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ancêtres auroient été préservés de la destruction et seroient devenus non l'asile de la fainéantise monacale, mais celui du loisir studieux, du mérite modeste et de la philosophie chrétienne. »>

Le protestantisme peut à bon droit revendiquer des vertus, il n'est pas aussi heureux dans ses fondateurs: Luther, moine apostat approbateur du massacre des paysans; Calvin, docteur aigre qui brûla Servet; Henri VIII, réviseur du Missel et qui fit périr soixante-douze mille hommes dans les supplices: voilà ses trois Christs.

LA RÉFORMATION.

Mais laissant à part l'ouvrier, et ne considérant que l'œuvre, il est des vérités qu'il seroit injuste de nier. La réformation, en ouvrant les siècles modernes, les sépara du siècle limitrophe et indéterminé qui suivit la disparition du moyen âge : elle réveilla les idées de l'antique égalité; elle servit à métamorphoser une société toute militaire en une société rationnelle, civile et industrielle; elle fit naître la propriété moderne des capitaux, propriété mobile, progressive, sans bornes, qui combat la propriété bornée, fixe et despotique de la terre. Ce bien est immense: il a été mêlé de beaucoup de mal, et ce mal, l'impartialité historique ne permet pas de le taire.

Le christianisme commença chez les hommes par les classes plébéiennes, pauvres et ignorantes. Jésus-Christ appela les petits, et ils allèrent à leur maître. La foi monta peu à peu dans les hauts rangs, et s'assit enfin sur le trône impérial. Le christianisme étoit alors catholique ou universel; la religion, dite catholique, partit d'en bas pour arriver aux sommités sociales: la papauté n'étiot que le tribunat des peuples, lorsque l'âge politique du christianisme arriva.

Le protestantisme suivit une route opposée : il s'introduisit par la tête du corps politique, par les princes et les nobles, par les prêtres et les magistrats, par les savants et les gens de lettres, et il descendit lentement dans les conditions inférieures; les deux empreintes de ces deux origines sont restées distinctes dans les deux communions.

La communion réformée n'a jamais été aussi populaire que le culte catholique; de race princière et patricienne, elle ne sympathise pas avec la foule. Équitable et moral, le protestantisme est exact dans ses devoirs; mais sa bonté tient plus de la raison que de la tendresse : il vêtit celui qui est nu, mais il ne le réchauffe pas dans son sein; il ouvre des asiles à la misère, mais il ne vit pas et ne pleure pas avec eile dans ses réduits les plus abjects; il soulage l'infortune, mais il n'y

compatit pas. Le moine et le curé sont les compagnons du pauvre; pauvres comme lui, ils ont pour leurs compagnons les entrailles de Jésus-Christ : les haillons, la paille, les plaies, les cachots, ne leur inspirent ni dégoût ni répugnance; la charité en a parfumé l'indigence et le malheur. Le prêtre catholique est le successeur des douze hommes du peuple qui prêchèrent Jésus-Christ ressuscité; il bénit le corps du mendiant expiré, comme la dépouille sacrée d'un être aimé de Dieu et ressuscité à l'éternelle vie. Le pasteur protestant abandonne le nécessiteux sur son lit de mort; pour lui les tombeaux ne sont point une religion, car il ne croit pas à ces lieux expiatoires où les prières d'un ami vont délivrer une âme souffrante. Dans ce monde, le ministre ne se précipite point au milieu du feu, de la peste; il garde pour sa famille particulière ces soins affectueux que le prêtre de Rome prodigue à la grande famille humaine.

Sous le rapport religieux, la réformation conduit insensiblement à l'indifférence ou à l'absence complète de foi : la raison en est que l'indépendance de l'esprit aboutit à deux abîmes : le doute ou l'incrédulité.

Et, par une réaction naturelle, la réformation, à sa naissance, ressuscita le fanatisme catholique qui s'étoignoit : elle pourroit donc être accusée d'avoir été la cause indirecte des meurtres de la SaintBarthélemy, des fureurs de la Ligue, de l'assassinat de Henri IV, des massacres d'Irlande, de la révocation de l'édit de Nantes et des dragonades. Le protestantisme crioit à l'intolérance de Rome, tout en égorgeant les catholiques en Angleterre et en France, en jetant au vent les cendres des morts, en allumant les bûchers à Genève, en se souillant des violences de Munster, en dictant les lois atroces qui ont accablé les Irlandois, à peine aujourd'hui délivrés après trois siècles d'oppression. Que prétendoit la réformation relativement au dogme et à la discipline? Elle pensoit bien raisonner en niant quelques mystères de la foi catholique, en même temps qu'elle en retenoit d'autres tout aussi difficiles à comprendre. Elle attaquoit les abus de la cour de Rome? Mais ces abus ne se seroient-ils pas détruits par les progrès de la civilisation? Ne s'élevoit-on pas de toutes parts et depuis longtemps contre ces abus, comme je viens de le montrer?

