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Au reste, Milton n'étoit pas toujours logique : il ne faudra pas croire ma traduction fautive quand les idées manqueront de conséquence et de jus

tesse.

Ce qu'il faut demander au chantre d'Éden, c'est de la poésie, et de la poésie la plus haute à laquelle il soit donné à l'esprit humain d'atteindre; tout vit chez cet homme, les êtres moraux comme les êtres matériels : dans in combat ce ne sont pas les dards qui voûtent le ciel ou qui forment une voûte enflammée, ce sont les sifflements mêmes de ces dards; les personnages n'accomplissent pas des actions, ce sont leurs actions qui agissent comme si elles étoient elles-mêmes des personnages. Lorqu'on est si divinement poëte, qu'on habite au plus sublime sommet de l'Olympe, la critique est ridicule en essayant de monter là les reproches que l'on peut faire à Milton sont des reproches d'une nature inférieure ; ils tiennent de la terre où ce dieu n'habite pas. Que dans un homme une qualité s'élève à une hauteur qui domine tout, il n'y a point de tache que cette qualité ne fasse disparoître dans son éclat immense.

Si Milton, très-admiré en Angleterre est assez peu lu; s'il est moins populaire que Shakespeare, qui doit une partie de cette popularité au rajeunissement qu'il reçoit chaque jour sur la scène, cela tient à la gravité du poëte, au sérieux du poëme et à la difficulté de l'idiome miltonien. Milton, comme Homère, parle une langue qui n'est pas la langue vulgaire ; mais avec cette différence que la langue d'Homère est une langue simple, naturelle, facile à apprendre, au lieu que la langue de Milton est une langue composée, savante, et dont la lecture est un véritable travail. Quelques morceaux choisis du Paradis perdu sont dans la mémoire de tout le monde; mais, à l'exception d'un millier de vers de cette sorte, il reste onze mille vers qu'on a lus rapidement, péniblement, ou qu'on n'a jamais lus.

Voilà assez de remarques pour les personnes qui savent l'anglois et qui attachent quelque prix à ces choses-là; en voilà beaucoup trop pour la foule des lecteurs : à ceux-ci il importe fort peu qu'on ait fait ou qu'on n'ait pas fait un contre-sens, et ils se contenteroient tout aussi bien d'une version commune, amplifiée ou tronquée.

On dit que de nouvelles traductions de Milton doivent bientôt paroître ; tant mieux ! On ne sauroit trop multiplier un chef-d'œuvre mille peintres copient tous les jours les tableaux de Raphaël et de Michel-Ange. Si les nouveaux traducteurs ont suivi mon système, ils reproduiront à peu près ma traduction: ils feront ressortir les endroits où je puis m'être trompé; s'ils ont pris le système de la traduction libre, le mot à mot de mon humble travail sera comme le germe de la belle fleur qu'ils auront habilement développée. Me seroit-il permis d'espérer que si mon essai n'est pas trop malheureux, il pourra amener chaque jour une révolution dans la manière de traduire? Du temps d'Ablancourt les traductions s'appeloient de belles infidèles; depuis ce temps-là on a vu beaucoup d'infidèles qui n'étoient pas toujours belles on en viendra peut-être à trouver que la fidélité, même quand la beauté lui manque, a son prix.

Il est des génies heureux qui n'ont besoin de consulter personne, qui produisent sans effort avec abondance des choses parfaites; je n'ai rien de cette facilité naturelle, surtout en littérature: je n'arrive à quelque chose qu'avec de longs efforts; je refais vingt fois la même page, et j'en suis toujours mécontent mes manuscrits et mes épreuves sont, par la multitude des corrections et des renvois, de véritables broderies, dont j'ai moi-même beaucoup de peine à retrouver le fil1. Je n'ai pas la moindre confiance en moi; peut-être même ai-je trop de facilité à recevoir les avis qu'on veut bien me donner; il dépend presque du premier venu de me faire changer ou supprimer tout un passage je crois toujours que l'on juge et que l'on voit mieux que moi.

Pour accomplir ma tâche, je me suis environné de toutes les disquisitions des scoliastes; j'ai lu toutes les traductions françoises, italiennes et latines que j'ai pu trouver. Les traductions latines, par la facilité qu'elles ont à rendre littéralement les mots et à suivre les inversions, m'ont été très-utiles. J'ai quelques amis, que depuis trente ans je suis accoutumé à consulter : je leur ai encore proposé mes doutes dans ce dernier travail; j'ai reçu leurs notes et leurs observations; j'ai discuté avec eux les points difficiles; souvent je me suis rendu à leur opinion, quelquefois ils sont revenus à la mienne. Il m'est arrivé, comme à Louis Racine, que les Anglois m'ont avoué ne pas comprendre le passage sur lequel je les interrogeois. Heureux encore une fois ces esprits qui savent tout et n'ont besoin de personne! Moi, foible, je cherche des appuis, et je n'ai point oublié le précepte du maitre :

Faites choix d'un censeur solide et salutaire,
Que la raison conduise et le savoir éclaire,
Et dont le crayon sûr d'abord aille chercher

L'endroit que l'on sent foible et qu'on se veut cacher.

