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J'observe que tout système de persécution serait évidemment incompatible avec l'état actuel de la France.

Sous un gouvernement absolu, où l'on est plutôt régi par des fantaisies que par des lois, les esprits sont peu effarouchés d'une tyrannie, parce qu'une tyrannie, quelle qu'elle soit, n'y est jamais une chose nouvelle; mais dans un gouvernement qui a promis de garantir la liberté politique et religieuse, tout acte d'hostilité exercé contre une ou plusieurs classes de citoyens, à raison de leur culte, ne serait propre qu'à produire des secousses: on verrait dans les autres une liberté dont on ne jouirait pas soi-même; on supporterait impatiemment une telle rigueur; on deviendrait plus ardent, parce qu'on se regarderait comme plus malheureux. Sachons qu'on n'afflige jamais plus profondément les hommes, que quand on proscrit les objets de leur respect, ou les articles de leur croyance; on leur fait éprouver alors la plus insupportable et la plus humiliante de toutes les contradictions.

D'ailleurs, qu'avons-nous gagné jusqu'ici à proscrire des classes entières de ministres, dont la plupart s'étaient distingués auprès de leurs concitoyens par la bienfaisance et par la vertu? Nous avons aigri les esprits les plus modérés ; nous avons compromis la liberté en ayant l'air de séparer la France catholique d'avec la France libre.

Il existe des prêtres turbulents et factieux; mais il en existe qui ne le sont pas; par la persécution on les confondrait tous. Les prêtres factieux et turbulents mettraient cette situation à profit pour usurper la considération qui n'est due qu'à la véritable sagesse; on ne les regarderait que comme malheureux et opprimés, et le malheur a je ne sais quoi de sacré qui commande la pitié et le respect.

Au lieu des assemblées publiques surveillées par la police, et qui ne peuvent jamais être dangereuses, nous n'aurions que des conciliabules secrets, des trames ourdies dans les ténèbres. Les scélérats se glorifieraient de leur courage; ils en imposeraient au peuple par les dangers dont ils seraient environnés. Ces dangers leur tiendraient lieu de vertus ; et les

mesures que l'on croirait avoir prises pour empêcher que la multitude ne fût séduite, deviendraient elles-mêmes le plus grand moyen de séduction.

De plus, voudrions-nous flétrir notre siècle en transformant en système d'état, des mesures de rigueur que nos lumières ne comportent pas, et qui répugneraient à l'urbanité française ? Voudrions-nous flétrir la philosophie même dont nous nous honorons à si juste titre, et donner à croire que l'intolérance philosophique a remplacé ce qu'on appelait l'intolérance sacerdotale?

Le gouvernement a donc senti que tout système de persécution devenait impossible.

Fallait-il ne plus se mêler des cultes, et continuer les mesures d'indifférence et d'abandon que l'on paraissait avoir adoptées, toutes les fois que les mesures révolutionnaires s'adoucissaient? Mais ce plan de conduite, certainement préférable à la persécution, n'offrait-il pas d'autres inconvéniens et d'autres dangers?

La religion catholique est celle de la très-grande majorité des Français.

Abandonner un ressort aussi puissant, c'était avertir le premier ambitieux ou le premier brouillon qui voudrait de nouveau agiter la France, de s'en emparer et de le diriger contre sa patrie.

A peine touchons-nous au terme de la plus grande révolution qui ait éclaté dans l'univers. Qui ne sait que dans les tempêtes politiques, ainsi qu'au milieu des grands désastres de la nature, la plupart des hommes, invités par tout ce qui se passe autour d'eux à se réfugier dans les promesses et dans les consolations religieuses, sont plus portés que jamais à la piété et même à la superstition? Qui ne connaît la facilité avec laquelle on reçoit, dans les temps de crise, les prédictions, les prophéties les plus absurdes, tout ce qui donne de grandes espérances pour l'avenir, tout ce qui porte l'empreinte de l'extraordinaire, tout ce qui tend à nous venger de la vicissitude des choses humaines? Qui ne sait encore que

les âmes, froissées par les événements publics, sont plus sujettes à devenir les jouets du mensonge et de l'imposture? Est-ce dans un tel moment, qu'un gouvernement bien avisé consentirait à courir le risque de voir tomber le ressort de la religion dans des mains suspectes ou ennemies?

Dans les temps les plus calmes, il est de l'intérêt des gouvernements de ne point renoncer à la conduite des affaires religieuses. Ces affaires ont toujours été rangées, par les différents codes des nations, dans les matières qui appartiennent à la haute police de l'État.

Un État n'a qu'une autorité précaire, quand il a dans son territoire des hommes qui exercent une grande influence sur les esprits et sur les consciences, sans que ces hommes lui appartiennent au moins sous quelques rapports.