La réformation, pénétrée de l'esprit de son fondateur, se déclara ennemie des arts; elle saccagea les tombeaux, les églises et les monuments; elle fit en France et en Angleterre des monceaux de ruines. En retranchant l'imagination des facultés de l'homme, elle coupa les ailes au génie et le mit à pied. Elle éclata au sujet de quelques aumônes destinées à élever au monde chrétien la basilique de Saint

Pierre. Les Grecs auroient-ils refusé les secours demandés à leur piété pour bâtir un temple à Minerve?

Si la réformation, à son origine, eût obtenu un plein succès, elle auroit établi, du moins pendant quelque temps, une autre espèce de barbarie; traitant de superstition la pompe des autels, d'idolâtrie les chefs-d'œuvre de la sculpture, de l'architecture et de la peinture, elle tendoit à faire disparoître la haute éloquence et la grande poésie, à détériorer le goût par la répudiation des modèles, à introduire quelque chose de froid, de sec, de doctrinaire, de pointilleux dans l'esprit; à substituer une société guindée et toute matérielle à une société aisée et tout intellectuelle, à mettre les machines et le mouvement d'une roue en place des mains et d'une opération mentale. Ces vérités se confirment par l'observation d'un fait.

Dans les diverses branches de la religion réformée, cette communion s'est plus ou moins rapprochée du beau, selon qu'elle s'est plus ou moins éloignée de la religion catholique. En Angleterre, où la hiérarchie ecclésiastique s'est maintenue, les lettres ont eu leur siècle classique. Le lutheranisme conserve des étincelles d'imagination que cherche à éteindre le calvinisme, et ainsi de suite en descendant jusqu'au quaker, qui voudroit réduire la vie sociale à la grossièreté des manières et à la pratique des métiers.

Shakespeare, selon toutes les probabilités, s'il étoit quelque chose, étoit catholique; Pope et Dryden le furent; Milton a imité quelques parties des poemes de saint Avite et de Masenius; Klopstock a emprunté la plupart des croyances romaines. De nos jours, en Allemagne, la haute imagination ne s'est manifestée que quand l'esprit du protestantisme s'est affoibli et dénaturé : les Goethe et les Schiller ont montré leur génie en traitant des sujets catholiques. Rousseau et Mme de Staël, en France, font une brillante exception à la règle; mais étoient-ils protestants à la manière des premiers disciples de Calvin ? C'est à Rome que les peintres, les architectes et les sculpteurs des cultes dissidents viennent aujourd'hui chercher des inspirations que la tolérance universelle leur permet de recueillir.

L'Europe, que dis-je? le monde est couvert de monuments de la religion catholique. On lui doit cette architecture gothique, qui rivalise par les détails et qui efface en grandeur les monuments de la Grèce. Il y a plus de trois cents ans que le protestantisme est né; il est puissant en Angleterre, en Allemagne, en Amérique; il est pratiqué de plusieurs millions d'hommes. Qu'a-t-il élevé? Il vous montrera les ruines qu'il a faites, au milieu desquelles il a planté quelques jardins ou établi quelques manufactures. Rebelle à l'autorité des tra

ditions, à l'expérience des âges, à l'antique sagesse des vieillards, le protestantisme se détacha du passé et planta une société sans racines. Avouant pour père un moine allemand du XVIe siècle, le réformé renonça à la magnifique généalogie qui fait remonter le catholique, par une suite de saints et de grands hommes, jusqu'à Jésus-Christ, de là jusqu'aux patriarches et au berceau de l'univers. Le siècle protestant dénia à sa première apparition toute parenté avec le siècle de ce Léon protecteur du monde civilisé contre Attila, et avec le siècle de cet autre Léon qui, mettant fin au monde barbare, embellit la société lorsqu'il n'étoit plus nécessaire de la défendre.