Dans tout ce que je viens de dire, je ne fais point mon apologie, je cherche seulement une excuse à mes fautes. Un traducteur n'a droit à aucune gloire; il faut seulement qu'il montre qu'il a été patient, docile et laborieux.

Si j'ai eu le bonheur de faire connaître Milton à la France, je ne me plaindrai pas des fatigues que n'a causées l'excès de ces études: tant il y a cependant que, pour éviter de nouveau l'avenir probable d'une vie fidèle, je ne recommencerois pas un pareil travail; j'aimerois mieux mille fois subir toute la rigueur de cet avenir.

1. C'est l'excuse pour les fautes d'impression, si nombreuses dans mes ouvrages. Les compositeurs, fatigués, se trompent malgré eux, par la multitude des changements, des retranchements ou des additions.

THE VERSE.

"The mesure is English heroic verse without rhyme, as that of Homer in Greek, and ot Virgil in Latin; rhyme being no necessary adjunct or true ornament of poem or good verse, in longer works especially, but the invention of a barbarous age, to set off wretched matter and lame metre; graced indeed since by the use of some famous modern poets, carried away by custom, but much to their own vexation, hindrance, and constraint, to express many thinhs other wise, and for the most part worse, than else they would have expressed them. Not without cause, therefore, some both Italian and Spanish poets of prime note have rejected rhyme both in longer and shorter works, as have also, long since, our best English tragedies, as a thing of itself, to all judicious ears, trivial and of no true musical delight, which consists only in apt numbers, fit quantity of syllables, and the sense variously drawn out from one verse into another, not in the jingling sound of like endings, a fault avoided by the learned ancients both in poetry and all good oratory. This neglect then of rhyme so little is to be taken for a defect, though it may seem so perhaps to vulgar readers, that it rather is to be esteemed an example set, the first, in English, of ancient liberty recovered to heroic poem from the troublesome and modern bondage of rhyming."

VERS.

Le vers héroïque anglois consiste dans la mesure sans rime, comme le vers d'Homère en grec et de Virgile en latin: la rime n'est ni une adjonction néces saire ni le véritable ornement d'un poëme ou de bons vers, spécialement dans un long ouvrage; elle est l'invention d'un âge barbare, pour relever un méchant sujet ou un mètre boiteux. A la vérité elle a été embellie par l'usage qu'en ont fait depuis quelques fameux poëtes modernes, cédant à la coutume; mais ils l'ont employée à leur grande vexation, gène et contrainte, pour exprimer plusieurs choses (et souvent de la plus mauvaise manière) autrement qu'ils ne les auroient exprimées. Ce n'est donc pas sans cause que plusieurs poëtes du premier rang, italiens et espagnols, ont rejeté la rime des ouvrages longs ou courts. Ainsi a-t-elle été bannie depuis longtemps de nos meilleures tragédies angloises, comme une chose d'elle-même triviale, sans vraie et agréable harmonie pour toute oreille juste. Cette harmonie naît du convenable nombre, de la convenable quantité des syllabes, et du sens passant avec variété d'un vers à un autre vers; elle ne résulte pas du tintement de terminaisons semblables; faute qu'évitoient les doctes anciens, tant dans la poésie que dans l'éloquence oratoire. L'omission de la rime doit être comptée si peu pour défant (quoiqu'elle puisse paroître telle aux lecteurs vulgaires), qu'on la doit regarder plut¿t comme le premier exemple offert en anglois de l'ancienne liberté rendue au poëme héroique affranchi de l'incommode et moderne entrave de la rims.

BOOK I.

THE ARGUMENT.

This first book proposes, first in brief, the whole subject: man's disobedience, and the loos thereupon of Paradise, wherein he was placed; then touches the prime cause of his fall, the serpent, or rather Satan in the serpent; who, revolting from God, and drawing to his side many legions of Angels, was, by the command of God, driven out of heaven, with all his crew, into the great deep. Which action passed over, the Poem hastens into the midst of things. presenting Satan with his Angels now fallen into hell, described here, not in the centre (for heaven and earth may be supposed as yet not made, certainly not yet accursed), but in a place of utter darkness, fitliest called Chaos: here Satan, with his Angels lying on the burning lake, thunderstruck and astonished, after a certain space recovers, as from confusion, calls up him who next in order and dignity lay by him they confer of their miserable fall. Satan awakens all his legions, who lay till then in the same manner confounded they rise; their numbers, array of battle: their chief leaders named, according to the idols known afterwards in Canaan and the countries adjoining. To these Satan directs his speech, comforts them with hope yet hofe regaining heaven, but tells them lastly of a new world and new kind of creature to be created, according to an ancient prophecy or report in heaven: for that Angels were long before this visible creation, was the opinion of many ancient Fathers. To find out the truth of this prophecy, and what to determine thereon, he refers to a full council. What his associates thence attempt. Pandæmonium, the palace of Satan, rises, suddenly built out of the deep the infernal Peers there sit in council.

Of man's first disobedience, and the fruit

Of that forbidden tree whose mortal taste

Brought death into the world, and all our woe,

With loss of Eden, till one greater Man

Restore us, and regain the blissful seat,

Sing, heavenly Muse, that on the secret top

Of Oreb, or of Sinai, didst inspire

That shepherd who first taught the chosen seed,
In the beginning, how the heavens and earth.

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