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bien que corrompue, à être entendue et parlée : les couvens surtout lui conservèrent une pureté qu'elle perdait ailleurs: Alcuin s'inspira de ce souffle antique '.

C'est à Parme que Charlemagne et Alcuin se virent pour la première fois. C'est de l'Italie que Charlemagne ramena des maîtres'. Alcuin eut, pour contemporains, Paulin, patriarche d'Aquilée; Théodulfe, évêque d'Orléans; Pierre et Adelbert, tous deux métropolitains de Milan; Paul Warnefrid ou Paul Diacre. Smaragde, abbé de Saint-Mihiel, avait été, sous Charlemagne, employé à diverses négociations avec Rome. Les traditions se soutinrent. Les fils de Charlemagne cherchèrent, par des décrets et par leur munificence, à ranimer ces cendres précieuses. Lothaire créa ou rétablit plusieurs écoles, entre autres l'école de Pavie; il y en avait même dans les villages.

La seconde partie du neuvième siècle fut plus brillante encore pour l'Italie. Othon le Grand y encouragea les lettres, dont les progrès furent aussi hâtés par Théophane, fille de

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' MURATORI, Dissert. 43.

Dominus rex Carolus iterum a Roma artis grammaticæ et computatoriæ magistros secum adduxit in Franciam et ubique litterarum studium expandere jussit. ( Monach, ingulismensis Vita Car. M. ad ann. 787.)

Romain, empereur, épouse d'Othon. Théophane apporta à la cour d'Occident le goût des lettres et les accens harmonieux de sa langue natale, bien supérieure, quoique altérée, aux idiomes de l'Occident..

L'influence italienne, jusque-là vague et obscure, va se répandre sur la France, plus précise et plus éclatante. Lanfranc, natif de Pavie, 'est l'auteur de ce mouvement qui prépara la gloire des universités de Paris au douzième siècle. Ici l'école italienne se mêle et se perd dans l'école normande qu'elle enfanta cependant : l'Irlande aussi est éclipsée; la lumière part de la Normandie.

Ce fut en effet au sein de la Normandie, dans l'abbaye du Bec, que s'opéra cette grande révolution intellectuelle, trop oubliée dans les débats ultérieurs de la scolastique. Alors la science n'était point renfermée dans la capitale, au centre du royaume; elle rayonnait de toutes parts. C'était souvent dans des solitudes profondes, dans le calme des campagnes, au sein des forêts, qu'elle rendait ses oracles. L'abbaye de Jumièges, située dans une presqu'île, de la Seine, entourée de bois, de prairies et de silence, fut un des premiers asyles que, dans les premiers temps du moyen âge, le christia

nisme offrit à la science 1. De l'abbaye du Bec sortirent toutes les célébrités du onzième siècle : le pape Alexandre II, Guimond, évêque d'Averse, Yves de Chartres, le restaurateur dụ droit canonique en France, enfin Anselme.

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Lanfranc était l'âme de cette activité intellectuelle, qui, avec lui, passa de la Normandie en Angleterre. Nommé au siége de Cantorbéry, Lanfranc continua l'œuvre d'Alfred, qui s'était beaucoup ralentie au milieu des guerres et des ravages auxquels les incursions des Danois avaient exposé l'Angleterre. Cette influence de la Normandie sur l'Angleterre, que devait y exercer le séjour de Lanfranc, s'augmenta enle retour de la dynastie saxonne sur le trône. Édouard, surnommé ensuite le Confesseur, avait vécu hors de l'Angleterre et principalement à la cour des Normands. Avec lui les modes, l'idiome, les mœurs des Normands, passèrent en Angleterre : mélange qui prépara et facilita la conquête de Guillaume par une ancienne conformité de goûts, d'habitudes et de langage entre les deux peuples. Lanfranc renouvela les sciences sous Louis le Jeune, et répandit son influence en Italie et en Allemagne.

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NODIER, Voyage pitt. et rom. dans l'ancienne France. -TRISTAN, t. 3, p. 61.)

L'école italienne-normande, créée en France par Lanfranc, se soutint et se perpétua dans Anselme, disciple de Lanfranc, et, comme lui, Italien. Sous Anselme, cette école vit grandir sa réputation et augmenter son influence.

Lanfranc et Anselme, tous deux d'un esprit supérieur, différaient de principes. Lanfranc, d'une vive et brillante imagination, rendit au latin sa pureté, à la philosophie un langage plus animé et plus noble. Le premier, il appliqua la dialectique à la théologie, et créa ainsi ou plutôt ressucita la forme scolastique, dont Jean Scot Érigène avait donné l'exemple : mais il ne sortit pas de la théologie. Anselme unit, au contraire, la philosophie à la théologie, les lumières de la raison à l'autorité des Écritures. Fidèle aux lois de l'esprit humain, Anselme le menait à la connaissance des idées par la connaissance des lois du langage. Son Grammairium peut être considéré comme une introduction à la logique; son Monologium, seu exemplum meditandi de Ratione fidei, ou manière dont on peut s'y prendre pour rendre compte de sa foi, est un progrès de la philosophie. Elle marche plus librement sous le joug de la théologie; elle appelle la raison à l'examen

' Il était né à Aost en Piémont.

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de la foi. Dans le premier chapitre du Mono

logium, Anselme pose l'existence de Dieu sur le même principe que Descartes', principe que l'on peut aussi découvrir dans saint Augustin.

Il est facile à un homme de se dire dans le silence de la méditation: puisqu'il y a un si grand nombre de biens dont les sens nous attestent la diversité, et que notre intelligence distingue, dois-je croire qu'il y ait un principe un, par lequel seul est bon tout ce qui est bon? ou faut-il penser que telle chose est bonne en vertu d'un principe, et telle autre en vertu d'un autre principe? Il est incontestable, et facile à saisir pour un esprit attentif, que les individualités entre lesquelles on peut établir des rapports de plus, de moins et d'égalité, ne sont telles qu'en vertu de quelque chose qui n'est ni l'une ni l'autre, mais qui se retrouve en toutes, toujours la même dans quelque mesure, égale ou non, qu'on l'y aperçoive. << Car tout ce qui peut être dit juste, qu'il le soit plus ou moins, ne peut toutefois être conçu tel qu'en vertu de la justice, qui, dans chaque individu, ne peut être autre qu'ellemême. » Comme donc il est certain que toutes les choses qui sont bonnes, comparées les unes aux autres, le sont plus ou moins, il est nécessaire qu'elles soient telles en vertu de quelque chose que l'on conçoit le même dans tout. Il faut que tout ce qui est utile, ce qui porte en soi quelque perfection, s'il est bon, le soit en vertu de l'être qui constitue la bonté de chaque chose, quel que soit cet être. Or, qui peut douter que ce qui communiqué la bonté à toute chose ne soit le souverain bien? Celui-là donc est bon par soi-même, par la bonté duquel tout est bien. Il suit que tous les autres biens le sont par un autre qu'eux-mêmes, et le bien suprême par lui seul. Mais aucun bien, qui est bien par la vertu d'un autre que lui-même, n'est égal à celui qui est tel par lui-même ou n'est plus grand que lui. Celui-là donc est seul souverainement bon qui l'est par lui

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