Page images
PDF
EPUB

cloche de la brebis, le bourdonnement de l'abeille; la cornemuse fait retentir les rochers, et se mêle au bruit sourd de l'Océan lointain qui bat ses rivages.

Le chien de la cabane aboie en voyant passer le pèlerin matinal; la laitière, couronnée de son vase, chante en descendant la colline; le laboureur traverse les guérets en sifflant; le lourd chariot crie en gravissant le sentier de la montagne; le lièvre étonné sort des épis vacillants; la perdrix s'élève sur son aile bruyante; le ramier gémit dans son arbre solitaire, et l'alouette gazouille au haut des airs.

« Quand la jeunesse du village danse au son du chalumeau, Edwin, assis à l'écart, se plaît à rêver au bruit de la musique. Oh! comme alors tous les jeux bruyants semblent vains et tumultueux à son âme ! Céleste mélancolie, que sont près de toi les profanes plaisirs du vulgaire!

[ocr errors]
[ocr errors]

« Le chant fut le premier amour d'Edwin; souvent la harpe de la montagne soupira sous sa main aventureuse, et la flûte plaintive gémit suspendue à son souffle. Sa muse, encore enfant, ignoroit l'art du poëte, fruit du travail et du temps. Edwin atteignit pourtant cette perfection si rare, ainsi que mes vers le diront quelque jour. >>

La citation est longue; mais elle est importante pour l'histoire de la poésie : Beattie a parcouru la série entière des rêveries et des idées mélancoliques dont cent autres poëtes se sont crus les discoverers. Beattie se proposoit de continuer son poëme; en effet, il en a écrit le second chant; Edwin entend un soir une voix grave s'élevant du fond d'une vallée; c'est celle d'un solitaire qui, après avoir connu les illusions du monde, s'est enseveli dans cette retraite, pour y recueillir son âme et chanter les merveilles du Créateur. Cet ermite instruit le jeune minstrel, et lui révèle le secret de son génie. L'idée étoit heureuse, mais l'exécution n'a pas répondu au bonheur de l'idée. Les dernières strophes du nouveau chant sont consacrées au souvenir d'un ami. Beattie étoit destiné à verser des larmes; la mort de son fils brisa son cœur paternel: comme Ossian après la perte de son Oscar, il suspendit sa harpe aux branches d'un chêne. Peut-être le fils de Beattie étoit-il ce jeune minstrel qu'un père avoit chanté, et dont il ne voyoit plus les pas sur la montagne.

LORD BYRON. ORME D'HARROW'.

On retrouve dans les premiers vers de lord Byron des imitations frappantes du Minstrel. A l'époque de mon exil en Angleterre, lord Byron habitoit l'école de Harrow, dans un village à dix milles de Londres. Il étoit enfant; j'étois jeune et aussi inconnu que lui : je le devois précéder dans la carrière des lettres et y rester après lui. Il avoit été élevé sur les bruyères de l'Écosse, au bord de la mer, comme moi dans les landes de la Bretagne, au bord de la mer; il aima d'abord la Bible et Ossian, comme je les aimois; il chanta dans Newstead-Abbey les souvenirs de l'enfance, comme je les chantai dans le château de Combourg.

When I roved, a young highlander, o'er the dark heath,

And climb'd thy steep summit, oh! Morven of snow, etc.

« Lorsque j'explorois, jeune montagnard, la noire bruyère et gravissois ta cime penchée, ô Morven couronné de neiges, pour m'ébahir au torrent qui tonnoit au-dessous de moi, ou aux vapeurs de la tempête qui s'amonceloient à mes pieds.

« Je me levois avec l'aube. Mon chien pour guide, je bondissois de montagne en montagne. Je fendois avec ma poitrine les vagues de la marée envahissante de la Dee, et j'écoutois de loin la chanson du highlander. Le soir, à mon repos, sur ma couche de bruyère, aucun songe, si ce n'est celui de Marie, ne se présentoit à ma vue.

« J'ai quitté ma givreuse demeure; mes visions sont passées, mes montagnes évanouies: ma jeunesse n'est plus. Comme le dernier de ma race, je dois me faner seul et ne trouver de délices qu'aux jours dont je fus jadis le témoin. Ah! l'éclat est venu, mais il a rendu mon lot amer! Plus chères furent les scènes que mon enfance a connues!

