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fois : Kerkabon ne sera jamais un aigle. Sa prédiction s'est accomplie.

Cependant, à force de faire des thèmes et des versions, j'arrivai jusqu'en seconde. Je n'avais obtenu aucun succès dans les distributions de prix; mais à la fin de cette année il arriva un événement qui réveilla mon imagination.

Le jour de la distribution des prix est une grande époque dans les colléges. Les personnes les plus distinguées de Nantes assistaient ordinairement à cette pompeuse cérémonie. La salle où se rassemblaient les spectateurs était spacieuse. On avait placé le théâtre où les élèves allaient recevoir leurs couronnes à l'une des extrémités de cette salle, dont l'intérieur était garni de banquettes. Observez, je vous prie, que j'avais alors seize ans, et supposez le jour solennel arrivé.

Le hasard me plaça près d'une jeune fille, que j'entendis nommer Mathilde. Elle paraissait âgée de quatorze ans ; et, pour la première

fois de ma vie, mon cœur éprouva l'influence de la beauté. La fraîcheur de son teint, l'élégante finesse de sa taille, et je ne sais quoi de céleste répandu sur toute sa personne, me touchèrent vivement. Elle n'avait point de programme je lui présentai le mien d'une main tremblante. Elle voulut bien le prendre en me remerciant avec un son de voix dont je n'ai jamais oublié la douceur.

La cérémonie commença bientôt. C'était au bruit des fanfares et des applaudissements unanimes de l'assemblée que les vainqueurs recevaient les prix, objets de tant de vœux. Un de mes camarades de classe, nommé Albert, eut le bonheur d'enlever cinq couronnes. Ce brillant succès fixa sur lui l'attention de tous les spectateurs. Des acclamations redoublées signalèrent son dernier triomphe; et j'entendis Mathilde, dans un transport d'enthousiasme, dire à sa mère : « Que la sœur de ce jeune homme doit être heureuse ! »

Que n'aurais-je point donné alors pour être à la place d'Albert! Je ne fus pas même nom

mé pour un modeste accessit. Le vœu de Mathilde fit sur moi l'effet d'un reproche amer; je rougis involontairement, je baissai les yeux, et je sentis que la gloire n'était pas une illusion.

Depuis ce moment, je formai le dessein de me livrer entièrement à l'étude, et d'essayer du moins de me rendre digne de l'estime de Mathilde, dont l'image ne sortait point de mon souvenir. Elle assistera peut-être, me disais-je à moi-même, à la prochaine distribution des prix: quel bonheur si j'étais couronné en sa présence, et si elle applaudissait à mes succès! Cette idée soutenait mon courage. J'allai passer le temps des vacances au château de mon oncle; mais, au lieu de perdre mes loisirs en vains amusements, je les employai à repasser mes auteurs, et à me fortifier sur les règles de la composition. Je me levais de bonne heure pour commencer mon travail, et la nuit me surprenait souvent occupé à expliquer un passage de Cicéron, ou à confier à ma mémoire les beaux vers de Virgile. Ceux qui avaient connu mon anti

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pathie pour les livres ne revenaient pas de leur étonnement, et le vieux précepteur, qui daignait encore diriger mes études lorsque j'étais hors du collége, disait à mon oncle: « Il ne faut jamais désespérer des enfants. Voyez quel effet la raison produit sur ce jeune homme! » S'il avait connu mon secret, il eût accordé moins de pouvoir à la raison.

A mesure que je m'habituais à l'étude, les obstacles s'aplanissaient devant moi; mon goût et mon jugement se perfectionnaient de jour en jour, et je revins au collége plein d'espérance et d'ardeur. J'entrai en rhétorique, et, dès la première composition, j'obtins une place distinguée. La surprise fut générale. Encouragé par ce premier succès, je fis de nouveaux efforts, et je me soutins avec honneur jusqu'à l'époque des grandes compositions. Ce fut là que mes angoisses commencèrent. Je remplis la tâche qui nous était imposée avec tout le soin dont j'étais capable; il me semblait que la destinée de ma vie était attachée à ces compositions. Les paroles de Mathilde revenaient sans cesse à mon esprit.

Je ne l'avais pas revue, mais elle était toujours présente à ma pensée, et j'attendais avec une impatience inexprimable le jour où j'aurais le bonheur de la revoir. Ce jour arriva enfin, et ce ne fut pas au hasard que je dus l'avantage d'être placé auprès d'elle. Je la trouvai embellie, et je crus qu'elle me reconnaissait, car ses regards se tournèrent vers moi. Au moment où l'on annonça la distribution des prix, mon cœur palpitait avec violence, et cette agitation intérieure m'ôtait jusqu'à un certain point l'usage de mes facultés. Les noms des vainqueurs furent proclamés, et le mien ne fut pas même prononcé. Jugez de ma situation! Des larmes coulèrent de mes yeux. Mathilde s'en aperçut, et me dit d'une voix touchante :

<< Vous êtes indisposé; vous pleurez!

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Ah! lui répondis-je, que n'ai-je eu le bonheur d'avoir un prix ! »

Ces mots furent entendus d'elle seule, au milieu des applaudissements. Elle me re

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