L'autorisation d'un culte suppose nécessairement l'examen des conditions suivant lesquelles ceux qui le professent se lient à la société, et suivant lesquelles la société promet de l'autoriser. La tranquillité publique n'est point assurée, si l'on néglige de savoir ce que sont les ministres de ce culte, ce qui les caractérise, ce qui les distingue des simples citoyens et des ministres des autres cultes; si l'on ignore sous quelle discipline ils entendent vivre, et quels règlements ils promettent d'observer. L'État est menacé, si ces règlements peuvent être faits ou changés sans son concours, s'il demeure étranger ou indifférent à la forme et à la constitution du gouvernement qui se propose de régir les âmes, et s'il n'a dans des supérieurs légalement connus et avoués, des garants de la fidélité des inférieurs.

On peut abuser de la religion la plus sainte. L'homme qui se destine à la prêcher, en abusera-t-il, ou n'en abusera-t-il pas? S'en servira-t-il pour se rendre utile ou pour nuire? Voilà la question. Pour la résoudre, il est assez naturel de demander quel est cet homme, de quel côté sont ses intérêts, quels sont ses sentiments, comment il s'est servi jusqu'alors de ses talents et de son ministère. Il faut donc que l'État connaisse d'avance ceux qui seront employés. Il ne doit point

attendre tranquillement l'usage qu'ils feront de leur influence; il ne doit point se contenter de vaines formules ou de simples présomptions, quand il s'agit de pourvoir à sa conservation et à sa sûreté.

On comprend donc que ce n'était qu'en suivant, par rapport aux différents cultes, le système d'une protection éclairée, qu'on pouvait arriver au système bien combiné d'une surveillance utile. Car, nous l'avons déjà dit, protéger un culte, ce n'est point chercher à le rendre dominant ou exclusif; c'est seulement veiller sur sa doctrine et sur sa police, pour que l'État puisse diriger des institutions si importantes vers la plus grande utilité publique, et pour que les ministres ne puissent corrompre la doctrine confiée à leur enseignement, ou secouer arbitrairement le joug de la discipline, au grand préjudice des particuliers et de l'État.

Le gouvernement, en sentant la nécessité d'intervenir directement dans les affaires religieuses par les voies d'une surveillance protectrice, et en considérant les scandales et les schismes qui désolaient le culte catholique, professé par la très-grande majorité de la nation française, s'est d'abord occupé des moyens d'éteindre ces schismes et de faire cesser ces scandales.

Nécessité d'éteindre le schisme qui existait entre les ministres catholiques, et utilité de l'intervention du pape pour pouvoir remplir ce but.

Un schisme est, par sa nature, un germe de désordre qui se modifie de mille manières différentes, et qui se perpétue à l'infini. Chaque titulaire, l'ancien, le nouveau, le plus nouveau, ont chacun leurs sectateurs dans le même diocèse, dans la même paroisse, et souvent dans la même famille. Ces sortes de querelles sont bien plus tristes que celles qu'on peut avoir sur le dogme, « parce qu'elles sont comme une hydre << qu'un nouveau changement de pasteur peut à chaque <«< instant reproduire. »

D'autre part, toutes les querelles religieuses ont un caractère qui leur est propre. « Dans les disputes ordinaires, dit « un philosophe moderne, comme chacun sent qu'il peut se << tromper, l'opiniâtreté et l'obstination ne sont pas extrêmes; « mais dans celles que nous avons sur la religion, comme « par la nature de la chose chacun croit être sûr que son « opinion est vraie, nous nous indignons contre ceux qui, « au lieu de changer eux-mêmes, s'obstinent à nous faire « changer. >>

D'après ces réflexions, il est clair que les théologiens sont par eux-mêmes dans l'impossibilité d'arranger leur différends. Heureusement, les théologiens catholiques reconnaissent un chef, un centre d'unité, dans le pontife de Rome. L'intervention de ce pontife devenait donc nécessaire pour terminer des querelles jusqu'alors interminables.

De là, le gouvernement conçut l'idée de s'entendre avec le Saint-Siége.

La constitution civile du clergé, décrétée par l'Assemblée constituante, n'y mettait aucun obstacle, puisque cette constitution n'existait plus. On ne pouvait la faire revivre sans perpétuer le schisme qu'il fallait éteindre. Le rétablissement de la paix était pourtant le grand objet; et il suffisait de combiner les moyens de ce rétablissement avec la police de l'État et avec les droits de l'Empire.

Il faut sans doute se défendre contre le danger des opinions. ultramontaines, et ne pas tomber imprudemment sous le joug de la cour de Rome; mais l'indépendance de la France catholique n'est-elle pas garantie par le précieux dépôt de nos anciennes libertés ?

L'influence du pape, réduite à ses véritables termes, ne saurait être incommode à la politique. Si quelquefois on à cru utile de relever les droits des évêques pour affaiblir cette influence, quelquefois aussi il a été nécessaire de la réclamer et de l'accréditer contre les abus que les évêques faisaient de leurs droits.

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