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ses derniers représentans et dans ses premiers, interprètes, cette littérature grecque, belle encore dans ses dégradations, et conservant la grâce et l'élégance, sinon l'inspiration et la pureté. Une légère esquisse de la formation des idiomes de l'Espagne et de l'Angleterre achèvera ce tableau littéraire du moyen âge.

Ainsi deux mondes, et deux littératures différentes; la barbarie de la civilisation à côté de la barbarie de l'ignorance; l'antiquité classique, et les origines des idiomes modernes ; l'unité religieuse, et les premiers essais de la philosophie, voilà le fond sur lequel se dessineront ces études historiques et littéraires, qui, bien que détachées de nos études sur la littérature romaine, en forment la suite et le complément nécessaire.

Nous allions ainsi cheminant au milieu des obscurités, des ruines, des merveilles du moyen âge; tout entier à notre travail, occupé d'en vaincre les nombreux obstacles, lorsque, sur notre route, nous en avons rencontré un que nous n'avions pas prévu. M. Villemain a fait, de la littérature du moyen âge, le sujet de son cours en 1829-1830. Un tel joûteur nous devait détourner d'essayer ce qu'il a si bien exécuté. Aussi notre travail n'eût pas vu le jour, s'il fût né uniquement sous les inspirations du

célèbre professeur: il les suit, parce qu'il les avait devancées. Cet Essai était commencé depuis long-temps, et presque achevé1 avant que M. Villemain eût annoncé qu'il ferait du moyen âge le texte de ses brillantes leçons. L'idée de ce travail est donc nôtre; et cette circonstance, en lui donnant une couleur particulière, une allure différente, lui laissera peut-être aussi une utilité à part; car notre pensée n'a pas été, et partant notre marche n'a pas dû être la marche et la pensée de M. Villemain.

Deux influences ont agi sur le moyen âge : l'une, venue de l'antiquité, vit au sein des cloîtres; elle forme un monde savant à part, qui a son langage à lui, ses idées, ses formules; l'autre, indice d'une société nouvelle, éclate au sein du peuple, dans un idiome informe, mais naïf et vierge. La première se trahit surtout du sixième au douzième siècle; née au dixième siècle, la seconde ne se manifeste puissante et complète qu'au treizième. M. Villemain a eu principalement pour but de reproduire cette seconde influence, et nous, la première; son cours commençait où finit notre ouvrage; ce

Voir le 5o volume du Lycée (page 694), dans lequel nous avons inséré notre chapitre sur Dante.

qui, pour lui, forme le fond, pour nous est l'accessoire son point de départ est notre terme.

Cependant, comme au moyen âge tout se mêle et se tient, nos travaux ont dû quelquefois, bien que marchant à côté et à l'insu l'un de l'autre, mais dans la même route, se rencontrer. La littérature romane est venue se placer sous notre plume, comme sous la sienne la littérature savante. Mais nous l'avons considérée d'un point de vue différent. M. Villemain y a surtout cherché une étude littéraire, nous, une expression de moeurs; il a donc dû s'attacher aux détails, nous aux traits généraux.

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Nous devions dire ces différences; si elles ne la justifient, elles expliqueront la publication de notre travail, malgré les périls d'une telle

concurrence.

D'autres ouvrages sont venus encore faciliter notre travail, en le décourageant peutêtre. M. Guizot, dans cette analyse savante et animée qu'il a faite du moyen âge, a jeté sur la littérature du sixième siècle, sur les efforts de Charlemagne pour dissiper les ténèbres de l'ignorance, ces grands traits de lumière dont il a éclairé l'histoire politique. Nous avons profité de ses recherches.

Enfin M. de Châteaubriand, dans ses Études

historiques, a aussi répandu çà et là sur quelques faits qui se rattachent à la marche de l'esprit humain pendant le moyen âge, ces hautes et profondes pensées qui ne s'oublient plus.

Un mot maintenant sur notre travail.

De toutes les littératures du Nord, la littérature anglaise est la seule qui soit entrée et qui ait dû entrer dans notre cadre. Nous voulions peindre seulement le progrès de l'intelligence humaine dans les nations filles de l'empire et de l'idiome latins. Ce plan et aussi notre ignorance des littératures du Nord nous avertissaient de nous renfermer dans la France, dans l'Italie, dans l'Espagne. L'Angleterre, par l'invasion des Normands, par la conquête de Guillaume, par ses poètes anglo-normands, par les élémens du latin mêlés dans sa langue aux élémens teutoniques, l'Angleterre se rattachait à notre sujet : nous avons pu, nous avons dû l'y comprendre.

Nous n'avons point voulu, après M. de Sismondi, après M. Raynouard, refaire l'histoire de la littérature romane; nous n'avons pas songé à abréger l'Histoire littéraire des Bénédictins; le temps et le savoir nous eussent manqué. Dans le désert immense et fécond du moyen âge, nous n'avons pas eu la prétention de tout par

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courir, de tout peindre. Nous avons tâché seulement de défricher quelques coins de terre négligés, quelques sites inconnus, quelques beautés enfouies. Nous avons surtout essayé de saisir et de fixer le progrès moral et intellectuel de cette grande préparation des temps et des peuples modernes tel a été notre but, telle l'unité philosophique de notre ouvrage. Puissions-nous avoir fait passer dans nos expressions, dans nos idées, un peu de la conviction admirable, de l'enthousiasme sublime du moyen âge! car l'enthousiasme c'est la vie la terre est déserte pour qui n'y aperçoit pas le ciel.

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Nous avons été cherchant partout cette vie, ce progrès de l'esprit humain, les demandant surtout au cloître, où ils se sont développés pendant six siècles. De toutes ces recherches, nous nous sommes réservé les lenteurs et les ennuis. Nous aurions pu multiplier les citations; nous avons cru que là, comme ailleurs, la modération était encore la sagesse. Si nous sommes arrivé à la généralisation, ce n'est que par une pénible analyse.

Toutefois, malgré nos recherches, nous sentons ce qui doit manquer à notre ouvrage : pour nos imperfections, nous demandons les conseils de la critique ; pour nos peines, sa justice.

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