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« Des publicistes en ont inféré que, dans l'intention du législateur, ces deux espèces de desservants n'appartenaient pas à la même catégorie.

<«< Dans leur opinion, les desservants de l'article 31 n'étaient, dans l'esprit du législateur, que des vicaires attachés à des églises non encore érigées en dessertes, mais dépendantes des cures de canton, et desservies provisoirement par des prêtres appelés par les curés, sous la surveillance desquels ils exerçaient. Ils étaient soumis à une simple approbation de l'évêque, comme aussi révocables par lui.

« Selon ces mêmes publicistes, les desservants de l'article 63 étaient ceux placés dans des églises érigées en dessertes. Ils auraient constitué des curés du second ordre, qui devaient non-seulement être approuvés par l'évêque, mais nommés par lui, comme les curés de canton.

<< Ils ont induit de là qu'ils auraient dû jouir des mêmes prérogatives que les curés de canton, et que la qualification de révocables ne pouvait leur être attribuée dans le sens de l'article 31.

<< Enfin, ils ont soutenu que, lors même que cette distinction ne pourrait être admise, les articles organiques, pas plus que les lois canoniques, ne donnaient aux évêques une faculté illimitée de révocation, sous bon plaisir; que cette révocation ne pouvait, en aucun cas, être prononcée que par un jugement de l'évêque, jugement accompagné de toutes les formalités qui, au spirituel comme au civil, constituent un acte de cette nature.

« Quoi qu'il en soit, cette opinion n'a été admise dans la pratique ni par les évêques, ni par le pouvoir temporel. Les pre miers, s'appuyant sur la lettre des lois organiques, ont constamment déplacé, révoqué sans jugement, sans exprimer les motifs, tous les desservanls de leurs diocèses. D'un autre côté, le conseil d'État, saisi des appels comme d'abus des décisions des évêques, a consacré, par la jurisprudence, la faculté pour l'épiscopat de révoquer les desservants, sans avoir à en déduire les motifs.

« Tel est aujourd'hui l'état des choses contre lequel s'élèvent de tout côté des réclamations. Ces réclamations, nous devons le dire, ne partent pas, comme on l'a insinué, de prêtres isolés ou ayant subi des censures ecclésiastiques; elles ont pour organes, dans le sacerdoce, des ecclésiastiques qui en sont l'honneur et dont quelques-uns sont placés au premier rang de la hiérarchie; hors du sacerdoce, des hommes profondément religieux.

« Ces plaintes, on doit le reconnaître, reposent sur des griefs réels; ces griefs ont leur origine dans la position précaire faite au bas clergé par les organiques.

« Il y a intérêt pour la religion, pour les desservants, pour l'épiscopat et surtout pour le gouvernement, à modifier cet état de choses, et à l'harmoniser avec nos institutions nouvelles.

« En droit, l'amovibilité des desservants ou pasteurs du second ordre est contraire aux lois canoniques; tous les conciles la condamnent. En fait, elle nuit à la religion.

«Nous avons déjà cité l'opinion de M. Sibour. Il serait facile de multiplier ces citations. Nous nous contenterons d'une seule. Voici comment s'exprime, dans une brochure publiée en 1840, un des ecclésiastiques les plus savants et les plus respectables du diocèse de Paris, M. l'abbé Pascal :

« Il y aurait beaucoup de choses à dire sur la position << personnelle des curés amovibles ou desservants. Que sont« ils vis-à-vis des paroissiens? Ceux-ci ne peuvent les consi« dérer comme pasteurs permanents, puisqu'ils ne le sont « pas en réalité. Ils ne peuvent donc voir en eux que des << pasteurs transitoires qui ne resteront auprès d'eux qu'au<< tant qu'il semblera bon à l'autorité qui les a envoyés. Le « prêtre, de son côté, ne peut s'attacher que d'une affection « transitoire à ces fidèles, qui ne sont pas, rigoureusement « parlant, des paroissiens. D'une part, on n'osera commencer « un bien dont on n'a pas la certitude morale d'opérer la con« sommation; d'autre part, et pour peu que le zèle du des« servant, zèle très-légitime et très-éclairé, blesse certains

« amours-propres, on résistera, parce qu'on sait parfaitement << qu'il est permis d'attendre et même de provoquer un chan«gement, et tout y sera perpétuellement provisoire. Une « épreuve de plus d'un quart de siècle nous autorise à soute«nir que ce que nous avançons n'est pas une pure hypo« thèse. Les réclamations du clergé en 1760 auraient en ce << moment toute leur opportunité... Et combien eussent-elles « été plus énergiques, s'il leur eût été donné de voir le prin«cipe de l'amovibilité des pasteurs consacrée comme règle générale, et le droit conservateur et rationnel de l'inamo« vibilité devenir une faible exception? »

« Considérée relativement aux desservants, cette dépendance absolue consacrée par les organiques n'offre pas moins d'inconvénients. Elle fait dépendre la position du prêtre, sa vie, son honneur, de la volonté d'un seul homme susceptible d'erreur, sinon de mauvais vouloir; elle rend sa condition pire que celle du dernier des citoyens, qui ont tous dans le droit commun une sauvegarde contre l'erreur ou l'arbitraire; elle enlève au bas clergé la liberté de penser, d'agir d'après ses propres inspirations, même dans les actes ordinaires de la vie. C'est pour lui une espèce de mort civile qui le décourage et le rabaisse à ses propres yeux, comme aux yeux de son troupeau.

