célibat est ordonné par les règlements ecclésiastiques, la défense qui leur est faite du mariage par ces règlements, n'est point consacrée comme empêchement dirimant dans l'ordre civil: ainsi leur mariage, s'ils en contractaient un, ne serait point nul aux yeux des lois politiques et civiles, et les enfants qui en naîtraient seraient légitimes. Mais, dans le for intérieur et dans l'ordre religieux, ils s'exposeraient aux peines spirituelles prononcées par les lois canoniques. Ils continueraient à jouir de leurs droits de famille et de cité; mais ils seraient tenus de s'abstenir de l'exercice du sacerdoce. Conséquemment, sans affaiblir le nerf de la discipline de l'Église, on conserve aux individus toute la liberté et tous les avantages garantis par les lois de l'État. Mais il eût été injuste d'aller plus loin, el d'exiger pour les ecclésiastiques de France, comme tels, une exception qui les eût déconsidérés auprès de tous les peuples catholiques, et auprès des Français même auxquels ils administreraient les secours de la religion.

Il est des choses que l'on dit toujours, parce qu'elles ont été dites une fois. De là le mot, si souvent répété, que le catholicisme est la religion des monarchies, et qu'il ne saurait convenir aux républiques.

Ce mot est fondé sur l'observation faite par l'auteur de l'Esprit des Lois, qu'à l'époque de la grande scission opérée dans l'Église par les nouvelles doctrines de Luther et de Calvin, la religion catholique se maintint dans les monarchies absolues, tandis que la religion protestante se réfugia dans les gouvernements libres.

Mais tout cela ne s'accorde point avec les faits. La religion protestante est professée en Prusse, en Suède et en Danemarck, lorsque l'on voit que la religion catholique est la religion do

minante des cantons démocratiques de la Suisse et de toutes les républiques d'Italie.

Sans doute, la scission qui s'opéra dans le christianisme influa beaucoup sur les affaires politiques, mais indirectement. La Hollande et l'Angleterre ne doivent pas précisément leur révolution à tel système religieux plutôt qu'à tel autre ; mais à l'énergie que les querelles religieuses rendirent aux hommes, et au fanatisme qu'elles leur inspirèrent.

Jamais, dit un historien célèbre, sans le zèle et l'enthousiasme qu'elles firent naître, l'Angleterre ne fût venue à bout d'établir la nouvelle forme de son gouvernement.

Ce que dit cet historien de l'Angleterre s'applique à la Hollande, qui n'eût jamais tenté de se soustraire à la domination espagnole, si elle n'eût craint qu'on ne lui laisserait pas la faculté de professer sa nouvelle doctrine.

Tant qu'en Bohême et en Hongrie les esprits ont été échauffés par les querelles de religion, ces deux États ont été libres; cependant ils combattaient pour le catholicisme. Sans ces mêmes querelles, l'Allemagne n'aurait peut-être pas conservé son gouvernement. C'est le trône qui a protégé le luthéranisme en Suède; c'est la liberté qui a protégé le catholicisme ailleurs; mais l'exaltation des âmes, qui accompagne toujours les disputes de religion, quel que soit le fond de la doctrine que l'on soutient ou que l'on combat, a contribué à rendre libres des peuples qui, sans un grand intérêt religieux, n'eussent eu ni la force, ni le projet de le devenir.

Sur cette matière, le système de Montesquieu est donc démenti par l'histoire.

La plupart de ceux qui ont embrassé ce système, c'est-à-dire qui ont pensé que le catholicisme est la religion favorite des monarchies absolues, croient pouvoir le motiver sur les fausses doctrines de la prétendue infaillibilité du pape, et du pouvoir arbitraire que les théologiens ultramontains lui attribuent. Mais il n'est pas plus raisonnable d'argumenter de ces doc

■ M. Hume.

trines, pour établir que le despotisme est dans l'esprit de la religion catholique, qu'il ne le serait d'argumenter des doctrines exagérées des anabaptistes sur la liberté et sur l'égalité, pour établir que le protestantisme, en général, est l'ami de l'anarchie, et qu'il est inconciliable avec tout gouvernement bien ordonné.

