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ÉCOLE DES LACS.

POETES DES CLASSES INDUSTRIELLES.

En même temps que le roman passoit à l'état romantique, la poésie subissoit une transformation semblable. Cowper abandonna l'école Irançoise pour faire revivre l'école nationale; Burns, en Écosse, commença la même révolution. Après eux vinrent les restaurateurs des ballades : Coleridge, Wordsworth, Southey, Wilson, Campbell, Thomas Moore, Crabbe, Morgan, Rogers, Sheil, Hogg, ont amené cette poésie jusqu'à nos jours. Gertrude of Wyoming de Thomas Campbell, Lalla-Rookh de Thomas Moore, Les Plaisirs de la Mémoire, par Rogers, ont obtenu un grand succès. Plusieurs de ces poëtes appartiennent à ce qu'on appeloit lake school, parce qu'ils demeuroient aux bords des lacs de Cumberland et de Westmoreland, et qu'ils les chantoient quelquefois.

Thomas Moore, Campbell, Rogers, Crabbe, Wordsworth, Southey, Hunt, Knowles, lord Holland, vivent encore pour l'honneur des lettres angloises; mais il faut être né Anglois pour apprécier tout le mérite d'un genre intime de composition, qui se fait particulièrement sentir aux hommes du sol. Je ne sais s'il seroit possible de bien rendre en françois les mélodies de Thomas Moore, le barde d'Erin: appliquez cette remarque à ces petites pièces de poésie de noms divers qui charment l'esprit et l'oreille d'un Anglois, d'un Irlandois, d'un Écossois. Le lyrique Burns, dont Campbell a célébré la mort, et le chansonnier des matelots, sont des enfants de la terre britannique; ils ne pourroient vivre dans leur énergie et leur grâce sous un autre soleil. Nous prétendons comprendre Anacréon et Catulle: je suis persuadé que la finesse attique et l'urbanité romaine nous échappent.

L'Angleterre a vu de temps en temps des poetes sortir des classes Industrielles: Bloomfield, garçon cordonnier, est auteur du Garçon de ferme (The Farmer's Boy), poëme dont la langue est extrêmement savante. Aujourd'hui c'est un forgeron qui brille: Vulcain étoit fils de Jupiter'. Hogg, qui vient de mourir, le premier poête de l'Écosse après Burns, étoit un fermier. Nous avons aussi nos muses du peuple : je ne parlerai point de la belle Cordière et de Clémence de Bourges, parce qu'en dépit de leurs talents et de leurs noms elles étoient riches; maltre Adam, menuisier de Nevers, s'oppose mieux au cordonnier anglois. A présent même, J.-C. Jouvenot, ancien artisan serrurier, a donné

1. On peut lire dans un des numéros du National un article excellent sur ces auteurs anglois de la classe du peuple.

deux volumes de poemes, de comédies et de tragédies. Reboul, boulanger à Nîmes, adresse à une mère ces stances d'une poétique et touchante inspiration :

L'ANGE ET L'ENFANT.

A UNE MERE.

Un ange au radieux visage,
Penché sur le bord d'un berceau,
Sembloit contempler son image,
Comme dans l'onde d'un ruisseau.

<< Charmant enfant, qui me ressemble,

« Disoit-il, oh! viens avec moi :

α

Viens, nous serons heureux ensemble,

« La terre est indigne de toi.

a Là, jamais entière allégresse;
«L'âme y souffre de ses plaisirs;
« Les cris de joie ont leur tristesse;
« Les voluptés ont leurs soupirs.

«Eh quoi! les chagrins, les alarmes
« Viendroient troubler ce front si pur,
«Et par l'amertume des larmes

Se terniroient ces yeux d'azur!

« Non, non; dans les champs de l'espace

« Avec moi tu vas t'envoler;

« La Providence te fait grâce

■ Des jours que tu devois couler. »

Et secouant ses blanches ailes,
L'ange à ces mots a pris l'essor
Vers les demeures éternelles.....
Pauvre mère, ton fils est mort.

Si M. Reboul a pris femme parmi les filles de Cérès et que cette

femme devienne sa muse, la France aura sa Fornarina.

Voici quelques vers d'un facteur de la poste aux lettres, au bureau de Poligny :

ÉLÉGIE AUX MANES DE MARIE GRAND.

Son aurore étoit belle; elle étoit à cet âge

Où l'aimable langueur qui pâlit le visage

Donne aux yeux tant de charme et parle à tant de cœurs!

Elle étoit à cet âge où l'on verse des pleurs.

O pleurs délicieux!..... Sa paupière arrosée

Payoit à la nature une douce rusée;

Déjà dans ses yeux bleus on voyoit chaque jour
Éclore, puis mourir un beau rayon d'amour.

Elle étoit.

Tendre comme l'agneau qui bêle à la colline
Quand son dos caressant vers la brebis s'incline.
Hélas! tant de vertus ne devroient point finir.
Pourquoi n'en reste-t-il, hélas! qu'un souvenir?

Elle tendit les bras, et nos cœurs s'enlacèrent;
Nos soupirs confondus ensemble s'étouffèrent!
Cette heure si cruelle étoit pour nous des jours:
Cette heure vit encore, et je pleure toujours.

LA PRINCESSE CHARLOTTE. KNOX.