« C'est une arme non moins funeste pour l'épiscopat, car c'est là le propre de tout pouvoir despotique d'être principament nuisible à celui qui en est investi. Les actes les plus justes, dès qu'ils ne sont entourés d'aucune forme qui en garantisse aux yeux de tous l'équité, sont considérés comme le résultat du caprice, comme une injustice; et tel qui serait trop faiblement puni est regardé comme une victime.

« Il en résulte nécessairement dans l'esprit du peuple une diminution de respect et de considération pour ses premiers pasteurs.

« A Dieu ne plaise que nous voulions faire retomber sur le haut clergé français un blâme quelconque. A aucune époque il n'a brillé de plus d'éclat par ses lumières et ses vertus; mais

il n'est pas pour cela à l'abri des inconvénients qui découlent de la position despotique qui lui est faite par les organiques.

« Le gouvernement républicain a lui-même le plus grand intérêt à changer cet état de choses, pour mettre à l'abri de toute atteinte la liberté, la spontanéité du suffrage universel sur lequel il est fondé.

« Les pasteurs du second ordre ont sur les populations une influence immense; ils la doivent à leur supériorité intellectuelle, à leurs services et à leurs vertus. Répandus sur tout le territoire, ils pourraient, s'ils le voulaient, comme à une autre époque, créer des résistances, des embarras au gouvernement; ils pourraient surtout agir fortement sur les élections par le confessionnal, par les prédications. Cette influence, il dépendrait du pouvoir spirituel de s'en emparer, de la diriger; car avec l'amovibilité les desservants seraient toujours forcés de devenir des instruments passifs.

<< Sans doute, il n'y a rien à craindre de semblable dans le moment actuel, malgré les prédications électorales révélées par l'enquête de l'Hérault. Mais le législateur ne doit rien laisser dépendre du bon ou du mauvais vouloir des hommes; lorsqu'il aperçoit un danger, c'est par les institutions qu'il doit le conjurer.

« Pour y parvenir, le moyen le plus sûr est de donner au clergé inférieur des garanties analogues à celles dont jouissent les curés de canton. Alors, sans inquiétude sur leur avenir, ils pourront entreprendre avec ardeur, dans l'intérêt de la religion, le bien dont ils sauront qu'ils peuvent espérer d'opérer la consommation. Certains que pour les actes de la vie civile et politique ils n'auront à rendre compte qu'à leur conscience, on les verra toujours concourir avec bonheur à la consolidation de cette liberté dont ils trouvent tous les principes dans l'Évangile.

<< Ici se présente une grave question, celle de savoir comment s'opérera la transformation des desservants en curés inamovibles. Peut-elle avoir lieu par la volonté seule du pouvoir temporel, ou bien faut-il le concours du pouvoir spirituel?

« Les partisans de la première opinion s'étayent du précédent établi par les lois organiques, acte auquel le pouvoir temporel seul a concouru. Ils s'étayent aussi de ce qui se pratique dans le cas où une desserte est érigée en cure. Ils disent: Si, par un article des lois organiques, le pouvoir temporel a pu, sans le secours du pouvoir spirituel, enlever au clergé du second ordre l'inamovibilité dont il jouissait de temps immémorial, il peut aussi, sans le concours de ce même pouvoir, lui rendre cette inamovibilité en abrogeant cet article. Par là on rentrerait, de plein droit, sous l'empire des lois canoniques, qui assuraient l'inamovibilité à tous les pasteurs ayant charge d'âmes.

«Les partisans de l'opinion contraire répondent que par droit divin, et comme successeurs des apôtres, les évêques sont seuls chargés de régir l'Église, qu'ils ne doivent compte qu'à Dieu et à leur conscience de la manière dont ils exercent ce droit; « Qu'ils sont donc parfaitement dans l'esprit de l'Église en ne donnant aux desservants que des pouvoirs temporaires, et se réservant de les continuer ou de les retirer, suivant qu'ils le croiront utile au bien de la religion; que le pouvoir temporel ne pourrait, sans s'immiscer dans le domaine du spirituel, leur imposer des restrictions à cet égard;

«Que l'exemple de ce qui se pratique lors de l'érection d'une desserte en cure, n'a aucune valeur, parce que, pour cette érection, il y a toujours concours du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.

<< Ils ajoutent enfin que, si le clergé supérieur a accepté sans réclamation les organiques, c'est que ces organiques, loin de restreindre son pouvoir, ne faisaient que le reconnaître ou même l'étendre.

<< Tels sont les motifs allégués de part et d'autre; d'un côté, pour attribuer au pouvoir temporel seul le droit de rendre l'inamovibilité à tous les pasteurs du second ordre; de l'autre, pour lui refuser ce droit d'une manière absolue.

« Nous pensons que la prudence et la justice commandent de n'adopter ni l'une ni l'autre de ces opinions extrêmes. Si le

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