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investit la mer et retarde l'aurore désirée. Ainsi, énorme en longueur, le chef ennemi gisoit enchaîné sur le lac brûlant; jamais il n'eût pu se lever ou soulever sa tête si la volonté et la haute permission du régulateur de tous les Cieux ne l'avoient laissé libre dans ses noirs desseins, afin que par ses crimes réitérés il amassât sur lui la damnation alors qu'il cherchoit le mal des autres, afin qu'il pût voir, furieux, que toute sa malice n'avoit servi qu'à faire luire l'infinie bonté, la grâce, la miséricorde sur l'homme par lui séduit, à attirer sur lui-même, Satan, triple confusion, colère et vengeance.

Soudain au-dessus du lac l'archange dresse sa puissante stature; de sa main droite et de sa main gauche, les flammes repoussées en arrière écartent leurs pointes aiguës, et, roulées en vagues, laissent au milieu une horrible vallée. Alors, ailes déployées, il dirige son vol en haut, pesant sur l'air sombre, qui sent un poids inaccoutumé, jusqu'à ce qu'il s'abatte sur la terre aride, si la terre étoit ce qui toujours brûle d'un feu solide, comme le lac brûle d'un liquide feu. Telles apparoissent dans leur couleur (lorsque la violence d'un tourbillon souterrain a transporté une colline arrachée du Pelore ou des flancs déchirés du tonnant Etna), telles apparoissent les entrailles combustibles et inflammables qui, là concevant le feu, sont lancées au Ciel par l'énergie minérale à l'aide des vents, et laissent un fond brûlé, tout enveloppé d'infection et de fumée : pareil fut le sol de repos que toucha Satan de la plante de ses pieds maudits. Béelzébuth, son compagnon le plus proche, le suit, tous deux se glorifiant d'être échappés aux eaux Stygiennes, comme des dieux, par leurs propres forces recouvrées, non par la tolérance du Suprême Pouvoir.

Est-ce ici la région, le sol, le climat, dit alors l'archange perdu, est-ce ici le séjour que nous devons changer contre le Ciel, cette morne obscurité contre cette lumière céleste? Soit! puisque celui qui maintenant est souverain peut disposer et décider de ce qui sera justice. Le plus loin de lui est le mieux, de lui qui, égalé en raison, s'est élevé au-dessus de ses égaux par la force. Adieu, champs fortunés où la joie habite pour toujours! Salut, horreurs ! salut, monde infernal! Et toi, profond Enfer, reçois ton nouveau possesseur. Il t'apporte un esprit que ne changeront ni le temps ni le lieu. L'esprit est à soi-même sa propre demeure; il peut faire en soi un Ciel de l'Enfer, un Enfer du Ciel. Qu'importe où je serai, si je suis toujours le même et ce que je dois être, tout, quoique moindre que celui que le tonnerre a fait plus

Whom thunder hath made greater? Here at least
We shall be free; the Almighty hath not built
Here for his envy; will not drive us hence :
Here we may reign secure; and in my choice
To reign is worth ambition, though in hell:
Better to reign in hell, than serve in heaven.

"But wherefore let we then our faithful friends,
The associates and copartners of our loss,
Lie thus astonish'd on the oblivious pool;
And call them not to share with us their part

In this unhappy mansion; or once more
With rallied arms to try what may be yet
Regain'd in heaven, or what more lost in hell?"
So Satan spake, and him Beëlzebub
Thus answer'd :

"Leader of those armies bright,
Which but the Omnipotent none could have foil'd,
If once they hear that voice, their liveliest pledge
Of hope in fears and dangers, heard so oft
In worst extremes, and on the perilous edge
Of battle when it raged, in all assaults
Their surest signal, they will soon resume
New courage, and revive, though now they lie
Grovelling and prostrate on yon lake of fire,
As we erewhile, astounded and amazed:
No wonder, fallen such a pernicious height."

