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l'inventeur. Il en est des siècles intermédiaires dans les progrès de l'intelligence humaine, comme des époques de transitions morales et politiques ils disparaissent et s'effacent dans les siècles qui les suivent et qu'ils ont enfantés. Le temps des réparations est venu. L'histoire, qui, mieux inspirée, a, depuis quelques années, recueilli avec un religieux patriotisme, et fait revivre les sacrifices obscurs et généreux qui, aux treizième et quatorzième siècles, ont reconquis les libertés municipales, envahies et détruites par la féodalité; l'histoire doit aussi son intérêt et ses veilles à ces luttes non moins pénibles, non moins hardies, qui, dans des siècles d'ignorance et de malheurs, ont maintenu la dignité de la pensée, et répandu ces lumières qui plus tard ont lui sur nos

têtes.

Si donc il était une époque qui, long-temps négligée, laissât encore, malgré les travaux dont, en ces derniers temps, elle a été le texte, des faces non observées, des aspects inconnus, des monumens précieux à mettre en lumière, une telle époque exciterait sans doute nos sympathies; or, tel est le moyen âge.

Ce ne sont pas là, toutefois, ses seuls titres à notre intérêt. Il nous touche de plus près et par plus de points. Tous tant que nous

nous venons

sommes, peuples modernes, du moyen âge. Là, sont les racines de notre langage, de notre droit, de nos institutions, de nos mœurs, de nos croyances. L'étudier c'est donc nous occuper de nous-mêmes, et contempler notre pensée, nos opinions d'aujourd'hui, dans leurs premiers développemens et sous leur forme native. Aussi le moyen âge est-il devenu l'intérêt et l'étude, j'ai presque dit la mode de nos jours. La gravure, le dessin, tous les arts, tous les objets de luxe et même d'utilité domestique, l'imitent ou le contrefont.

D'où vient ce mouvement de la pensée, cette sympathie de l'imagination, pour une époque si long-temps abandonnée? Ce retour vers le moyen âge est-il le caprice d'un moment? une étude sans motif et sans but, sans autre attrait qu'une curiosité impatiente, qui s'en va fouillant les obscurités des temps passés, reconstruisant à plaisir, et souvent sur des bases fausses, un monument dégradé, mais dont les ruines mêmes nous étonnent et nous accablent? Non à cette passion si vive et si profonde il y a une autre cause, et plus puis

sante.

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Le moyen âge, c'est nous. Nous, avec nos opinions inquiètes, notre société ébranléc,

notre besoin et notre dédain de croyances. Aujourd'hui, comme au moyen âge, le monde demande à la science un avenir, qu'il pressent et qu'il ignore. C'est, n'en doutons pas, ce rapport si puissant entre nous et le moyen âge qui fait notre enthousiasme pour lui. Générations intermédiaires, ouvriers mystérieux dans une œuvre que nous ne verrons pas s'accomplir, nous y apportons notre pierre et nos sueurs; mais du monument futur nous ne connaissons ni le plan ni l'harmonie. Le ciment du moyen âge, la foi nous manque.

D'ailleurs, cet intérêt que le moyen âge réclame historiquement, il le mérite par lui-même, par ses créations intellectuelles. Long-temps on a semblé croire que l'esprit humain, stérile, endormi pendant dix siècles, s'était, tout à coup, réveillé au seizième siècle, avec la science toute faite. Il n'en va pas ainsi. Dans le monde intellectuel ainsi que dans le monde physique, la nature suit une marche constante et régulière : les idées ont leur développement progressif. L'esprit humain travaille quelquefois en silence, obscur, inaperçu; mais il travaille. Le moyen âge, loin d'être une lacune, est un progrès. Désert stérile en apparence, et couvert de ronces, il a réellement été fécond. Comme les autres siècles, il a

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poursuivi et accompli sa tâche, laborieuse, confuse, mais utile encore et glorieuse : c'est le tableau dont nous voulons esquisser quelques parties.

Au quatrième siècle, la littérature romaine disparaît et périt dans les ruines de l'empire et du paganisme. Une autre littérature s'élève avec une autre société, avec une croyance nouvelle. Ainsi, dès nos premiers pas dans le moyen âge, nous avons un double spectacle, un double intérêt.

Telle est la face de la littérature du quatrième au sixième siècle. Alors commence une seconde décadence, plus rapide, plus complète que la première. La littérature profane n'est plus représentée que par quelques essais d'une poésie misérable; la littérature sacrée, par des légendes, curieuses sans doute par la foi populaire qui s'y attachait, et qu'elles nourrissaient en la charmant, mais plus faibles encore, plus barbares de style.

Charlemagne paraît; un progrès rapide marque son règne, et prépare, bien qu'un instant ralenti, la renaissance des lettres.

Bientôt brille au midi une lumière nouvelle. Le génie de l'Orient luit sur l'Espagne, se réfléchit sur la Provence et éclate sur l'Italie. Alors, l'esprit humain brise le vieux cachet de

la civilisation romaine. Sous l'empreinte antique, sous une culture artificielle, on découvre une végétation native, une littérature populaire, la littérature romane. Nous en suivrons les premiers essais dans la poésie des troubadours, et, avec eux, nous déplorerons sa ruine.

Tandis que l'imagination, la plus spontanée, la plus vive, la plus prompte des facultés, se développait avec tant d'éclat, la philosophie et les études sérieuses ne prenaient pas un essor moins hardi. Nous assisterons aux débats et aux triomphes de la scolastique, qui, sous une autre forme, sont la lutte de la liberté contre le pouvoir, de la philosophie contre la théologie; lutte terminée d'abord à l'avantage de Rome, dans la victoire de saint Bernard sur Abailard, mais, plus tard, au profit de l'indépendance philosophique.

Sortis de la France, nous entrons dans l'Italie. Les traditions classiques, dont les faibles rayons, épars en Europe, n'y répandaient que de pâles clartés, là, seront plus vives et mieux conservées. Nous en verrons sortir brillante et soudaine une littérature nouvelle. Puis, à côté d'une poésie jeune, d'une langue moderne, nous rencontrerons l'exil et les travaux d'une littérature ancienne; nous contemplerons, dans

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