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«Le comité persiste à croire que cet important sujet ne peut être séparé d'une loi d'ensemble; que c'est là le point capital de la loi organique qui pourra être faite par l'Assemblée qui nous succédera. Nous ne pourrions que lui fournir des matériaux, résultat de nos méditations consciencieuses.

« La manière dont ce sujet a été envisagé en divers temps et en divers pays, suivant que la nation est plus ou moins divisée en sectes ou en religions, et que les influences se balancent ou s'excluent, suivant enfin que l'esprit nouveau se fait plus ou moins jour au sein des assemblées délibérantes qui décident du sort des peuples, tout conseille de ne rien précipiter, et d'attendre.

« Grâce à la liberté des cultes, largement consacrée par la Constitution nouvelle, et qui sera sérieusement protégée et non tolérée comme en d'autres temps, nous jouissons heureusement de la paix religieuse et ce n'est pas un médiocre avantage au milieu des agitations qui nous pressent, quand tant d'autres institutions sont remises en question.

:

<< Attendons que le calme revenu dans les esprits et une Assemblée moins nombreuse permettent de discuter et de résoudre les questions délicates qui se rattachent à l'organisation des cultes, avec la réserve et la maturité qu'elles exigent.

<< Attendons surtout que la crise produite par la révolution romaine du 15 novembre 1848, qui ne permet plus au sourain pontife réfugié à Gaëte que l'expédition des affaires courantes, ait pris fin, et qu'il puisse aussi, dans le calme de son indépendance, avoir son avis, et s'exprimer librement sur tout ce qui touche aux innovations relatives à l'institution des évêques.

<< Par ces motifs, et considérant qu'il a été donné satisfaction à l'auteur de la proposition sur la question d'inamovibilité des desservants, et la réinstitution de tribunaux disciplinaires ecclésiastiques comme base de négociations à ouvrir avec le Saint-Siége,

« Le comité propose à l'Assemblée nationale d'ajourner les autres parties de la proposition de M. Cenac, et surtout celle relative à la nomination des évêques.»

Ont surtout pris part à cette discussion MM. Arnaud (de l'Ariège), Bouhier de l'Écluse, Callet, Cenac, Chapot, Daniélo, de Tinguy, de l'Épinay, Fayet, Fournier, Freschon, Gayaret, Graveran, Isambert, Jouin, de l'Espinasse, Moutou, Parisis, Pradié, Vivien, Vignerte, etc., etc.

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CHAPITRE IV.

Du Budget des Cultes.

Les trois systèmes sur les rapports de l'Église et de l'État dont nous avons parlé dans le chapitre premier, devaient naturellement se reproduire, et se sont, en effet, reproduits à propos de la discussion sur le budget des cultes.

Si l'État salarie le clergé, disent dans les livres et dans les journaux les partisans de la séparation absolue, c'est pour lui un droit, plus que cela, un devoir de surveiller, dans l'intérêt des contribuables, l'emploi des fonds qui reçoivent cette destination. L'État entre alors dans le domaine spirituel, et le principe de l'incompétence de l'État en matière religieuse venant à disparaître, la liberté des cultes et par conséquent la liberté de la pensée sont frappées du même coup. Que deviennent, en effet, l'indépendance, la dignité des ministres du culte, s'ils sont obligés de tendre la main pour recevoir un salaire; s'ils doivent acheter cette faveur au prix des plus grands sacrifices; si l'Etat exige en retour la faculté d'intervenir dans la nomination des évêques, des curés, des chanoines, des grands-vicaires, à qui il donne un traitement; si, pour se plier aux exigences du trésor, il se réserve le droit d'augmenter ou de réduire, suivant les occurrences, le nombre des évêchés, des cures, des succursales, des vicariats, des canonicats; si, à raison des bourses qu'il crée dans les séminaires et les petits-séminaires, il veut savoir combien d'élèves reçoivent l'enseignement théologique et quel est l'esprit de cet enseignement? D'un autre côté, la liberté de la pensée n'existe plus, toute concurrence devenant impossible avec un clergé entretenu aux frais de l'Etat. Car quels seront les cultes salariés? Si tous ne le sont pas, vous constituez des priviléges. Et puis, à quel signe reconnaître