Je viens de nommer Hogg le dernier poëte des chaumières des trois royaumes; je dirai quelques mots de la dernière muse des palais britanniques, afin qu'on voie tout mourir dans ce siècle de mort. La princesse Charlotte d'Angleterre a chanté les beautés de Claremont. en leur appliquant ces vers d'un grand poëte :

To Claremont's terraced heights and Esher groves,

Where, in the sweet solitude, embraced

By the soft windings of the silent muse,
From courts and cities Charlotte finds repose:
Enchanting vale! beyond whate'er the muse

Has of Achaia, of Hesperia sung.

O vale of bliss! O softly swelling hills,

On which the power of cultivation lies
And joys to see the wonders of this soil!

« Terrasses élevées de Claremont ! bocages d'Esher! c'est dans votre paisible solitude que, bercée par les doux accents de sa muse modeste, Charlotte trouve le repos loin des cités et des cours! Vallon enchanteur! bien au-dessus de tout ce qu'ont célébré les chantres de la Grèce et de l'Ausonie! O vallée du bonheur! ô collines doucement inclinées, sur lesquelles le génie de la culture s'enorgueillit de voir éclore les merveilles de sa puissance ! »

Quand on voit cette reine présumée rêver si jeune et si heureuse dans les bocages d'Esher, on peut croire qu'elle eût descendu dans la tombe avec moins de peine du haut du trône d'Élisabeth que du

1. J'emprunte ce texte et cette traduction à une biographie nouvellement publiée.

ΧΙ.

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haut des terrasses de Claremont. J'avois vu cette princesse enfant dans les bras de sa mère; je ne l'ai point retrouvée en 1822, à Windsor, auprès de son père. Ces vols, que la mort commet sans cesse au milieu de nous, nous surprennent toujours; mais qui sait si ce n'est pas par un effet de sa miséricorde que la Providence a retiré si tôt du 'monde la fille de Georges IV? Que de bonheur en apparence attendoit Marie-Antoinette, quand elle vint poser à Versailles, sur sa belle tête, la plus belle couronne du monde! Abreuvée d'outrages quelques années plus tard, elle ne trouvoit pas une voix en France qui dît : Paix à ses douleurs! L'auguste victime n'étoit chantée qu'en terre étrangère par des fugitifs ou par des étrangers : l'abbé Delille demandoit des expiations à sa lyre fidèle; Alfieri composoit l'admirable sonnet:

Regina sempre!

Knox pleuroit la captivité de la reine veuve et martyre:

If thy breast soft pity knows,

O! drop a tear with me;
Feel for th' unexampled woes
Of widow'd royalty.

Vallen, fallen from a throne!

Lo! beauty, grandeur, power;
Hark! 'tis a queen's, a mother's moan;
From yonder dismal tow'r,

I hear her say, or seem to say
Ye who listen to my story,
Learn how transient beauty's day,

How unstable human glory! »

« Si ton sein connoît la douce pitié, oh! répands avec moi une larme laisse-toi toucher par les malheurs sans exemple de la veuve royale.

« Tombée, tombée du trône! Regardez la beauté, la grandeur, la puissance! Écoutez! c'est le gémissement d'une reine, d'une mère: Là, du fond de cette affreuse tour,

« Je l'entends qui dit, ou qui semble dire: Vous qui prêtez l'oreille à mon histoire, apprenez combien est rapide le jour de la beauté, combien inconstante la gloire humaine! >>

CHANSONS. LORD DORSET. BÉRANGER.

La chanson, aussi ancienne en Angleterre qu'elle l'est dans le royaume de saint Louis, a pris toutes les formes: elle se change en hymne pour la religion; elle reste chanson pour les mille riens et les mille accidents de la vie, gais ou tristes. Les Marins (The Seamen) de lord Dorset sont une composition d'une verve élégante. J'en prends la traduction littérale dans la poétique angloise de M. Hennet :

A vous, mesdames, qui êtes à présent sur terre,
Nous, qui sommes sur mer, nous écrivons;
Mais d'abord nous voudrions vous faire comprendre
Combien il est difficile d'écrire;

Tantôt les muses, et tantôt Neptune,
Nous devons implorer pour vous écrire
Avec un fa, la, la, la, la, la.

Car les muses auroient beau nous être propices
Et remplir nos cerveaux vides,

Si le filer Neptune soulève le vent

Pour agiter la plaine azurée,

Nos papier, plume, encre, et nous,
Roulons avec le vaisseau sur la mer,

Avec un fa, la, la, la, la, la,

Donc, si nous n'écrivons pas à chaque posts,

Ne nous accusez pas d'indifférence;

N'en concluez pas non plus que nos vaisseaux sont pris
Par les Hollandois ou par le vent :

Nous vous enverrons nos larmes par un chemin plus prompt;
Le flux vous les portera deux fois par jour

Avec un fa, la, la, la, la, la.

Mais à présent nos craintes deviennent plus orageuses
Et renversent nos espérances,

Lorsque vous, sans égard pour nos maux,

Vous vous asseyez avec insouciance au spectacle,
Et permettez peut-être à quelque homme plus teureux
De vous baiser la main ou de jouer avec votre éventail
Avec un fa, la, la, la, la, la.

Or maintenant que nous avons exprimé tout notre amour
Et en même temps toutes nos craintes,

Dans l'espoir que cette déclaration excitera
Quelque pitié pour nos pleurs,

Puissions-nous n'apprendre jamais d'inconstance;

Nous en avons assez sur mer,

Avec un fa, la, la, la, la, la.

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