Page images
PDF
EPUB

tiques, on prétend, d'un autre côté, que l'on fait un trop grand bruit de la religion, et qu'elle n'a plus aucune sorte de prise sur les hommes.

Il faut pourtant s'accorder: si les institutions religieuses peuvent inspirer du fanatisme, c'est par le ressort prodigieux qu'elles donnent à l'âme, et dès lors il faut convenir qu'elles ont une grande influence, et qu'un gouvernement serait peu sage de les mépriser ou de les négliger.

Avancer que la religion n'arrête aucun désordre dans les pays où elle est le plus en honneur, puisqu'elle n'empêche pas les crimes et scandales dont nous sommes les témoins, c'est proposer une objection qui freppe contre la morale et les lois elles-mêmes, puisque la morale et les lois n'ont pas la force de prévenir tous les crimes et tous les scandales.

A la vérité, dans les siècles même les plus religieux, il est des hommes qui ne croient point à la religion, d'autres qui y croient faiblement ou qui ne s'en occupent pas. Entre les plus fermes croyants, peu agissent conformément à leur foi; inais aussi ceux qui croient à la religion la pratiquent quelquefois, s'ils ne la pratiquent pas toujours; ils peuvent s'égarer, mais ils reviennent plus facilement. Les impressions de l'enfance et de l'éducation ne s'éteignent jamais entièrement chez les incrédules mêmes. Tous ceux qui paraissent incrédules ne le sont pas ; il se forme autour d'eux une sorte d'esprit général qui les entraîne malgré eux-mêmes, et qui règle jusqu'à un certain point, sans qu'ils s'en doutent, leurs actions et leurs pensées. Si l'orgueil de leur raison les rend sceptiques, leurs sens et leur cœur déjouent plus d'une fois les sophismes de leur raison.

La multitude est d'ailleurs plus accessible à la religion qu'au scepticisme; conséquemment les idées religieuses ont toujours une grande influence sur les hommes en masse, sur les corps de nation, sur la société générale du genre humain. Nous voyons les crimes que la religion n'empêche pas; mais voyons-nous ceux qu'elle arrête? Pouvons-nous scruter les consciences et y voir tous les noirs projets que la religion

y étouffe, et toutes les salutaires pensées qu'elle y fait naître? D'où vient que les hommes, qui nous paraissent si mauvais en détail, sont en masse de si honnêtes gens? Ne serait-ce point parce que les inspirations, les remords auxquels des méchants déterminés résistent, et auxquels les bons ne cèdent pas toujours, suffisent pour régir le général des hommes dans le plus grand nombre de cas, et pour garantir, dans le cours ordinaire de la vie, cette direction uniforme et universelle sans laquelle toute société durable serait impossible?

D'ailleurs, on se trompe si en contemplant la société humaine on imagine que cette grande machine pourrait aller avec un seul des ressorts qui la font mouvoir; cette erreur est aussi évidente que dangereuse. L'homme n'est point un être simple; la société, qui est l'union des hommes, est nécessairement le plus compliqué de tous les mécanismes. Que ne pouvons-nous la décomposer, et nous apercevrions bientôt le nombre innombrable de ressorts imperceptibles par lesquels elle subsiste. Une idée reçue, une habitude, une opinion qui ne se fait plus remarquer, a souvent été le principal ciment de l'édifice. On croit que ce sont les lois qui gouvernent, et partout ce sont les mœurs. Les mœurs sont le résultat lent des circonstances, des usages, des institutions. De tout ce qui existe parmi les hommes, il n'y a rien qui embrasse plus l'homme tout entier que la religion.

Nous sentons plus que jamais la nécessité d'une instruction. publique. L'instruction est un besoin de l'homme; elle est surtout un besoin des sociétés, et nous ne protégerions pas les institutions religieuses, qui sont comme les canaux par lesquels les idées d'ordre, de devoir, d'humanité, de justice, coulent dans toutes les classes de citoyens ! La science ne sera jamais que le partage du petit nombre; mais avec la religion on peut être instruit sans être savant. C'est elle qui enseigne, qui révèle toutes les vérités utiles à des hommes qui n'ont ni le temps ni les moyens d'en faire la pénible recherche. Qui voudrait donc tarir les sources de cet enseignement sacré, qui sème partout les bonnes maximes, qui les

rend présentes à chaque individu, qui les perpétue en les liant à des établissements permanents et durables, et qui leur communique ce caractère d'autorité et de popularité sans lequel elles seraient étrangères au peuple, c'est-à-dire à presque tous les hommes?

Écoutons la voix de tous les citoyens honnêtes qui, dans les assemblées départementales, ont exprimé leur vœu sur ce qui se passe depuis dix ans sous leurs yeux.

« Il est temps, disent-ils', que les théories se taisent de«vant les faits. Point d'instruction sans éducation, et point « d'éducation sans morale et sans religion.

« Les professeurs ont enseigné dans le désert, parce qu'on « a proclamé imprudemment qu'il ne fallait jamais parler de « religion dans les écoles.

« L'instruction est nulle depuis dix ans : il faut prendre la « religion pour base de l'éducation.

