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tone et boursoufflé, retentit comme un écho affaibli de cette versification pompeuse dont Claudien avait, le dernier, bercé la mollesse de Rome décrépite, et la vanité des barbares qui la défendaient après l'avoir vaincue. Quelquefois cependant l'esprit, le mouvement et l'imagination ne lui manquent pas. Il a même d'heureuses inspirations. Le Vexilla regis est le prélude, ce semble, de cette poésie religieuse que saint Thomas d'Aquin, et plus tard Santeuil, devaient immortaliser.

Toutefois dans cette absence de littérature, dans cette ruine intellectuelle, on découvre un germe fécond, une œuvre incomplète mais puissante.

Saint Avite, évêque de Vienne, a, dans un poème divisé en trois chants, la Création, le Péché originel, l'Expulsion du Paradis, entrevu une route qu'après lui Milton a parcourue avec plus d'éclat, mais qu'il n'avait peut-être pas eu la gloire d'ouvrir le premier.

Plus ou moins faible, cette poésie n'était du reste qu'une imitation, un souvenir clas

boive du vin; 11, à une abbesse sur des fleurs; 13, sur des châtaignes; 14, sur du lait; 15, idem; 16, sur un repas; 18, sur des prunelles; 19, sur du lait et autres friandises; 20, sur des œufs et des prunes; 22, sur un repas; 23, idem; 24, idem; 25, idem. (M. Guizor, tom. 2, 219.)

sique appliqué à des sujets chrétiens. A côté d'elle, il y avait une autre poésie, jeune et naïve, pleine d'imagination et de fraîcheur. Celle-ci éclate dans les vies des saints, dans les légendes populaires qui, jusqu'au neuvième siècle, composèrent le fond de l'instruction, des récits et des croyances vulgaires : vaste texte à de merveilleuses fictions; épopées éparses çà et là dans les annales de l'Église et dans les chroniques, et dont on retrouve, ce nous semble, des fragmens dans Grégoire de Tours, comme dans Tite-Live on découvre les membres de l'épopée romaine.

Ces légendes avaient deux caractères distincts: elles étaient gauloises ou anciennes, franques ou nouvelles; elles se composaient de souvenirs chrétiens et de fictions germaniques. Pieuses et savantes dans le midi; dans le nord, sauvages et aventureuses; empreintes ici de traces grecques et latines, de teintes bibliques et de crédulités locales; là, de rêveries septentrionales, du souffle des forêts, de tous les accidens de la vie sauvage.

Ces légendes, ces vies des saints, dont le nombre va à plus de vingt-cinq mille, sont la vraie poésie des sixième et septième siècles ; l'expression libre, variée, piquante, de la vie populaire. Elles charmaient, elles nourrissaient

la piété, qui les créait, qui chaque jour y ajoutait des pages merveilleuses, qui y trouvait ses consolations et sa force, au milieu de cette vie rude et étroite, de ce présent terrible que lui avait fait la conquête.

Le septième siècle, en apparence si stérile, si sombre, a vu aussi commencer le grand œuvre du moyen âge, la régénération du peuple; l'égalité, par l'Évangile; la puissance religieuse, par la parole.

Alors, en effet, grandit, se développe, éclate la prédication chrétienne, savante et populaire, rude et hardie: double éloquence dont saint Césaire, évêque d'Arles, et saint Colomban, évêque de Luxeuil, sont les repré

sentans.

La première se manifeste en commentaires des livres saints: commentaires historique, philosophique, allégorique, moral; elle se répand en sermons, en homélies, en instructions: c'est le travail du clergé régulier et des évêques. L'autre, vague, ardente, soudaine, éclate par inspiration, au hasard, par instinct; elle se mêle à la vie du peuple; elle s'en émeut; elle s'en échauffe. Libre envers les puissans du siècle, elle les réprime durement; elle humilie en eux la force brutale qui domine la sociéte. Retirée au sein des forêts, ou dans la

cabane du serf, elle en sort pour effrayer les palais et jeter au milieu des joies coupables du crime et de l'adultère, des paroles de malédiction. Son action est irrégulière, désor

