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vrages le joli poème du Verger; une traduction en vers de l'Essai sur l'Homme, plus concise et plus égale que celle de l'abbé Du Resnel, et surtout un excellent morceau élégiaque intitulé: Le Jour des Morts dans la campagne. Son poème épique a pour titre La Grèce sauvée; pour sujet, la ligue du Péloponnèse, victorieuse des armées et des flottes de Xerxès. Là, tout seconde un poète : l'harmonie des noms grecs et des noms asiatiques, la solennité de l'époque, la renommée lointaine des héros, l'autorité de l'histoire, le charme et la magnificence de l'antique mythologie. Glover, il y a soixante ans, traita ce beau sujet en Angleterre, sous le nom de Léonidas, et ce ne fut pas sans succès. Il est à présumer que M. de Fontanes réussira d'une manière plus éclatante. Il a lu dans nos séances publiques plusieurs fragments de la Grèce sauvée. Un style harmonieux et correct, une précision nerveuse, une versification savante, sans recherche, embellissent ces fragments; et, comme l'exigeait l'époque la plus brillante des républiques grecques, les vers respirent à la fois l'enthousiasme de la poésie et celui

de la liberté. Puisse ce grand ouvrage arriver bientôt à son terme! On a droit d'espérer qu'il soutiendra cette gloire poétique léguée par Malherbe à ses successeurs, et qui, de classique en classique, s'est conservée chez les Français durant deux siècles, toujours fidèlement recueillie, toujours enrichie de nouveaux trésors. >>

La manière de Chénier est éminemment classique. Les doctrines littéraires de l'école allemande n'avaient fait aucune impression sur son esprit, cultivé par de bonnes études. Il attribuait à l'impuissance d'approcher des modèles le mépris des règles et le dégoût de la raison, qui caractérisent la poétique des nouveaux docteurs. Je pense à cet égard comme lui ; cette fureur d'innovation a cependant une cause bien naturelle. L'Allemagne est arrivée un peu tard dans la carrière des beaux arts; les couronnes sont distribuées, les statues élevées. Homère, Sophocle, Virgile, Térence, Le Tasse, Milton, Pope, Corncille, Racine, Molière, Voltaire, tous grands hommes de la même famille, occupent les

autels de la gloire. Il serait impossible de les surpasser, peut-être même de les égaler. Au lieu de se consumer en efforts honorables, mais pénibles, n'est-il pas plus simple et plus facile de dédaigner la perfection, de construíre un édifice obscur et gothique, inaccessible à la lumière de la raison, que l'imagination, abandonnée à elle-même, peuplera d'êtres fantastiques, et sur le frontispice duquel on écrira fièrement: Temple de la renommée. Là s'élèveront les bustes grossièrement sculptés des classiques ténébreux devant lesquels fumera sans cesse un encens plus grossierencore; là certain grand-prêtre, tenant en main la baguette de Prospéro et revêtu de la gabardine de Caliban (1), chantera sans fin des hymnes à la nuit, et l'éternel Hosanna de la barbarie.

La poésie est née dans le temple des dieux;

(1) Voyez la Tempête, tragi-comédie de Shak

spear.

elle servit d'instrument à la civilisation et s'est élevée avec elle. On dit que la raison n'est pas poétique; mais la raison n'exclut ni les douces émotions, ni les sentiments passionnés, ni les diverses inspirations produites par les grandes scènes de la nature, ni les beautés d'aucun genre. La raison ne repousse que l'exagération et l'extravagance; la poésie n'est pas faite pour habiter Charenton.

Peu d'écrivains ont développé ces principes avec plus de chaleur et d'éloquence que Chénier. Ils servaient de règle à ses jugements, et lui-même en a fait dans ses ouvrages une heureuse application.

Je l'ai déjà dit, il n'hésitait point à reconnaître le mérite des poètes qui se présentaient dans la carrière qu'il avait choisie et parcourue avec succès: aussi personne n'a mieux apprécié qu'il ne l'a fait les belles productions de Ducis et de La Harpe, de MM. Raynouard, Lemercier et Legouvé. Ses remarques sur les tragédies de l'auteur de Marius à Minturnes sont dictées par la justice, et terminées par

des réflexions qui s'adressent à une certaine classe de censeurs, lesquels abusent trop souvent des avantages d'une incurable stérilité.

<< En général, dit-il, M. Arnault cherche toujours et trouve souvent des idées nouvelles; ses compositions lui appartiennent; son style est nourri de pensées; il est dans la force de l'âge, et ce qu'il a fait garantit ce qu'il peut faire encore. Il convient peut-être à des censeurs bassement jaloux de vouloir obscurcir tout succès auquel ils ne sauraient prétendre; mais il est de l'honneur des gens de lettres, il est même de l'intérêt du public de prêter aux vrais talents un appui nécessaire à leur dignité comme à leurs progrès. >>

Chénier, qui lançait avec tant de fermeté le trait satirique, savait donner à la louange des formes variées, souvent originales, toujours pleines d'agrément. Voici un éloge qui paraîtra heureusement inspiré, et pour l'exécution et pour l'écrivain qui en est l'objet :

<«<< Chez les Grecs, Thalie était à la fois

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