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beaucoup plus à la pitié. Ton cher et unique Fils n'eut pas plus tôt aperçu ta résolution de ne pas condamner avec tant de rigueur l'homme fragile, mais d'incliner beaucoup plus à la pitié, que pour apaiser ta colère, pour finir le combat entre la miséricorde et la justice que l'on discernoit sur ta face, ton Fils, sans égard à la félicité dont il jouissoit assis près de toi, s'offrit lui-même à la mort, pour l'offense de l'homme. O amour sans exemple, amour qui ne pouvoit être trouvé que dans l'amour divin! Salut, Fils de Dieu, sauveur des hommes! Ton nom dorénavant sera l'ample matière de mon chant! Jamais ma harpe n'oubliera ta louange, ni ne la séparera de la louange de ton père.

Ainsi les anges dans le Ciel, au-dessus de la sphère étoilée, passoient leurs heures fortunées dans la joie à chanter des hymnes. Cependant, descendu sur le ferme et opaque globe de ce monde sphérique, Satan marche sur la première convexité qui, enveloppant les orbes inférieurs lumineux, les sépare du chaos et de l'invasion de l'antique nuit. De loin cette convexité sembloit un globe; de près elle semble un continent sans bornes, sombre, désolé et sauvage, exposé aux tristesses d'une nuit sans étoiles et aux orages, toujours menaçants, du chaos qui gronde alentour; Ciel inclément, excepté du côté de la muraille du Ciel, quoique très-éloignée : là, quelque petit reflet d'une clarté débile se glisse moins tourmenté par la tempête mugissante.

Ici marchoit à l'aise, l'ennemi, dans un champ spacieux. Quand un vautour, élevé sur l'Immaüs (dont la chaîne neigeuse enferme le Tartare vagabond), quand ce vautour abandonne une région dépourvue de proie, pour se gorger de la chair des agneaux ou des chevreaux d'un an sur les collines qui nourrissent les troupeaux, il vole vers les sources du Gange ou de l'Hydaspe, fleuves de l'Inde; mais, dans son chemin, il s'abat sur les plaines arides de Séricane, où les Chinois conduisent, à l'aide du vent et des voiles, leurs légers chariots de roseaux; ainsi, sur cette mer battue du vent, l'ennemi marchoit seul çà et là, cherchant sa proie; seul, car de créature vivante ou sans vie on n'en trouve aucune dans ce lieu, aucune encore; mais là, dans la suite, montèrent de la terre, comme une vapeur aérienne, toutes les choses vaines et transitoires, lorsque le péché eut rempli de vanité les euvres des hommes.

Là volèrent à la fois et les choses vaines et ceux qui sur les choses vaines bâtissent leurs confiantes espérances de gloire, de renommée durable, ou de bonheur dans cette vie ou dans l'autre tous ceux qui sur la terre ont leur récompense, fruit d'une pénible superstition ou

Naught seeking but the praise of men, here find
Fit retribution, empty as their deeds :
All the unaccomplish'd works of nature's hand,
Abortive, monstrous, or unkindly mix'd,
Dissolved on earth, fleet hither, and in vain,

Till final dissolution, wander here,

Not in the neighbouring moon, as some have dream'd:
Those argent fields more likely habitants,
Translated saints, or middle spirits hold

Betwixt the angelical and human kind.

Hither, of ill-join'd sons, and daughters born First froin the ancient world those giants came With many a vain exploit, though then renown'd: The builders next of Babel on the plain

Of Sennaar, and still with vain design

New Babels, had they wherewithal, would build;
Others came single; he, who to be deem'a

A god, leap'd fondly into Ætna flames,
Empedocles; and he who, to enjoy
Plato's Elysium, leap'd into the sea,
Cleombrotus, and many more too long,
Embryos and idiots, eremites and friars,
White, black, and gray, with all their trumpery.
Here pilgrims roam, that stray'd so far to seek
In Golgotha him dead, who lives in heaven;
And they, who to be sure of Paradise,
Dying put on the weeds of Dominic,

Or in Franciscan think to pass disguised;

They pass the planets seven, and pass the fix'd,
And that crystalline sphere whose balance weighs
The trepidation talk'd, and that first moved :
And now Saint Peter at heaven's wicket seems
To wait them with his keys, and now at foot

Of heaven's ascent they lift their feet, when, lo!
A violent cross wind from either coast
Blows them transverse ten thousand leagues awry
Into the devious air then might ye see

:

Cowls, hoods, and habits with their wearers toss'd
And flutter'd into rags; then reliques, beads,
Indulgences, dispenses, pardons, bulls,

The sport of winds: all these, upwhirl'd aloft,
Fly o'er the backside of the world far off,
Into a limbo large and broad, since call'd
The Paradise of Fools, to few unknown
Long after, now unpeopled, and untrod.

