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cette belle invocation à la lumière, qui conduit Milton, privé de la vue, à un retour si naturel sur lui-même. Delille, dont les yeux étaient aussi fermés à la lumière, a rendu les regrets et les plaintes du poète anglais avec un charme et une éloquence qu'on ne saurait trop admirer. Quoique le passage soit un peu long, je ne puis résister au désir de le mettre tout entier, dans l'une et l'autre langue, sous les yeux de mes lecteurs.

Hail holy light, offspring of heav'n first-born,
Or of th'eternal coeternal beam,

May I express thee' unblam'd? since God is light,
And never but in unapproached light

Dwelt from eternity, dwelt then in thee,
Bright effluence of bright essence increate.
Or hear'st thou rather, pure ethereal stream,
Whose fountain who shall tell? Before the sun,
Before the heav'ns thou wert, and at the voice
Of God, as with a mantle didst invest
The rising world of waters dark and deep,
Won from the void and formless infinite.

Thee I re-visit now with bolder wing,
Escap'd the stygian pool, though long detain'd
In that obscure sejourn; while in my flight
Through utter and through middle darkness borne,

With other notes than to th'orphean lyre
I sung of chaos and eternal night

Taught by the heav'nly muse to venture down
The dark descent, and up to re-ascend,
Though hard and rare: thee I revisit safe,
And feel thy sov'reign vital lamp; but thou
Revisit'st not these eyes, that roll in vain
To find thy piercing ray, and find no dawn;
So thick a drop serene hath queneh'd their orbs,
Or dim suffusion veil'd. Yet, not the more
Cease I to wander where the Muses haunt,
Clear spring, or shady grove, or sunny hill,
Smit with the love of sacred song; but chief
Thee, Sion, and the flow'ry brooks beneath,
That wash thy hallow'd feet, and warbling flow,
Nightly I visit: nor sometimes forget

Those other two equall'd with me in fate,
So were I equall'd with them in renown,
Blind Thamyris and blind Moonides,
And Tiresias and Phineus, prophets old:
Then feed on thoughts, that voluntary move
Harmonious numbers; as the wakeful bird
Sing darkling, and in shadiest covert hid
Tunes her nocturnal note. Thus with the year
Seasons return, but no to me returns
Day, or the sweet approach of ev'n or morn,
Or sight of vernal bloom, or summer's rose,
Or flocks, or herds, or human face divine;
But cloud instead, and ever-during dark

Surrounds me, from the cheerful ways of men
Cut off, and for the book of knowledge fair
Presented with a universal blank

Of nature's works to me expung'd and rais'd,
And wisdom at one entrance quite shut out.
So much the rather thou, celestial light,

Shine inward, and the mind through all her powers
Irradiate, there plant eyes, all mist from thence
Purge and disperse, that I may see and tell
Of things invisible to mortal sight.

Ecoutons maintenant Delille, et ne considérons que le poète, sans songer au traduc

teur :

Salut, clarté du jour, éternelle lumière,
Du ciel la fille aimée et la beauté première,
Peut-être du très haut rayon co-éternel,
Si te nommer ainsi n'outrage point le ciel!
Que dis-je? Dieu t'unit à sa divine essence,
Dieu même est la lumière, et sa toute-puissance
Comme d'un pavillon s'environne de toi.
Éclatant tabernacle où réside ton roi,
Brillant écoulement de sa gloire immortelle,
Comme elle inaltérable, et féconde comme elle,
Ruisseau pur et sacré qui, coulant à jamais,
En dérobant ta source, épanches tes bienfaits,
Salut! Avant qu'un mot eût enfanté le monde,

272

Eût arraché la terre aux abymes de l'onde,
Eût assis le soleil sur le trône des airs,
Et sur le vide immense eût conquis l'univers,
Tu brillais de ses feux; l'insensible matière,
En recevant la vie, a senti la lumière;
Et, comme un voile pur du ciel resplendissant,
Tu jetas la clarté sur ce monde naissant.

Trop long-temps retenu dans les gouffres funèbres,
J'ai de mes pas errants parcouru leurs ténèbres;
De leur voûte brûlante à leurs antres sans fonds
J'allai, j'interrogeai leurs abymes profonds;
Pour chanter le chaos, l'ombre qui l'enveloppe,
Je dédaignai le luth qui charma le Rhodope.
Grâce aux Muses, du ciel descendu sans effroi,
J'ai plongé dans l'abyme et remonté vers toi,
Pour les faibles humains privilége si rare!
Enfin je viens à toi de la nuit du Tartare;

Je viens revoir le ciel, revoir ce monde heureux,
Brillant de tes rayons, échauffé de tes feux.
Je sens déjà ta flamme, aliment de la vie;
Mais, hélas! à mes yeux ta lumière est ravie!
En vain leur globe éteint, et roulant dans la nuit,
Cherche aux voûtes des cieux la clarté qui me fuit;
Tu ne visites plus ma débile prunelle;
Pourtant, des chants sacrés adorateur fidèle,
Ma Muse, chère au ciel, anime encor ma voix;
J'erre encor sur ses pas sous la voûte des bois,
Au bord du clair ruisseau, sur la montagne altière

Que pour
d'autres que moi vient dorer la lumière,
Mais c'est vous, vous surtout qui m'avez inspiré,
Montagne de Sion, et toi, ruisseau sacré,

Toi qui, baignant ses pieds avec un doux murmure,
Les caches sous des fleurs, les couvres de verdure!
Souvent aussi (des maux trop funestes rapports!)
J'évoque ces mortels fameux par leurs accords,
Qui n'ont de tes bienfaits gardé que la mémoire.
Votre égal en malheur, que ne le suis-je en gloire!
O vieux Tirésias, Homère, Tamiris!

Ainsi, de mille objets en silence nourris,

Mes vers coulent sans peine, et ma muse féconde
Reproduit dans mes chants les merveilles du monde ;
Mais du moins dans mes maux j'imite leurs concerts,
Et mon cœur sans efforts se répand dans mes vers.
Tel au sein de la nuit et de la forêt sombre
L'oiseau mélodieux chante caché dans l'ombre.
Les ans, les mois, les jours, par une sage loi,
Tout revient; mais le jour ne revient pas pour moi:
Mes yeux cherchent en vain les fleurs fraîches écloses;
Mes printemps sont sans grâce et mes étés sans roses;
J'ai perdu des ruisseaux le cristal argentin,
La pourpre du couchant, les rayons du matin,
Et les jeux des troupeaux, et ce noble visage
Où le Dieu qui fit l'homme a gravé son image.
J'ai gardé ses malheurs et perdu ses plaisirs.
Où sont les doux tableaux si chers à mes loisirs?
Rien! rien de cette scène en beautés si féconde
Ne se peint dans ces yeux où se peignait le monde.

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