Page images
PDF
EPUB

grande répugnance à servir avec lui. Il avait eu leur estime quand il les combattait, ils l'accablèrent de mépris lorsqu'il se fut joint à eux par une trahison. >>

Il serait difficile d'exposer avec plus de force et de verité l'infamie qui accompagne toujours les trahisons. Une chose que je me plais à remarquer, c'est que les traîtres obtiennent rarement en entier les récompenses promises à leur cupidité. Le général Arnold n'est pas le seul qui se soit plaint d'avoir été séduit par de vaines promesses. Tel sera toujours le sort des hommes qui trahissent leur pays en faveur de l'étranger: ils ne peuvent compter avec certitude que sur l'indignation des contemporains et sur le mépris de la pos

térité.

Le récit de la conspiration d'Arnold est précédé d'un discours sur les États-Unis d'Amérique qui mérite, comme je l'ai déjà dit, une attention particulière. Il est aisé de s'apercevoir, à la lecture de ce discours, que l'auteur est maître de son sujet; que ses opi

nions sont le résultat de ses propres recherches, et des observations qu'il a recueillies luimême sur les lieux. Personne n'était plus en état M. Barbé-Marbois de nous éclairer que sur la situation politique et morale des ÉtatsUnis. Secrétaire de la légation française pendant les dernières années de la guerre de l'indépendance, il eut des relations intimes avec les illustres fondateurs de l'Union fédérale. J'ai sous les yeux les Notes sur la Virginie, par M. Jefferson; elles m'apprennent que nous devons leur existence au zèle éclairé de M. Barbé-Marbois. Voici les propres paroles du philosophe américain : « The Notes on Virginia were written in Virginia, in the years 1781 and 1782, in answer to certain queries proposed to me by Mr de Marbois, then secretary of the french legation in the United-States; and a manuscript-copy was delivered to him.» (Les Notes sur la Virginie ont été écrites en Virginie pendant les années 1781 et 1782, en réponse à certaines questions qui m'avaient été proposées par M. de Marbois, alors secrétaire de la légation française dansles ÉtatsUnis. Il lui en fut délivré une copie manus

crite.) Depuis cette époque, M. Barbé-Marbois a visité de nouveau l'Amérique du nord. Ainsi le discours préliminaire de son dernier ouvrage a été composé de matériaux précieux; c'est le fruit des méditations d'un homme d'état éclairé par l'expérience, et soutenu par une haute philosophie.

On a composé beaucoup de livres sur les États-Unis; mais, si l'on excepte le Voyage de M. de la Rochefoucault-Liancourt, si digne d'éloges par son exactitude et son impartialité, ces productions renferment des erreurs graves ou de fàcheuses exagérations. Je voudrais pouvoir séparer entièrement de ces relations infidèles le Tableau de M. de Volney. Ses remarques sur la partie matérielle des États-Unis sont curieuses et instructives; mais, dans tout ce qui concerne les mœurs des Américains, leur caractère, l'influence du gouvernement sur l'esprit public, j'ai peine à reconnaître l'auteur justement célèbre du Voyage en Egypte et en Syrie. On est d'abord frappé du ton d'aigreur peu philosophique qui domine dans son ouvrage. Il cite des faits isolés,

et en déduit des conséquences générales : manière de raisonner qui ne convient qu'aux ennemis de la raison. Il n'épargne pas même les femmes américaines, qui cependant ne le cèdent point aux Européennes pour les grâces, la délicatesse des sentiments, l'esprit et la beauté. La mauvaise humeur de M. de Volney était incurable, puisque la réunion de tant de charmes n'a pu l'adoucir.

Le Voyage de Brissot en Amérique était moins destiné à faire connaître les ÉtatsUnis qu'à fournir un cadre aux réflexions de l'auteur sur les abus des gouvernements et sur les préjugés de l'ancien monde. M. de Chastellux voyageait en militaire et en académicien. Ses observations sur les événements de la guerre peuvent fournir des matériaux à l'histoire; mais trop souvent il fait briller son esprit aux dépens de la vérité. Lorsqu'il prenait des notes sur les bords de l'Hudson, ou dans les montagnes de la Virginie, il songeait un peu trop aux petits aréopages littéraires de Paris, qui le jugèrent

!

avec une indulgence dont nous pouvons aujourd'hui nous dispenser.

On n'a pas encore oublié la vive impression que produisirent les Lettres d'un culti vateur américain, à l'époque où elles furent publiées. La peinture des mœurs patriarcales d'un peuple qui jusque alors avait échappé à la renommée; les brillantes descriptions d'un pays peu connu, où la nature a déployé toute son énergie et sa grandeur; enfin, le récit passionné des charmes de l'indépendance et des bienfaits d'un gouvernement fondé sur l'intérêt commun, saisirent les imaginations, touchèrent des cœurs avides d'émotions nouvelles, et, d'un bout de l'Europe à l'autre, rallièrent les hommes généreux à la grande cause de la liberté. Il faut cependant avouer que M. de Crèvecœur est souvent exagéré dans ses tableaux; qu'il écarte avec soin tout ce qui pourrait en obscurcir l'éclat; qu'il décrit en poète, et sacrifie à des illusions l'intérêt de la vérité. Il y a au moins autant d'idéal que de réalités dans les ouvrages de cet écrivain; un tel mé

« PreviousContinue »