All this dark globe the fiend found as he pass'd;

And long he wander'd, till at last a gleam

Of dawning light turn'd thitherward in haste

His travel'd steps: far distant he descries,

Ascending by degrees magnificent

d'un zèle aveugle, ne cherchant rien que les louanges des hommes, trouvent ici une rétribution convenable, vide comme leurs actions. Tous les ouvrages imparfaits des mains de la nature, les ouvrages avortés, monstrueux, bizarrement mélangés, après s'être dissous sur la terre, fuient ici, errent ici vainement jusqu'à la dissolution finale. Ils ne vont pas dans la Lune voisine, comme quelques-uns l'ont rêvé : les habitants de ces champs d'argent sont plus vraisemblablement des saints transportés ou des esprits tenant le milieu entre l'ange et l'homme.

Ici arrivèrent d'abord de l'ancien monde les enfants des fils et des filles mal assortis, ces géants, avec leurs vains exploits, quoique alors renommés; après eux arrivèrent les bâtisseurs de Babel dans la plaine de Sennaar, lesquels, toujours remplis de leur vain projet, bâtiroient encore, s'ils avoient avec quoi, de nouvelles Babels. D'autres vinrent un à un celui qui pour être regardé comme un Dieu, sauta de gaieté de cœur dans les flammes de l'Etna, Empedocles; celui qui pour jouir de l'Élysée de Platon se jeta dans la mer, Cléombrote. Il seroit trop long de dire les autres, les embryons, les idiots, les ermites, les moines blancs, noirs, gris, avec toutes leurs tromperies. Ici rôdent les pèlerins qui allèrent si loin chercher mort sur le Golgotha celui qui vit dans le Ciel; ici se retrouvent les hommes qui pour être sûrs du Paradis mettent en mourant la robe d'un dominicain ou d'un franciscain, et s'imaginent entrer ainsi déguisés. Ils passent les sept planètes; ils passent les étoiles fixes, et cette sphère cristalline dont le balancement produit la trépidation dont on a tant parlé, et ils passent ce Ciel qui le premier fut mis en mouvement. Déjà saint Pierre, au guichet du Ciel, semble attendre les voyageurs avec ses clefs; maintenant au bas des degrés du Ciel ils lèvent le pied pour monter; mais regardez! un vent violent et croisé, soufflant en travers de l'un et de l'autre côté, les jette à dix mille lieues à la renverse dans le vague de l'air. Alors vous pourriez voir capuchons, couvrechefs, robes, avec ceux qui les portent, ballottés et déchirés en lambeaux; reliques, chapelets, indulgences, dispenses, pardons, bulles, jouets des vents. Tout cela pirouette en haut et vole au loin par-dessus le dos du monde, dans le limbe vaste et large appelé depuis le Paradis des fous, lieu qui dans la suite des temps a été inconnu de peu de personnes, mais qui alors n'était ni peuplé ni frayé.

L'ennemi, en passant, trouva ce globe ténébreux; il le parcourut longtemps, jusqu'à ce qu'enfin la lueur d'une lumière naissante attira en hâte de ce côté ses pas voyageurs. Il découvre au loin un grand édifice qui par des degrés magnifiques s'élève à la muraille du

Up to the wall of heaven, a structure high;
At top whereof, but far more rich, appear'd
The work as of a kingly palace gate,
With frontispiece of diamond and gold
Embellish'd; thick with sparkling orient gems
The portal shone, inimitable on earth
By model or by shading pencil drawn.
The stairs were such as whereon Jacob saw
Angels ascending and descending, bands
Of guardians bright, when he from Esau fled
To Padan-Aram in the field of Luz,
Dreaming by night under the open sky,

And waking cried, "This is the gate of heaven."