« Les enfants sont livrés à l'oisiveté la plus dangereuse, au « vagabondage le plus alarmant.

« Ils sont sans idée de la divinité, sans notion du juste et « de l'injuste. De là des mœurs farouches et barbares, de là « un peuple féroce.

« Si l'on compare ce qu'est l'instruction avec ce qu'elle de« vrait être, on ne peut s'empêcher de gémir sur le sort qui « menace les générations présentes et futures. >>

Ainsi toute la France appelle la religion au secours de la morale et de la société.

Ce sont les idées religieuses qui ont contribué plus que toute autre chose à la civilisation des hommes; c'est moins par nos idées que par nos affections que nous sommes sociables; or, n'est-ce pas avec les idées religieuses que les premiers législateurs ont cherché à modérer et à régler les passions et les affections humaines.

Comme ce ne sont guère des hommes corrompus ou des hommes médiocres qui ont bâti des villes et fondé des em

Analyse des procès-verbaux des conseils généraux des départements.

pires, on est bien fort quand on a pour soi la conduite et les plans des instituteurs et des libérateurs des nations. En est-il un seul qui ait dédaigné d'appeler la religion au secours de la politique?

Les lois de Minos, de Zaleucus, celle des Douze Tables, reposent entièrement sur la crainte des dieux. Cicéron, dans son Traité des Lois, pose la Providence comme la base de toute législation. Platon rappelle à la Divinité dans toutes les pages de ses ouvrages. Numa avait fait de Rome la ville sacrée, pour en faire la ville éternelle.

Ce ne fut point la fraude, ce ne fut point la superstition, dit un grand homme, qui fit établir la religion chez les Romains; ce fut la nécessité où sont toutes les sociétés d'en avoir une.

Le joug de la religion, continue-t-il, fut le seul dont le peuple romain, dans sa fureur pour la liberté, n'osa s'affranchir; et ce peuple, qui se mettait si facilement en colère, avait besoin d'être arrêté par une puissance invisible.

Le mal est que les hommes, en se civilisant, et en jouissant de tous les biens et des avantages de toute espèce qui naissent de leur perfectionnement, refusent de voir les véritables causes auxquelles ils en sont redevables; comme dans un grand arbre, les rameaux nombreux et le riche feuillage dont il se couvre cachent le tronc, et ne nous laissent apercevoir que des fleurs brillantes et des fruits abondants.

Mais, je le dis pour le bien de ma patrie, je le dis pour le bonheur de la génération présente et pour celui des générations à venir, le scepticisme outré, l'esprit d'irréligion, transformé en système politique, est plus près de la barbarie qu'on ne le pense.

Il ne faut pas juger d'une nation par le petit nombre d'hommes qui brillent dans les grandes cités. A côté de ces hommes, il existe une population immense qui a besoin d'être gouvernée, que l'on ne peut éclairer, qui est plus susceptible d'impression que de principes, et qui sans les secours et sans le frein de la religion ne connaîtrait que le malheur et le crime.

Les habitants de nos campagnes n'offriraient bientôt plus que des hordes sauvages, si, vivant isolés sur un vaste territoire, la religion, en les appelant dans les temples, ne leur fournissait de fréquentes occasions de se rapprocher, et ne les disposait ainsi à goûter la douceur des communications sociales.

Hors de nos villes, c'est uniquement l'esprit de religion qui maintient l'esprit de société. On se rassemble, on se voit dans les jours de repos. En se fréquentant, on contracte l'habitude des égards mutuels. La jeunesse, qui cherche à se faire remarquer, étale un luxe innocent qui adoucit les mœurs plutôt qu'il ne les corrompt. Après les plus rudes travaux, on trouve à la fois l'instruction et le délassement. Des cérémonies augustes frappent les yeux et remuent le cœur; les exercices religieux préviennent les dangers d'une grossière oisiveté. A l'approche des solennités, les familles se réunissent, les ennemis se réconcilient, les méchants mêmes éprouvent quelques remords. On connaît le respect humain. Il se forme une opinion publique bien plus sûre que celle de nos grandes villes, où il y a tant de coteries et point de véritable public. Que d'œuvres de miséricorde inspirées par la piété! que de restitutions forcées par les terreurs de la conscience!

Otez la religion à la masse des hommes : par quoi la remplacerez-vous ? Si l'on n'est pas préoccupé du bien, on le sera du mal : l'esprit et le cœur ne peuvent demeurer vides.

Quand il n'y aura plus de religion, il n'y aura plus ni patrie ni société pour des hommes qui, en recouvrant leur indépendance, n'auront que la force pour en abuser.

Dans quel moment la grande question de l'utilité ou de la nécessité des institutions religieuses s'est-elle trouvée soumise à l'examen du gouvernement? Dans un moment où l'on vient de conquérir la liberté, où l'on a effacé toutes les inégalités affligeantes, et où l'on a modéré la puissance et adouci toutes les lois. Est-ce dans de telles circonstances qu'il faudrait abolir et étouffer les sentiments religieux? C'est surtout dans les états libres que la religion est nécessaire. « C'est là, dit Polybe, que pour n'être pas obligé de donner un pouvoir dan

« PreviousContinue »