« Adieu donc, vous, collines où mon enfance fut nourrie! et toi, douce fluente Dee, adieu à tes eaux! Aucun toit dans la forêt n'abritera

1. Tout ce qui suit, jusqu'à la Conclusion, est tiré de mes Mémoires; j'ai seulement abrégé quelques passages quand il s'est agi de moi, ne pouvant dire de mon vivant tout ce que j'en dirai dans ma tombe: c'est une chose fort commede que d'être mort, pour parler à son aise. Je n'ai point cette fois guillemetté le commencement des paragraphes pour annoncer la citation des Mémoires, parce que des citations de lord Byron étant insérées dans le texte même des Mémoires, Il y auroit eu confusion de guillemets.

ma tête. Ah! Marie, aucun toit ne peut être le mien qu'avec vous! » Dans mes longues courses solitaires aux environs de Londres, j'ai traversé plusieurs fois le village de Harrow, sans savoir quel génie il renfermoit. Je me suis assis dans le cimetière, au pied de l'orme sous lequel, en 1807, lord Byron écrivoit ces vers au moment où je revenois de la Palestine:

Spot of my youth! whose hoary branches sigh,

Swept by the breeze that fans thy cloudless sky, etc.

• Lieu de ma jeunesse, où soupirent les branches chenues effleurées par la brise qui rafraîchit ton ciel sans nuage! Lieu où je vague aujourd'hui seul, moi qui souvent ai foulé avec ceux que j'aimois ton gazon mol et vert, avec ceux qui, dispersés au loin, regrettent comme moi, par aventure, les heureuses scènes qu'ils connurent jadis! Oh! lorsque de nouveau je fais le tour de ta colline arrondie, mes yeux t'admirent, mon cœur t'adore, ô toi, orme affaissé sous les rameaux duquel je m'étendois, en livrant aux songes les heures du crépuscule! J'y délasse aujourd'hui mes membres fatigués comme j'avois coutume, mais, hélas! sans mes pensées d'autrefois!

[ocr errors]

« Quand la destinée glacera ce sein qu'une fièvre dévore; quand elle en aura calmé les soucis et les passions, ici où

il palpita, ici mon cœur pourra reposer. Puissé-je m'endormir où s'éveillèrent mes espérances,

[ocr errors]
[ocr errors]
[merged small][ocr errors]

pleuré de ceux qui furent en société avec mes jeunes années, oublié du reste du monde ! »

Et moi je dirai: Salut, antique ormeau des songes, au pied duquel Byron enfant s'abandonnoit aux caprices de son âge, alors que je rêvois René sous ton ombre, sous cette même ombre où plus tard le poête vint, à son tour, rêver Childe-Harold! Byron demandoit au cimetière témoin des premiers jeux de sa vie une tombe ignorée : inutile prière, que n'a point exaucée la gloire.

LES DEUX NOUVELLES ÉCOLES LITTÉRAIRES. QUELQUES
RESSEMBLANCES DE DESTINÉE.

Il y aura peut-être quelque intérêt à remarquer dans l'avenir (si pour moi il y a avenir) la rencontre des deux chefs de la nouvelle

1. Suite de la citation des Mémoires.

école françoise et angloise, ayant un même fonds d'idées, des destinées, sinon des mœurs, à peu près pareilles : l'un pair d'Angleterre, l'autre pair de France; tous deux voyageurs dans l'Orient, assez souvent l'un près de l'autre, et ne se voyant jamais : seulement la vie du poëte anglois a été mêlée à de moins grands événements que la mienne.

Lord Byron est allé visiter après moi les ruines de la Grèce dans Childe-Harold il semble embellir de ses propres couleurs les descriptions de l'Itinéraire. Au commencement de mon pèlerinage, je reproduis l'adieu du sire de Joinville à son château; Byron dit un égal adieu à sa demeure gothique.

Dans les Martyrs, Eudore part de la Messénie pour se rendre à Rome.

<< Notre navigation fut longue, dit-il.