He scarce had ceased, when the superior fiend Was moving toward the shore; his ponderous shield,

Ethereal temper, massy, large, and round,

Behind him cast; the broad circumference

Hung on his shoulders, like the moon, whose orb
Through optic glass the Tuscan artist views
At evening, from the top of Fesolé,
Or in Valdarno, to descry new lands,
Rivers or mountains in her spotty globe.
His spear, to equal which the tallest pine,
Hewn on Norwegian hills to be the mast
Of some great ammiral, were but a wand,
He walk'd with to support uneasy steps
Over the burning marl; not like those steps
On heaven's azure: and the torrid clime
Smote on him sore besides, vaulted with fire.
Nathless he so endured, till on the beach
Of that inflamed sea he stood, and call'd
His legions, angel forms, who lay intranced,
Thick as autumnal leaves that strow the brooks
In Vallombrosa, where the Etrurian shades
High over-arch'd imbower; or scatter'd sedge
Afloat, when with fierce winds Orion arm'd
Hath vex'd the Red-Sea coast. whose waves o'erthrew

grand? Ici du moins nous serons libres. Le Tout-Puissant n'a pas bâti ce lieu pour nous l'envier; il ne voudra pas nous en chasser. Ici nous pourrons régner en sûreté; et, à mon avis, régner est digne d'ambition, même en Enfer; mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le Ciel.

« Mais laisserons-nous donc nos amis fidèles, les associés, les copartageants de notre ruine, étendus, étonnés, sur le lac d'oubli? Ne les appellerons-nous pas à prendre avec nous leur part de ce manoir malheureux, ou, avec nos armes ralliées, à tenter une fois de plus s'il est encore quelque chose à regagner au Ciel ou à perdre dans l'Enfer? »

Ainsi parla Satan, et Béelzébuth lui répondit ;

« Chef de ces brillantes armées qui par nul autre que le ToutPuissant n'auroient été vaincues, si une fois elles entendent cette voix, le gage le plus vif de leur espérance au milieu des craintes et des dangers, cette voix si souvent retentissante dans les pires extrémités, au bord périlleux de la bataille quand elle rugissoit, cette voix, signal le plus rassurant dans tous les assauts, soudain elles vont reprendre un nouveau courage et revivre, quoiqu'elles languissent à présent, gémissantes et prosternées sur le lac de feu, comme nous tout à l'heure assourdis et stupéfaits qui s'en étonneroit, tombées d'une si pernicieuse hauteur! >>

Béelzebuth avoit à peine cessé de parler, et déjà le grand ennemi s'avançoit vers le rivage: son pesant bouclier, de trempe éthérée, massif, large et rond, étoit rejeté derrière lui; la large circonférence pendoit à ses épaules, comme la Lune, dont l'orbe, à travers un verre optique, est observé le soir par l'astronome toscan du sommet de Fiesole ou dans le Val d'Arno, pour découvrir de nouvelles terres, des rivières et des montagnes sur son globe tacheté. La lance de Satan (près de laquelle le plus haut pin scié sur les collines de Norvège, pour être le mât de quelque grand vaisseau amiral, ne seroit qu'un roseau) lui sert à soutenir ses pas mal assurés sur la marne brûlante, bien différents de ses pas sur l'azur du Ciel ! Le climat torride voûté de feu le frappe encore d'autres plaies; néanmoins il endure tout, jusqu'à ce qu'il arrive au bord de la mer enflammée. Là il s'arrête. Il appelle ses légions, formes d'anges fanées, qui gisent aussi épaisses que les feuilles d'automne jonchant les ruisseaux de Vallombreuse, où les ombrages étruriens décrivent l'arche élevée d'un berceau; ainsi surnagent des varechs dispersés, quand Orion, armé des vents impétueux, a battu les côtes de la mer Rouge; mer dont les

Busiris and his Memphian chivalry,
While with perfidious hatred they pursued
The sojourners of Goshen, who beheld
From the safe shore their floating carcases
And broken chariot-wheels: so thick bestrown,
Abject and lost, lay these, covering the flood,
Under amazement of their hideous change.
He call'd so loud, that all the hollow deep
Of hell resounded :

"Princes, potentates,

Warriors, the flower of heaven, once yours, now lost,
If such astonishment as this can seize

Eternal spirits or have ye chosen this place
After the toil of battle to repose

Your wearied virtue, for the ease you find
To slumber here, as in the vales of heaven?
Or in this abject pesture have ye sworn
To adore the Conqueror? who now beholds
Cherub and seraph rolling in the flood,
With scatter'd arms and ensigns, till anon
His swift pursuers from heaven gates discern
The advantage, and descending tread us down
Thus drooping, or with linked thunderbolts
Transfix us to the bottom of this gulf.
Awake, arise; or be for ever fallen!"