D'après les vrais principes catholiques, le pouvoir souverain en matière spirituelle réside dans l'Église et non dans le pape, comme d'après les principes de notre ordre politique, la souveraineté en matière temporelle réside dans la nation et non dans un magistrat particulier. Rien n'est arbitraire dans l'administration ecclésiastique; tout doit s'y faire par conseil l'autorité du pape n'est que celle d'un chef, d'un premier administrateur qui exécute, et non celle d'un maître qui veut, et qui propose ses volontés comme des lois.

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Rien n'est moins propre à favoriser et à naturaliser les idées de servitude et de despotisme que les maximes d'une religion qui interdit toute domination à ses ministres, qui nous fait un devoir de ne rien admettre sans examen, qui n'exige des hommes qu'une obéissance raisonnable, et qui ne veut les régir que dans l'ordre du mérite et de la liberté.

On ne peut voir, dans l'autorité réglée que les pasteurs de l'église catholique exercent séparément ou en corps, qu'un moyen, non d'asservir les esprits, mais d'empêcher qu'ils ne s'égarent sur des points abstraits et contentieux de doctrine, et de prévenir ou de terminer des dissensions orageuses, et des disputes qui n'auraient pas de terme.

Les gouvernements ont un si grand besoin de savoir à quoi s'en tenir sur les doctrines religieuses, que, dans les communions qui reconnaissent dans chaque individu le droit d'expliquer les Écritures, on se lie en corps par des professions publiques qui ne varient point, ou qui ne peuvent varier sans l'observation de certaines formes capables de rassurer les gouvernements contre toute innovation nuisible à la société.

Enfin, un des grands reproches que l'on fait au catholi

cisme, consiste à dire qu'il maudit tous ceux qui sont hors de son sein, et qu'il devient par là intolérant et insociable.

Nous n'avons point à parler en théologiens du principe des catholiques sur le sort de ceux qui sont hors de leur église. Montesquieu n'a vu dans ce principe qu'un motif de plus d'être attaché à la religion qui l'établit et qui l'enseigne. « Car, dit-il, quand une religion nous donne l'idée d'un choix fait par la divinité, et d'une distinction de ceux qui la professent d'avoc ceux qui ne la professent pas, cela nous attache beaucoup à cette religion. >>

Nous ajouterons, avec le même auteur, que, pour juger si un dogme est utile ou pernicieux dans l'ordre civil, il faut moins examiner ce dogme en lui-même que dans les conséquences que l'on est autorisé à en déduire, et qui déterminent l'usage et l'abus que l'on en fait.

« Les dogmes les plus vrais et les plus saints peuvent avoir « de très-mauvaises conséquences, lorsqu'on ne les lie pas. << avec les principes de la société; et au contraire, les dogmes « les plus faux en peuvent avoir d'admirables, lorsqu'on sait << qu'ils se rapportent aux mêmes principes.

« La religion de Confucius nie l'immortalité de l'âme, et « la secte de Zénon ne la croyait pas. Qui le dirait? ces deux « sectes ont tiré de leurs mauvais principes des conséquences << non pas justes, mais admirables pour la société. La reli« gion des Tac et des Foé croit l'immortalité de l'âme; mais « de ce dogme si saint, ils ont tiré des conséquences affreuses.

« Presque par tout le monde, et dans tous les temps, l'opi«nion de l'immortalité de l'âme, mal prise, a engagé les « femmes, les esclaves, les sujets, les amis, à se tuer pour « aller servir dans l'autre monde l'objet de leur respect ou « de leur amour.

« Ce n'est point assez pour une religion d'établir un dogme, « il faut encore qu'elle le dirige. »

C'est ce qu'a fait la religion catholique pour tous les dogmes qu'elle enseigne, en ne séparant pas ces dogmes de la morale pure et sage, qui doit en régler l'influence et l'application.

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