La quatorzième année du règne de Théodoric, la réputation de saint Colomban s'était accrue dans les cités et dans toutes les provinces de la Gaule et de la Germanie. Il était tellement célébré et vénéré de tous, que le roi Théodoric se rendait souvent auprès de lui, à Luxeuil, pour lui demander avec humilité la faveur de ses prières. Comme il y allait trèssouvent, l'homme de Dieu commença à le tancer, lui demandant pourquoi il se livrait à l'adultère avec des concubines, plutôt que de jouir des douceurs d'un mariage légitime, de telle sorte que la race royale sortît d'une honorable reine, et non pas d'un mauvais lieu. Comme déjà le roi obéissait à la parole de l'homme de Dieu, et promettait de s'abstenir de toutes choses illicites, le vieux serpent se glissa dans l'âme de son aïeule Brunehaut, qui était une seconde Jézabel, et l'excita, contre le saint de Dieu, par l'aiguillon de l'orgueil. Voyant Théodoric obéir à l'homme de Dieu, elle craignit que si son fils, méprisant les concubines, mettait une reine à la tête de sa cour, elle ne se vît retrancher par là une partie de sa dignité et de ses honneurs. Il arriva qu'un certain jour Colomban se rendit auprès de la reine Brunehaut, qui était alors dans le domaine de Bourcheusse. La reine, l'ayant vu venir dans sa cour, amena au saint de Dieu les fils que Théodoric avait eus de ses adultères. Les ayant vus, le saint demanda ce qu'ils lui voulaient. Brunehaut lui dit : « Ce sont les fils du roi, donne-leur la faveur de ta bénédiction. » Colomban lui dit : « Sachez qu'ils ne porteront jamais le sceptre royal; car ils sout sortis de mauvais lieux. » Elle, furieuse, ordonna aux enfans de se retirer. L'homme de Dieu étant sorti de la cour de la reine, au moment où il passait le seuil, un bruit terrible

donnée, comme la violence de la barbarie qu'elle poursuit; c'est l'éloquence des anachorètes et des missionnaires; c'est l'éloquence de saint Colomban, le Bridaine du septième siècle.

se fit entendre, mais ne put réprimer la fureur de cette misérable femme, qui se prépara à lui tendre des embûches... Colomban, voyant la colère royale soulevée contre lui, se rendit promptement à la cour pour réprimer, par ses avertissemens, cet indigne acharnement. Le roi était alors à Époisse, sa maison de campagne. Colomban y étant arrivé au soleil couchant, on annonça au roi que l'homme de Dieu était là, et qu'il ne voulait pas entrer dans la maison du roi. Alors Théodoric dit qu'il valait mieux honorer à propos l'homme de Dieu, que de provoquer la colère du Seigneur en offensant un de ses serviteurs; il ordonna donc à ses gens de préparer toutes choses avec une pompe royale, et d'aller au devant du serviteur de Dieu. Ils coururent donc, et, selon l'ordre du roi, offrirent leurs présens. Colomban, voyant qu'ils lui présentaient des mets et des coupes avec la pompe royale, leur denianda ce qu'ils voulaient. Ils lui dirent : « C'est ce que t'envoie le roi. » Mais, les repoussant avec malédiction, il répondit : « Il est écrit : le Très-Haut réprouve les dons des impies; il n'est pas digne que les lèvres des serviteurs de Dieu soient souillées de ses mets, celui qui leur interdit l'entrée, non-seulement de sa demeure, mais de celle des autres. » A ces mots, les vases furent mis en pièces, le vin et la bière répandus sur la terre, et toutes les autres choses jetées çà et là. Les serviteurs, épouvantés, allèrent annoncer au roi ce qui arrivait. Celui-ci, saisi de frayeur, se rendit, au point du jour, avec son aïeule, auprès de l'homme de Dieu; ils le supplièrent de leur pardonner ce qui avait été fait, promettant de se corriger par la suite. Colomban, apaisé, retourna au monastère; mais ils n'observèrent pas long-temps leurs pro

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