Each stair mysteriously was meant, nor stood There always, but drawn up to heaven sometimes Viewless; and underneath a bright sea flow'd Of jasper, or of liquid pearl, whereon Who after came from earth, sailing arrived, Wafted by angels; or flew o'er the lake, Rapt in a chariot draw by fiery steeds. The stairs were then let down; whether to dare The fiend by easy ascent, or aggravate

His sad exclusion from the doors of bliss:

Direct against which open'd from beneath,
Just o'er the blissful seat of Paradise,

A passage down to the earth, a passage wide;
Wider by far than that of after-times
Over Mount Sion, and, though that were large,

Over the promised land to God so dear;
By which, to visit oft those happy tribes,

On high behests his angels to and fro

Pass'd frequent, and his eye with choice regard,
From Paneas, the fount of Jordan's flood,

To Beërsaba, where the Holy Land

Borders on Ægypt and the Arabian shore :

So wide the opening seem'd, where bounds were set
To darkness, such as bound the ocean wave.

Satan from hence, now on the lower stair,
That scaled by steps of gold to heaven gate,
Looks down with wonder at the sudden view
Of all this world at once.

As when a scout,
Through dark and desert ways with peril gone
All night, at last by break of cheerful dawn
Obtains the brow of some high-climbing hill,
Which to his eye discovers unaware
The goodly prospect of some foreign land
First seen or some renown'd metropolis,
With glistering spires and pinnacles adorn'd,

Which now the rising sun gilds with his beams :

Ciel. Au sommet de ces degrés apparoît, mais beaucoup plus riche, un ouvrage semblable à la porte d'un royal palais, embelli d'un frontispice de diamants et d'or. Le portique brilloit de perles orientales étincelantes, inimitables sur la terre par aucun modèle ou par le pinceau. Les degrés étoient semblables à ceux par lesquels Jacob vit monter et descendre des anges (cohortes de célestes gardiens) lorsque pour fuir Esau, allant à Padan-Aran, il rêva la nuit, dans la campagne de Luza, sous le ciel ouvert, et s'écria en s'éveillant : « C'est ici la porte du Ciel. »

Chaque degré renfermoit un mystère : cette échelle des degrés n'étoit pas toujours là, mais elle étoit quelquefois retirée invisible dans le Ciel; au-dessous rouloit une brillante mer de jaspe ou de perles liquides, sur laquelle ceux qui dans la suite vinrent de la terre faisoient voile, conduits par des anges, ou voloient au-dessus du lac, ravis dans un char que tiroient des coursiers de feu. Les degrés descendoient alors en bas, soit pour tenter l'ennemi par une ascension aisée, soit pour aggraver sa triste exclusion des portes de la béatitude.

Directement en face de ces portes, et juste au-dessus de l'heureux séjour du Paradis, s'ouvroit un passage à la terre; passage large, beaucoup plus large que ne le fut dans la suite des temps celui qui, quoique spacieux, descendoit sur le mont Sion et sur la terre promise, si chère à Dieu. Par ce chemin, pour visiter les tribus heureuses, les anges, porteurs des ordres suprêmes, passoient et repassoient fréquemment d'un œil de complaisance, le Très-Haut regardoit luimême les tribus depuis Panéas, source des eaux du Jourdain, jusqu'à Bersabée, où la Terre Sainte confine à l'Égypte et au rivage d'Arabie. Telle paroissoit cette vaste ouverture, où des limites étoient mises aux ténèbres, semblables aux bornes qui arrêtent le flot de l'Océan. De là parvenu au degré inférieur de l'escalier qui par des marches d'or monte à la porte du Ciel, Satan regarde en bas : il est saisi d'étonnement à la vue soudaine de l'univers.

Quand un espion a marché toute une nuit avec péril, à travers des sentiers obscurs et déserts, au réveil de la réjouissante aurore, il gagne enfin le sommet de quelque colline haute et roide: inopinément à ses yeux se découvre l'agréable perspective d'une terre étrangère, vue pour la première fois, ou d'une métropole fameuse ornée de pyramides et de tours étincelantes que le soleil levant dore de ses

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