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ture de leur gouvernement, aimaient leur patrie et leurs lois, et combattaient glorieusement pour défendre l'une et maintenir les autres. Il est encore moins raisonnable d'attribuer notre égoïsme et notre faiblesse morale au progrès des lumières. Les hommes les plus éclairés de tous les siècles ont été en même temps les meilleurs citoyens. Si vous vouliez m'opposer quelques exceptions, je vous prouverais aisément qu'elles tiennent à des causes indépendantes du progrès des sciences et des arts. Si la philosophie tend à rapprocher les nations, c'est uniquement dans les principes d'une saine morale et dans des pensées utiles à l'humanité. Vous feriez avec autant de justice le même reproche à la religion chrétienne, qui est aussi fondée sur une philosophie sublime, et qui aurait fait le bonheur des hommes, si les hommes ne l'eussent associée à leurs passions, et trop souvent à leurs crimes. Je le répète encore, formez les hommes pour leur patrie; qu'ils ne trouvent dans leurs premiers souvenirs, dans leurs premières émotions, que des idées nobles, et des sentiments d'amour pour les

institutions de leurs pays; alors vous pourrez sans crainte leur permettre les spéculations du commerce, et la culture des arts. Entretenez l'imagination des jeunes gens de tout ce qui peut relever à leurs yeux la gloire et le caractère national; que tout soit français en eux et autour d'eux. C'est dans cette hypothèse qu'un théâtre populaire peut devenir utile. Montrez-nous sur la scène ces héros pleins de bravoure et d'honneur dont les noms restent ensevelis dans nos annales; offrez à notre admiration ces hommes supérieurs qui se sont illustrés dans les sciences, dans les arts de la guerre et de la paix; ne souffrez pas que la calomnie insulte à leur mémoire, et cherche à flétrir leur renommée; que leurs statues, élevées dans nos places publiques, frappent les regards des citoyens de toutes les conditions et de tous les âges; que le vieillard les contemple avec respect; que le père les montre à ses enfants avec orgueil; que nos fêtes, nos jeux, nos cérémonies religieuses nous rappellent sans cesse à l'amour de la patrie et des lois, à l'honneur, aux affections domes

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tiques, à la justice, enfin à la pratique de toutes les vertus. Alors vous aurez des mœurs; alors tous les citoyens s'honoreront d'être Français; et, loin d'être imitateurs, ils serviront eux-mêmes de modèles aux autres peuples.

Le philosophe prononça ces paroles avec une chaleur et une espèce d'enthousiasme qui ne lui étaient pas ordinaires, et qui me causa quelque surprise. Il paraissait intimement convaincu de l'importance et de la vérité des opinions qu'il venait d'énoncer; et lorsque nous fùmes sur le point de nous séparer, il me prit la main, et me dit :

Ah! mon ami, combien il eût été facile de rendre les peuples heureux; mais les législateurs ont oublié que l'institution de l'enfance fait le sort des sociétés.

CHAPITRE VII.

AVENTURE DU LUXEMBOURG.

Je croyais avoir trouvé dans le jardin soli taire du Luxembourg un asyle inviolable, où rien ne devait jamais interrompre mes rêveries et troubler le cours de mes paisibles méditations. Je me rendais régulièrement à mon poste, c'est-à-dire au pied de mon arbre, avec une sécurité parfaite; mais il se passe des choses extraordinaires qui excitent en moi de funestes pressentiments. Il me semble que je suis menacé d'un grand danger; il s'approche de jour en jour, et je ne sais comment je pourrai l'éviter.

Il y a environ huit jours, revenant de rendre visite au philosophe, qui se trouva par malheur absent, il me prit fantaisie de me retirer dans ma retraite du Luxembourg. J'é

tais assis depuis quelques minutes, et je lisais avec attention un nouveau poème de Casimir Lavigne, lorsqu'un bruit léger me fit lever la tête, et j'aperçus à quinze pas de distance une femme assise qui me regardait avec attention. Je baissai modestement les yeux, et je continuai ma lecture; mais un nouveau bruit se fit entendre, et ma surprise fut extrême en découvrant que les regards de cette femme n'avaient point changé de direction. Alarmé de cette aventure, je fis un petit mouvement circulaire; ma belle spectatrice imita mon exemple. Je continuai de tourner autour de mon arbre; mais ce fut en vain : je me trouvai toujours sous le feu de ses regards, et il me parut évident que j'étais assiégé dans les règles.

Comme je suis courageux de mon naturel, je me préparai à faire une vigoureuse résistance; décidé à braver l'ennemi, je n'ai pas voulu déserter mon poste. Je vois cependant avec une sorte de frayeur que la ligne de circonvallation que cette dame a tracée autour de moi se rétrécit de plus en plus ; nous n'étions

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