[ocr errors]
[ocr errors][merged small][merged small]

Nous traversâmes le golfe de Mégare. Devant nous étoit Égine, à droite le Pirée, à gauche Corinthe. Ces villes jadis si florissantes n'offroient que des monceaux de ruines. Les matelots mêmes parurent touchés de ce spectacle. La foule accourue sur le pont gardoit le silence: chacun tenoit ses regards attachés à ces débris; chacun en tiroit peut-être secrètement une consolation dans ses maux, en songeant combien nos propres douleurs sont peu de chose comparées à ces calamités qui frappent des nations entières, et qui avoient étendu sous nos yeux les cadavres de ces cités. >>

༥ .

Mes jeunes compagnons n'avoient entendu parler que des métamorphoses de Jupiter, et ils ne comprirent rien aux débris qu'ils avoient sous les yeux; moi, je m'étois déjà assis, avec le prophète, sur les ruines des villes désolées, et Babylone m'enseignoit Corinthe. »>

Lisez maintenant lord Byron, quatrième chant de Childe-Harold:

As my bark did skim

The bright blue waters with a fanning wind,

Came Megara before me, and behind

Ægina lay, Piræus on the right,

And Corinth on the left; I lay reclined

Along the prow, and saw all these unite
In ruin.

The Roman saw these tombs in his own age,
These sepulchres of cities, which excite

Sad wonder, and this yet surviving page
The moral lesson bears, drawn from such pilgrimage.

[ocr errors]

Lorsque ma barque effleuroit le brillant azur des vagues sous une fraîche brise, Mégare vint devant moi, Égine restoit derrière, le Pirée à ma droite, Corinthe à ma gauche. J'étois appuyé sur la proue, et je vis ces ruines réunies.

« Le Romain vit ces tombes dans son propre temps, ces sépulcres des cités qui excitent un triste étonnement; et cette page qui leur survit porte la morale leçon tirée d'un tel pèlerinage. »>

Le poëte anglois est ici, comme le prosateur françois, derrière la lettre de Sulpicius à Cicéron; mais une rencontre si parfaite m'est singulièrement glorieuse, puisque j'ai devancé le chantre immortel au rivage où nous avons eu les mêmes souvenirs, et où nous avons commémoré les mêmes ruines.

J'ai encore l'honneur d'être en rapport avec lord Byron dans la description de Rome : Les Martyrs et ma Lettre sur la campagne romaine ont l'inappréciable avantage pour moi d'avoir deviné les inspirations d'un beau génie. M. de Béranger, notre immortel chansonnier, a placé dans le dernier volume de ses chansons une note trop obligeante pour que je la rapporte en entier; il a osé dire, en rappelant le mouvement que j'ai imprimé, selon lui, à la poésie françoise : « L'influence de l'auteur du Génie du christianisme s'est fait ressentir également à l'étranger, et il y auroit peut-être justice à reconnoître que le chantre de Childe-Harold est de la famille de René1. >>

S'il étoit vrai que René entrât pour quelque chose dans le fond du personnage unique mis en scène sous des noms divers dans ChildeHarold, Conrad, Lara, Manfred, le Giaour; si par hasard lord Byron m'avoit fait vivre de sa vie, il auroit donc eu la foiblesse de ne jamais me nommer? J'étois donc un de ces pères qu'on renie quand on est arrivé au pouvoir? Lord Byron peut-il m'avoir complétement ignoré, lui qui cite presque tous les auteurs françois ses contemporains? N'at-il jamais entendu parler de moi, quand les journaux anglois comme les journaux françois ont retenti vingt ans auprès de lui de la con

1. Dans un excellent article (Biograph. univers., suppl.) sur lord Byron, M. Villemain a renouvelé la remarque de M. de Béranger : qu'on me pardonne si je cite la phrase qui me concerne; je cherche une excuse à ce que je dis ici dans ces pages extraites de mes Mémoires: le lecteur voudra bien compter pour rien une louange donnée par l'indulgence du talent : « Quelques pages incomparables de René avoient, il est vrai, épuisé ce caractère poétique. Je ne sais si Byron les imitoit ou les renouveloit de génie. ■

« PreviousContinue »