They heard, and were abash'd, and up they sprung
Upon the wing; as when men wont to watch
On duty, sleeping found by whom they dread,
Rouse and bestir themselves ere well awake.
Nor did they not perceive the evil plight

In which they were, or the fierce pains not feel;
Yet to their general's voice they soon obey'd,
Innumerable.

As when the potent rod

Of Amram s son, in Egypt's evil day,
Waved round the coast, up call'd a pitchy cloud
Of locusts, warping on the eastern wind,
That o'er the realm of impious Pharaoh hung
Like night, and darken'd all the land of Nile;
So numberless were those bad angels seen,
Hovering on wing under the cope of hell,
Twixt upper, nether, and surrounding fires :
Till, as a signal given, the uplifted spear
Of their great sultan waving to direct
Their course, in even balance down they light
On the firm brimstone, and fill all the plain.
A multitude, like which the populous north
Pour'd never from her frozen loins, to pass
Rhene or the Danaw, when her barbarous sons

vagues renversèrent Busiris et la cavalerie de Memphis tandis qu'ils poursuivoient d'une haine perfide les étrangers de Gessen, qui virent du sûr rivage les carcasses flottantes, les roues des chariots brisées ; ainsi semées, abjectes, perdues, les légions gisoient, couvrant le lac, dans la stupéfaction de leur changement hideux.

Satan élève une si grande voix que tout le creux de l'Enfer en retentit:

« Princes, potentats, guerriers, fleurs du Ciel, jadis à vous, maintenant perdu ! une stupeur telle que celle-ci peut-elle saisir des esprits éternels, ou avez-vous choisi ce lieu après les fatigues de la bataille, pour reposer votre valeur lassée, pour la douceur que vous trouvez à dormir ici comme dans les vallées du Ciel? Ou bien, dans cette abjecte posture, avez-vous juré d'adorer le Vainqueur? Il contemple à présent chérubins et séraphins roulant dans le gouffre armes et enseignes brisées, jusqu'à ce que bientôt ses rapides ministres découvrent des portes du Ciel leur avantage, et, descendant, nous foulent aux pieds ainsi languissants, ou nous attachent à coups de foudre au fond de cet abîme. Éveillez-vous, levez-vous, ou soyez à jamais tombés ! »

lls l'entendirent, et furent honteux, et se levèrent sur l'aile, comme quand des sentinelles accoutumées à veiller au devoir, surprises endormies par le commandant, qu'elles craignent, se lèvent et se remettent elles-mêmes en faction avant d'être bien éveillées. Non que ces esprits ignorent le malheureux état où ils sont réduits, ou qu'ils ne sentent pas leurs affreuses tortures, mais bientôt ils obéissent innombrables à la voix de leur général.

Comme quand la puissante verge du fils d'Amram, au jour mauvais de l'Égypte, passa ondoyante le long du rivage, et appela la noire nuée de sauterelles, touées par le vent d'Orient, qui se suspendirent sur le royaume de l'impie Pharaon de même que la nuit, et enténébrèrent toute la terre du Nil; ainsi sans nombre furent aperçus ces mauvais anges, planant sous la coupole de l'Enfer, entre les inférieures, les supérieures et les environnantes flammes, jusqu'à ce qu'à un signal donné, la lance levée droite de leur grand sultan, ondoyant pour diriger leur course, ils s'abattent, d'un égal balancement, sur le soufre affermi, et remplissent la plaine. Ils formoient une multitude telle que le Nord populeux n'en versa jamais de ses flancs glacés pour franchir le Rhin ou le Danube, alors que ses fils barbares tombèrent

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