ceux qui méritent d'être rétribués et ceux qui en sont indignes? Vous devez donc, pour être justes, salarier tous les cultes, toutes les religions, toutes les sectes, même les sectes philosophiques, à moins de vouloir établir des différences injurieuses, à moins de vouloir comprimer, étouffer la libre expansion de la pensée. Car comment la pensée philosophique, la raison humaine, pourraient-elles lutter avec avantage contre des cultes rétribués, contre des doctrines qui auraient leur chaire rétribuée dans tous les villages de la France? Laissez donc à chaque influence le soin de se produire, selon sa puissance propre, sa puissance réelle, et non suivant une puissance d'emprunt. Si la religion a sa racine au sein de Dieu, elle ne pourra que gagner à être dégagée de toute entrave, de tout contact avec la puissance civile. Elle ne vivra alors que de sa vie propre, c'est-à-dire de la vie divine, et ses temples, loin de se fermer, se multiplieront comme le grain de sénevé, et les populations se feront une fête de les bâtir et de les orner. Que si elle a sa source dans la superstition, oh! alors il n'y a pas de mal à ce que le culte de la philosophie se substitue à son influence, et tout le monde y gagnera, car il y a toujours à gagner à voir l'empire de la vérité s'étendre sur la terre. La seule barrière qui s'oppose à l'établissement de cet empire, c'est le budget des cultes, qui prête au clergé une force factice, la seule qui fasse vivre la religion. Otez cette force en supprimant le budget, et alors chaque système, chaque idée ne vivant plus que de sa vie propre, le règne de la justice luit enfin pour le monde, et le règne des priviléges s'enfuit sans retour.

Disons-le tout d'abord, pour être exacts, c'est à peine si cet ordre d'idées, si bien réfutées comme on va le voir par M. Chapot, a été indiqué au sein du comité, dont tous les membres se sont montrés constamment respectueux vis-à-vis de la religion. Les partisans de la liberté absolue se sont prêtés tout d'abord à un accommodement. Frappés de cette considération qu'une république naissante a surtout besoin de religion, effrayés des progrès rapides de certaines théories, et

persuadés qu'il y aurait une grande imprudence à livrer aux enseignements du premier venu les populations qui ne pourraient payer les ministres du culte sans achever de se ruiner, touchés d'ailleurs de cette pensée qu'il fallait fortifier l'action de l'État en lui donnant le droit d'intervenir à certains égards dans ce qui touche à la police des cultes, ils se sont bientôt ralliés aux partisans du traitement du clergé, et ils n'ont fait aucune difficulté de le maintenir, sauf quelques modifications trop peu importantes pour que nous croyions devoir en parler, ici.

D'autres, qui voulaient la séparation dans l'intérêt exclusif de l'Eglise, n'ont pas hésité non plus à se ranger à l'opinion commune. Ils ont cru avec raison que l'Etat pouvait rétribuer les cultes, puisqu'il rétribue tous les grands services publics, et même les théâtres, sans mettre pour cela l'Église dans sa dépendance.

D'autres voulaient le budget pour donner à l'Etat une certaine prépondérance sur le clergé; d'autres enfin le voulaient parce qu'il leur semblait qu'aux termes des art. 13 et 14 du Concordat, le traitement du clergé n'était qu'une juste indemnité pour les biens dont il avait été dépouillé par la première révolution; tellement qu'en dernière analyse, par les motifs les plus divers et dans des vues toutes différentes, le comité a été unanime pour le maintien du budget des cultes, et dans sa séance du 8 juin 1848, il a chargé M. Chapot de faire un rapport dans ce sens. Ce rapport a été lu au comité dans la séance du 15 juin 1848 et présenté à l'Assemblée nationale, qui en a adopté les conclusions. On sait d'ailleurs que la Constitution a maintenu le budget des cultes par son art. 7, ainsi

conçu :

<< Chacun professe librement sa religion et reçoit de l'Etat, pour l'exercice de son culte, une égale protection.

« Les ministres, soit des cultes actuellement reconnus par la loi, soit de ceux qui seraient reconnus à l'avenir, ont le droit de recevoir un traitement de l'Etat. >>

Voici le rapport de M. Chapot:

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