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qui est un mérite, mais ici plus qu'ailleurs, puisque l'objet principal est la description de l'Italie ; et quelle description passionnée! Au milieu des cités pompeuses et des opulents paysages, c'est pour Oswald que son amante se plaît à célébrer cette contrée deux fois classique, et long-temps peuplée de héros, où l'héritage des Grecs fut recueilli par la victoire, et qui depuis retira l'Europe des longues ténèbres du moyen âge. C'est avec lui qu'elle se promène entre les prodiges antiques et les prodiges modernes, près de ces monuments debout encore, mais dont la grandeur égale à peine les débris des monuments renversés; dans ces palais, dans ces temples qui étalent les chefs-d'oeuvre de la peinture, et retentissent des chefs-d'œuvre de l'harmonie ; et sous le plus beau ciel du monde, pour en→ flammer l'imagination, de tous côtés viennent s'unir à la puissance des arts la majesté d'une gloire lointaine, l'inspiration des souvenirs et l'éloquence des tombeaux. Ce n'est pas une idée vulgaire que celle de lier tous ces grands objets aux situations d'une âme ardente et mobile. Ainsi les couleurs sont va

riées; leur éclat éblouit d'abord, lorsque, triomphante au Capitole, heureuse d'un amour naissant et partagé, Corinne, enchantée du présent, sourit aux promesses de l'avenir. Bientôt les teintes pâlissent en même temps que son bonheur; mais leur mélancolie les rend plus douces; et, quand elle a perdu jusqu'à l'espoir, c'est encore avec un charme nouveau qu'elle reproduit les mêmes images, rembrunies de sa douleur et des pressentiments de sa mort prochaine. Il y a beaucoup de mérite dans le roman de Delphine. A notre avis toutefois, Corinne a moins de défauts, plus de beautés et des beautés d'un plus grand ordre. Sans doute on peut reprocher à ces deux ouvrages quelques pensées qui ne soutiendraient pas l'examen, quelques expressions plutôt cherchées que trouvées. Mais qu'importent ces taches légères? Tous deux sont riches de détails; tous deux étincellent de traits ingénieux ou diversement énergiques, et garantissent à madame de Stael un rang parmi les écrivains qui font aujourd'hui le plus d'honneur à la littérature française. >>>

Lorsque Chénier rendait à un talent supérieur ce juste tribut d'estime, l'auteur de Corinne errait en Europe, poursuivie par le despotisme, qui n'avait pu obtenir de sa pensée courageuse la moindre concession. Cette circonstance ajoute quelque prix au jugement que Chénier a porté sur les ouvrages de madame de Stael; un tel acte d'impartialité dans cet état de choses devient presque une bonne action.

Voilà l'un des écrivains de cette littérature impériale qu'une secte qui croit être en marche, parce qu'elle recule, essaie vainement de livrer au mépris.

Dans l'ouvrage que j'examine, la critique est presque toujours accompagnée d'urbanité. Ce n'est point avec ce ton aigre et tranchant, si familier à la médiocrité envieuse, qui se débat contre son impuissance, que Chénier relève les défauts ou les erreurs d'un écrivain. Il ne s'est écarté qu'une seule fois d'une juste mesure, et c'est en parlant de l'auteur d'Atala. Il présente l'analyse de ce roman en forme de

parodie. Je connais peu d'ouvrages sérieux qui pussent résister à une pareille épreuve. Ce genre de critique est séduisant par sa facilité; mais il ne devait pas entrer dans un ouvrage grave, et entrepris, comme on sait, sous les auspices de l'Académie française. Rien ne peut justifier la forme que le critique a jugé convenable d'adopter. Ce n'est pas que la parodie ne soit plaisante, et n'excite plus d'une fois le sourire du lecteur; mais je crois qu'elle est déplacée. En écrivant cette parodie, l'auteur ne se doutait pas que M. de Châteaubriand prendrait un jour sa place dans le fauteuil académique, où, si l'on trouve le sommeil, on ne perd pas du moins la mémoire.

Il faut avouer que Chénier a trop obéi à ses préventions lorsqu'il a jugé cet illustre écrivain. Dans l'épisode d'Atala, qui, si je ne me trompe, est inférieur à celui de René, on trouve une imagination vive, des descriptions pleines d'éclat et de vérité, et une couleur locale dont le mérite ne peut être entièrement senti que par ceux qui connaissent les moeurs des tribus sauvages. Je ne parlerai pas

des Martyrs, ouvrage généralement bien apprécié ; mais dans René, qui n'obtient pas un souvenir de Chénier, l'auteur observe avec succès les mouvements du coeur, où il a fait des découvertes. Jamais, avant lui, on n'avait tracé avec fidélité les effets de cessentiments vagues, de ces passions indéfinies, de cette inquiétude rêveuse, qui tourmentent la jeunesse des esprits ardents, et qui indiquent les secrètes fermentations du cœur, comme les colonnes de vapeurs ondoyantes qui s'échappent des flancs de l'Etna annoncent la combustion intérieure et la prochaine éruption du

volcan.

Chénier, injuste envers M. de Châteaubriand, ne l'a pas été à l'égard de M. de Fontanes; ici son opinion est dégagée de toute considération personnelle et de tout souvenir fâcheux.

« Un écrivain distingué, dit-il, comme poète et comme prosateur, M. de Fontanes, s'occupe depuis long-temps d'une épopéc. Les connaisseurs ont déjà remarqué parmi ses ou

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