Si la réformation rétrécissoit le génie dans l'éloquence, la poésie et les arts, elle comprimoit les grands cœurs à la guerre; l'héroïsme est l'imagination dans l'ordre militaire. Le catholicisme avoit produit les chevaliers; le protestantisme fit des capitaines, braves et vertueux comme La Noue, mais sans élan (Falkland excepté), souvent cruels à froid et austères moins de mœurs que d'esprit : les Châtillon furent toujours effacés par les Guise. Le seul guerrier de mouvement et de vie que les protestants comptassent parmi eux, Henri IV, leur échappa, La réformation ébaucha Gustave-Adolphe, Charles XII et Frédéric; elle n'auroit pas fait Bonaparte, de même qu'elle avorta de Tillotson et du ministre Claude, et n'enfanta ni Fénelon ni Bossuet, de même qu'elle éleva Inigo Jones et Web, et ne créa point Raphael et MichelAnge.

On a écrit que le protestantisme avoit été favorable à la liberté politique; qu'il avoit émancipé les nations : les faits parlent-ils comme les écrivains?

Il est certain qu'à sa naissance la réformation fut républicaine, mais dans le sens aristocratique, parce que ses premiers disciples furent des gentilshommes. Les calvinistes rêvèrent pour la France une espèce de gouvernement à principautés fédérales, qui l'auroient fait ressembler à l'empire germanique : chose étrange! on auroit vu renaître la féodalité par le protestantisme. Les nobles se précipitèrent par instinct dans ce culte nouveau et à travers lequel s'exhaloit jus- ' qu'à eux une sorte de réminiscence de leur pouvoir évanoui. Mais cette première ferveur passée, les peuples ne recueillirent du protestantisme aucune liberté politique.

Jetez les yeux sur le nord de l'Europe, dans les pays où la réformation est née, où elle s'est maintenue, vous verrez partout l'unique volonté d'un maître : la Prusse, la Saxe, sont restées sous la monarchie absolue; le Danemark étoit devenu un despotisme légal.

Le protestantisme échoua dans les pays républicains, il ne pénétra

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point dans la monarchie élective et républicaine de Pologne; il ne put envahir Gênes; à peine obtint-il à Venise et à Ferrare une petite Église clandestine, qui mourut : les arts et le beau soleil du midi lui étoient mortels.

En Suisse, il ne réussit que dans les cantons aristocratiques, analogues à sa nature, et encore avec une grande effusion de sang. Les cantons populaires ou démocratiques, Schwitz, Ury et Underwald, berceau de la liberté helvétique, le repoussèrent.

En Angleterre, il n'a point été le véhicule de la constitution, formée bien avant le xvi siècle dans le giron de la foi catholique. Quand la Grande-Bretague se sépara de la cour de Rome, le parlement avoit déjà jugé et déposé des rois; les trois pouvoirs étoient distincts; l'impôt et l'armée ne se levoient que du consentement des communes et des lords; la monarchie représentative étoit trouvée et marchoit : le temps, le civilisation, les lumières croissantes, y auroient ajouté les ressorts qui lui manquoient encore, tout aussi bien sous l'influence du culte catholique que sous l'empire du culte protestant. Le peuple anglois fut si loin d'obtenir une extension de ses libertés par le renversement de la religion de ses pères que jamais le sénat de Tibère ne fut plus vil que le parlement de Henri VIII: ce parlement alla jusqu'à décréter que la seule volonté du tyran fondateur de l'Église anglicane avoit force de loi. L'Angleterre fut-elle plus libre sous le sceptre d'Élisabeth que sous celui de Marie? La vérité est que le protestantisme n'a rien changé aux institutions : là où il a trouvé une monarchie représentative ou des républiques aristocratiques, comme en Angleterre et en Suisse, il les a adoptées; là où il a rencontré des gouvernements militaires, comme dans le nord de l'Europe, il s'en est accommodé, et les a même rendus plus absolus.

Si les colonies angloises ont formé la république plébéienne des Etats-Unis, elles n'ont point dû leur émancipation au protestantisme; ce ne sont point des guerres religieuses qui les ont délivrées; elles se sont révoltées contre l'oppression de la mère patrie, protestante comme elles. Le Maryland, État catholique et très-peuplé, fit cause commune avec les autres États, et aujourd'hui la plupart des États de l'ouest sont catholiques; les progrès de cette communion dans ce pays passent toute croyance, parce qu'elle s'y est rajeunie dans son élément évangélique, la liberté populaire, tandis que les autres communions y meurent dans une indifférence profonde.

Enfin, auprès de cette grande république des colonies angloises protestantes, viennent de s'élever les grandes républiques des colonies espagnoles catholiques : certes celles-ci, pour arriver à l'indé

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