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que

les écrits dont la concision et la vigueur forment le principal caractère, soient ceux dont il est le plus difficile de faire passer les beautés dans une autre langue, on ne peut nier que les vers de Pope, qui se distinguent éminemment par ce double mérite, ne présentent au plus haut degré tous les genres de difficultés. « Il met, disait Swift, plus de sens » dans une strophe que je ne puis en mettre >> en six. » Et certes, on ne peut pas dire que Swift soit un écrivain prolixe ni médiocre.

D'autres admirateurs des écrits de Pope, ont dit qu'il était impossible d'y ajouter ou d'en retrancher un seul mot, sans affaiblir où dénaturer le sens. Cet éloge doit sans doute être appliqué à tous les grands écrivains; mais il appartient plus particulièrement à Pope, parmi les poètes de sa nation, et plus particulièrement encore à l'Essai sur l'Homme, parmi les ouvrages de ce poète. Les pensées les plus profondes, comme les images les plus sublimes, y sont pressées, accumulées dans un cadre étroit. Chaque vers, chaque

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a

pu

rendre populaire un traité de morale et de métaphysique.

Il s'agissait, pour le traducteur, de ne perdre aucun de ces avantages; et l'on avouera qu'il lui fallait toute la conscience de ses forces, toute l'ardeur dont il était animé, pour ne pas s'en effrayer.

Nous indiquerons, dans une esquisse rapide du Poème anglais et de ses principales beautés, l'exactitude et la fidélité avec lesquelles Delille les a rendues; mais il nous serait impossible de donner une idée complette de tous les efforts qu'a dû lui coûter cetheureux résultat. Les lecteurs qui se sont essayés à traduire en vers; ceux qui connaissent la poésie

anglaise, et surtout celle de Pope, peuvent seuls les bien apprécier.

Dans la première Épître, le poète considère l'Homme relativement à l'univers; il démontre que, créé comme il l'est pour cet univers, et non cet univers pour lui, il est aussi bien placé qu'il puisse l'être; et que son orgueil et sa folie peuvent seuls lui faire désirer de s'élever davantage. Les reproches que Pope lui adresse à ce sujet, sont d'une force et d'une vivacité que tous les critiques ont admirées. Loin d'être resté au-dessous de son modèle dans cette occasion, nous ne craignons pas de dire que Delille lui est quelquefois supérieur par la force et le mouvement, surtout dans l'apostrophe véhémente qu'il termine ainsi :

La chaîne qui joint tout, par qui tout se soutient;
Est-ce toi, vil mortel, ou ton Dieu qui la tient?

Le tableau de l'échelle des êtres, emprunté des anciens philosophes, beaucoup plus poétique qu'il n'est vrai, est un des

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plus beaux passages de Pope; on doit aussi le considérer comme un de ceux où Delille s'est le plus approché de son modèle. Mais ce que cette Épître offre de plus admirable, dans l'original ainsi que dans la traduction, c'est le passage où la Divinité est représentée comme l'ame de l'univers. Delille l'a rendu presque mot pour mot il pourrait sur ce point le disputer aux traducteurs en prose. Cependant tous ses vers sont beaux et harmonieux ; rien n'y montre la gêne de l'imitateur.

La seconde Épître est moins remarquable que la première par les beautés poétiques; c'est une dissertation philosophique sans digression, sans épisode, et à laquelle il paraissait très-difficile de donner du mouvement et du coloris. Cependant c'est là que, selon sa coutume, Delille, redoublant d'efforts, a le mieux fait briller son talent. Les contrastes de la nature humaine sont rendus avec une force et une précision bien rares dans notre langue. Ainsi que dans l'original, il n'est un vers qui ne puisse être cité et rapporté sé

pas

parément, qui ne renferme une idée profonde, et qui ne soit destiné à être répété désormais chez nous aussi souvent qu'il l'est chez les Anglais.

C'est surtout dans la courte description des nuances qui séparent les vices des vertus , que ce genre de beautés est remarquable.

que

La troisième Épître est beaucoup plus riche de poésie que les deux précédentes. Pope s'y occupe moins de raisonner et de discuter, d'embellir et de faire briller ses pensées. Il semble avoir puisé dans toutes les sources pour accumuler les plus belles et les plus sublimes peintures. Tout y est grand, noble, éminemment poétique; et quoique l'on puisse avec raison contester l'exactitude de quelques-unes de ses assertions; quoique l'on y trouve même des contradictions et des erreurs positives, l'ensemble est de l'effet le plus admirable.

Dans toute cette Épître, Delille, entraîné par son modèle, n'a eu besoin que de

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